Opposants au « mariage homo » :
une nouvelle tactique
L’adoption par un couple homosexuel est-elle contraire
au « droit de l'enfant » ?
par Jean-Michel Muglioni
La question du mariage étendu aux personnes de même sexe ne se pose plus, on a rêvé, une majorité de Français, y compris catholiques pratiquants, y est favorable ! Le hic maintenant, c'est l'adoption, la PMA et la GPA. La tactique est visible. Puisqu’on n’a pu empêcher le PACS, empêchons le mariage ; puisqu’on ne peut empêcher le mariage, empêchons l’adoption ; et bientôt : puisqu’on n’a pu empêcher l’adoption, empêchons la PMA, etc.
L'argument ? Adoption, PMA et GPA seraient contraires aux droits de l’homme parce qu’on « priverait » alors un enfant de père ou de mère... Mais au fait, avoir un père et une mère, est-ce à proprement parler un droit ? Si tel était le cas, il faudrait interdire le divorce, interdire aux célibataires d'avoir des enfants !
Un nouvel argument pour refuser l’adoption aux homosexuels
Un nouvel argument est proposé dans le débat sur le mariage homosexuel (1). D’une part la question du mariage ne se poserait plus, les catholiques eux-mêmes (selon les sondages) y étant majoritairement favorables. Mais les Français s’opposeraient à l’adoption (ainsi qu’à la Procréation Médicalement Assistée (PMA) et la Gestation Pour Autrui (GPA) pour les époux homosexuels. Et cela pour la raison suivante : lorsqu’un couple homosexuel adopte un enfant, son droit à l’enfant irait contre le droit de l’enfant, droit à avoir un père et une mère, droit à la différence sexuelle. Les partisans de l’adoption dissimuleraient cette question derrière une rhétorique facile : dénonciation de l’homophobie et des excès de représentants caricaturaux des Eglises.
Ma position exprimée dans Mezetulle jusqu’ici
Il se trouve au contraire que j’ai justifié le mariage des couples homosexuels par la nécessité de protéger leurs enfants par les mêmes droits et devoirs que dans n’importe quelle famille. Ainsi je n’ai jamais utilisé l’expression « mariage pour tous » ni invoqué le droit à l’enfant, tenant l’argumentation la plus courante en faveur de la nouvelle loi pour indigente. Toutefois mon entrée en lice, si je puis dire, a bien été provoquée par les arguments de l’Église romaine, les pires, et ceux qu’elle a repris au grand rabbin de France, fondés sur l’idée de la naturalité du mariage et sur une certaine interprétation de la Bible qui a ses lettres de noblesse. Mon analyse est-elle pour autant le simple écho de leurs propos et de leurs excès ?
La nouvelle tactique des opposants
Pourquoi ces précautions oratoires ? Parce que soutenir que l’adoption d’un enfant par un couple homosexuel mettrait en cause le droit de l’enfant et ainsi irait contre le principe de l’égalité des droits de l’homme revient à dire : vous prétendez lutter pour l’égalité, en réalité, c’est vous les inégalitaires, c’est nous qui défendons l’égalité ! C’est nous catholiques qui défendons les faibles et les orphelins. Bel exemple d’un phénomène inhérent à la plupart des débats : on ne cherche pas la vérité, on invente une argutie (peut-être même de bonne foi) pour s’opposer à l’argument confus et souvent fallacieux de l’égalité des droits invoqué par la défense officielle de la nouvelle loi.
Ainsi le nouvel argument suppose que la question du mariage ne se pose pas : que des homosexuels se marient, les catholiques dans leur majorité l’admettent. Rêverais-je ? J’admettrais qu’on soutienne que le débat présent les a fait changer d’avis et qu’ils prennent maintenant parti contre les autorités de leur Église (2). Gilles Bernheim et l’Église romaine refusent non seulement l’adoption mais le mariage. Que se passe-t-il donc ? L’Église et une partie de la droite se sont opposées avec violence au PACS. Ces derniers temps il a été question de leur part d’accorder les droits que le PACS ne garantit pas, mais par une union civile qui ne s’appellerait pas mariage. Maintenant ils admettraient le mariage, mais non l’adoption ! Tout cela est pure hypocrisie. C’est une retraite tactique : puisqu’on n’a pu empêcher le PACS, empêchons le mariage ; puisqu’on ne peut empêcher le mariage, empêchons l’adoption ; et bientôt : puisqu’on n’a pu empêcher l’adoption, empêchons la PMA, etc. Et j’imagine tout à fait que certains croyants sincères que ces transformations des mœurs et du droit affectent viscéralement ne se rendent pas compte que leurs raisonnements ne font qu’exprimer leur désarroi.
Différence n’est pas inégalité
Mais revenons au fond. La différence entre un enfant élevé par un couple hétérosexuel et un enfant élevé par un couple homosexuel relève-t-elle de l’égalité des droits ? Toute différence est-elle une inégalité ? Si c’était le cas, il faudrait, au nom de l’égalité, interdire le divorce, puisqu’il a pour conséquence un grand nombre de familles monoparentales. Et faut-il à nouveau réprouver les « filles-mères » parce qu’elles ont un enfant mais pas de mari ? Faut-il supprimer le droit d’adopter des célibataires (lesquels au demeurant peuvent vivre avec qui ils veulent sans être mariés : la loi n’autorise pas les autorités chargées de leur accorder l’adoption à aller voir qui est dans leur lit) ? A-t-on jamais dit que les enfants élevés dans ces situations étaient victimes d’une inégalité contraire aux droits de l’homme comme le dit l’article de Marianne auquel je renvoie (3) ?
Ce que je viens de rappeler ne prouve pas que l’éducation « homoparentale » est pire ou meilleure que celle d’un père et d’une mère, mais cela suffit pour montrer que les arguments qu’on lui oppose sont fallacieux. On se demandera en outre si dans l’expression « droit à avoir un père et une mère », le mot droit a plus de sens que dans celle décriée à juste titre de « droit à l’enfant ».
Je ne reviendrai pas ici sur les raisons que j’ai avancées et qui m’ont fait prendre parti non pas seulement pour le mariage homosexuel mais d’abord et essentiellement pour l’adoption, en raison même du droit des enfants, c’est-à-dire des devoirs des parents.
Questions de bioéthique
La question de la PMA et de la GPA, qui en effet seront accordées si le mariage et l’adoption sont accordés, est d’un tout autre ordre : elle relève de la bioéthique, c’est-à-dire de toute une série de problèmes liés aux techniques de procréation artificielle (encore que la GPA soit possible par les voies naturelles et ait été pratiquée ainsi depuis toujours). Laissons de côté la question de la commercialisation du corps humain que la France a toujours refusée avec la plus grande clarté. La PMA est aujourd’hui autorisée pour les couples hétérosexuels en cas de stérilité. Des femmes à 18 ans demandent qu’on congèle leurs ovocytes pour pouvoir les utiliser lorsque, plus âgées, elles voudront un enfant. On use déjà des techniques à des fins purement égoïstes : est-ce une spécificité homosexuelle ? Le droit à l’enfant n’est pas plus naturel pour un couple hétérosexuel que pour un couple homosexuel.
Le vrai risque
J’ai donc les pires craintes : les questions de bioéthique sont d’une extrême complexité et bien malin qui croit pouvoir les résoudre aisément. Or à force de déconsidérer par des sophismes tout argument qui limite l’usage des techniques génétiques, les représentants des Eglises ouvrent une voie royale aux ambitions technicistes auxquelles s’ajouteront les intérêts économiques de la sécurité sociale et des industries de la santé qui ne sont pas toujours contradictoires.
© Jean-Michel Muglioni et Mezetulle, 2013
Voir les articles publiés par Mezetulle sur le « mariage homo » :
- Le « mariage homo », révélateur du mariage civil, par Catherine Kintzler
- « Mariage homo », nature et institution, par Jean-Michel Muglioni
Voir les autres articles de Jean-Michel Muglioni en ligne sur Mezetulle.
[Edit du 2 février 2013. Mezetulle attire l'attention des lecteurs sur l'échange qui figure en commentaire ci-dessous, Jean-Michel Muglioni ayant apporté une réponse extrêmement détaillée au commentaire de Martine Verlhac, réponse qui est en fait une annexe à l'article.]
Notes
1 - Voir par exemple http://www.marianne.net/L-homoparente-contre-l-egalite_a225873.html
2 - Je rappelle que beaucoup de mes amis catholiques sont plutôt de mon avis.
3 - Voir la note 1.
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