Plus républicain et laïque
que le Premier ministre, tu meurs
Sur la «Refondation de la politique d'intégration» et ses dessous
par Catherine Kintzler
Oui bien sûr il faut lire les textes remis au Premier Ministre le 13 novembre dernier. Non seulement il y est question de revenir sur la loi de 2004 interdisant le port de signes religieux à l'école publique, mais encore Big Brother s'y affiche insolemment, recommandant notamment de « revisiter le lexique ». Ainsi on pourrait interdire l'emploi même du terme intégration et de quelques autres gros mots, (par exemple la mention de l'origine d'une personne). Précaution supplémentaire pour être sûr que les dérapages seront encadrés, on y suggère aussi de contrôler le spectacle vivant - indirectement bien sûr, on n'est pas si brutaux. Oui vous avez bien lu : c'est écrit, certes en novlangue mielleuse, mais bel et bien écrit dans les textes qu'on peut télécharger sur le site de Matignon.
Mais ce n'est que la partie émergée. Devant le buzz soulevé ces derniers jours par ces textes effarants, le Premier ministre se fend de déclarations rassurantes - non non on ne revient pas sur la loi de 2004, oui oui l'intégration est toujours sur une ligne républicaine. On sera cependant édifié en lisant les Lettres de mission installant et guidant très clairement les travaux dont ces chefs d'œuvre de littérature orwellienne sont issus. Les conclusions ne font que répercuter et amplifier la voix du maître, comme Mezetulle le supposait dès le 27 septembre, en fournissant le lien de téléchargement des lettres (1).
Ajoutons quelques éléments d'info moins connus permettant d'apprécier la profondeur de l'iceberg et de se faire une idée de la politique très républicaine de Jean-Marc Ayrault.
Il ne faut pas confondre ces groupes de travail, lancés par les services de Matignon en juillet 2013, avec ceux du défunt Haut Conseil à l'Intégration (HCI). Ce dernier, dépendant également du Premier ministre, a été créé en 1989 et comprenait notamment une mission laïcité animée par Alain Seksig. Il a été mis fin à ses fonctions et le dernier avis de son groupe de travail sur la laïcité a été l'objet au mois d'août de fuites (organisées ?). La presse a notamment fait état, en déformant quelque peu le texte, d'une préconisation d'interdiction du port de signes religieux à l'université (en réalité, cette préconisation ne concernait que les situations effectives d'enseignement). Mezetulle a également abordé ce point l'été dernier (voir l'article Est-il exact que le HCI recommande l'interdiction du voile à l'université ?).
Il n'en a pas fallu davantage pour diaboliser cette mission, le Premier ministre n'ayant pas de mots assez durs à l'époque à son égard (voir par exemple l'article dans La Croix). Bien entendu cet avis relatif à la laïcité n'a pas été publié officiellement, mais il existe (2). Sans doute trop politiquement incorrect ? Probablement fallait-il redresser la barre dare-dare et imposer l'inactivité - sinon le silence - au HCI et à sa diabolique mission laïcité. Le relais a été confié d'une part à l'Observatoire de la laïcité, dont le président a déclaré qu'il y a pas de problème de laïcité en France, et de l'autre à ces brillants groupes de travail sur la Refondation de la politique d'intégration.
Bingo ! loin d'apaiser les choses, ces groupes ont tellement bien travaillé dans le sens d'une « laïcité accommodante », en l'assaisonnant d'une sauce ouvertement hostile à l'indivisibilité de la République, qu'ils déchaînent aujourd'hui les critiques ... et que le Premier ministre se voit obligé de rétropédaler devant tant de zèle !
Encore une petite cerise sur le gâteau. Le dernier cycle de conférences public du HCI consacré à la laïcité tenu au Conservatoire National des Arts et Métiers en 2012-2013 se heurte à une fin de non-recevoir pour une publication officielle, alors que les autres colloques ont été publiés par la Documentation française (3) et que ce dernier colloque a été organisé sous un label officiel, ce que montre son programme. Comme le dit Freud à propos de la censure : tout le monde se dit, devant des colonnes et des pages blanches, qu'il devait y avoir là « les meilleurs morceaux ». Mais Big Brother n'est pas si bête : il ne laisse pas de blanc révélateur, rien de tout cela n'a existé, circulez, il n'y a rien d'autre à lire que des « conclusions » (même pas des rapports, au dire des responsables politiques) remplies de novlangue et de bonnes pensées (4).
Après cela, on peut bien le dire : plus républicain et laïque que le Premier ministre, tu meurs.
© Catherine Kintzler, 2013
[ Haut de la page ]
Notes
1 - Par exemple celle-ci.
2 - Le Figaro l'a diffusé cet été. On le trouve sur le site de l'association Egale. Ayant fait partie du groupe de travail animé par Alain Seksig, j'en ai également un exemplaire de travail.
3 - Comme a été publié le précédent colloque sur la laïcité de décembre 2011 sous le titre Laïcité dans la fonction publique (Paris : La Documentation française, 2012).
4 - La France étant un pays où l'expression est libre, aucune loi et encore moins aucun gouvernement ne peut empêcher les auteurs des communications à ce colloque public de publier sous leur nom, collectivement ou non - mais ce serait préférable collectivement -, chez un éditeur qui on n'en doute pas saura les accueillir, des textes dont les droits leur appartiennent.
[ Haut de la page ]