30 août 1970
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Débat : Sur la non-admission des femmes au Grand Orient de France (III)
La mixité, principe de concorde et de singularité
Réponse à Jean-François Rémond
par Catherine Kintzler
A la suite de la publication par Mezetulle d'un bloc-notes "Le GODF franchit le mur du ç..." au sujet du refus de la mixité par le Grand Orient de France, Jean-François Rémond a soutenu la non-mixité dans un article intitulé "Le GODF et la mixité : à propos de quelques tartufferies progressistes".
Catherine Kintzler lui répond ici.
Sommaire de l'article
1 - Quatre préalables
Quelques préalables élémentaires me semblent devoir être rappelés ici.
1° "Les droits des hommes résultent uniquement de ce qu’ils sont des êtres sensibles, susceptibles d’acquérir des idées morales et de raisonner sur ces idées." C'est ce que déclare Condorcet dans un admirable texte intitulé Sur l'admission des femmes au droit de cité (édition Arago, volume X, p. 122) et il poursuit aussitôt : "Ainsi les femmes, ayant les mêmes qualités, ont nécessairement des droits égaux." La conséquence est très simple, encore faut-il consentir à la formuler.
On m'objectera que cela est hors-sujet : la franc-maçonnerie étant une association régie par la loi de 1901, il ne lui appartient pas d'accorder des droits. D'où le second préalable qui validera rétroactivement le premier.
2° A ma connaissance, la franc-maçonnerie n'est pas une association où les données morphologiques ou biologiques sont déterminantes : ce n'est ni une fédération sportive, ni un club d'apnée, ni une association de personnes dont la taille excède 1,75m ou qui prennent aisément des coups de soleil. Je n'ai rien contre de telles associations, dont les statuts sont clairs. Ceux du GODF ne le sont pas moins. Se réclamant de l'héritage des Lumières, il se déclare association philosophique, humaniste et progressive et sa devise est la même que celle de la République française : "Liberté - Egalité - Fraternité".
L'humanisme du GODF souscrit, me semble-t-il, à la conception condorcétienne de l'être humain : un être sensible, susceptible d'acquérir des idées morales et de raisonner sur ces idées - ce qui fonde sa perfectibilité à laquelle travaille, entre autres, la franc-maçonnerie. Je n'ai jamais rien attendu d'autre en Loge qu'un travail reposant sur les qualités partagées que sont la raison, la sensibilité et l'expérience.
3° Lorsqu'on parle de différence des sexes, on peut entendre par là, soit une détermination liée à la présence d'un appareil reproducteur sexué (déterminé biologiquement par une paire de chromosomes XX ou XY), soit le traitement imaginaire et /ou symbolique par des êtres parlants s'appuyant sur des éléments perceptibles témoignant de l'existence de cet appareil, ainsi que les comportements sexuels nécessairement polymorphes qui sont liés à ce traitement contingent. Dans le premier sens, la classification "mâle / femelle", même si elle n'est pas toujours aussi évidente à établir qu'on le croit, relève d'une description qui ne pose guère problème. Dans le second, on peut et on doit tenir que chaque être parlant est traversé, tourmenté, travaillé et divisé en lui-même par cette différence qui devient culturelle et qui est, je le souligne à nouveau, polymorphe. Ainsi la condition d'être humain sexué n'est pas simplement un invariant biologique, mais une histoire. D'un invariant, on ne sort pas. Une histoire se construit, presque toujours à notre insu, contingente et complexe. A tel point que, par exemple, un individu peut souhaiter se défaire du "rôle sexuel" qui lui a été distribué non par une nature, mais par un discours.
4° Je demande au lecteur, à la lectrice, de maintenir constamment présente à son esprit l'hypothèse suivante : J'aurais pu avoir le malheur et le bonheur de naître avec un autre appareil reproducteur.
C'est munie de ces préalables que je parcours le texte de Jean-François Rémond.
2 - La comparaison avec le racisme, procédé cher aux "grenouilles de bénitier boboïdes"
Je commencerai par le point qui fait mouche et qui m'a décidée à publier le texte de Jean-François Rémond dès que j'en ai pris connaissance : l'enrôlement des troupes bienpensantes ("les grenouilles de bénitier boboïdes") derrière la revendication de mixité ; la mixité comme idée reçue et comme alibi pour ne pas penser, à l'instar de l'antiracisme de convenance qui procède par solidarisations rhétoriques et analogies. Je dois dire que je suis sensible au reproche : Mezetulle cédant à la facilité et trahissant le principe selon lequel chaque article du blog s'efforce de soulever un enjeu pour la pensée!
Mais je ne vois pas pourquoi je repousserais une idée au prétexte qu'elle est répandue : l'important n'est pas qu'elle soit répandue, mais qu'elle soit juste et surtout qu'elle présente un contenu de pensée. A suivre Jean-François Rémond, la comparaison avec le racisme, suggérée par mes artifices rhétoriques dignes des effets spéciaux d'opéra, ne serait rien d'autre qu'un procédé de solidarisation "d'une prétendue discrimination [i.e. l'exclusion des femmes par le GODF] à d'autres effectives [celle des Noirs, des Arabes, des Juifs, ailleurs et en d'autres temps]".
Autrement dit, pour Jean-François Rémond, l'éviction des femmes au seul motif de ce qu'elles sont, sur la seule présence d'un appareil reproducteur qu'elles n'ont pas choisi (la différence des sexes au sens n°1), n'est pas une discrimination, alors que les exclusions suggérées par l'énumération de substitution que j'ai utilisée comme "écran de fumée", sont effectives, réelles : soyons sérieux, vous n'allez pas comparer l'exclusion des femmes à celle, jadis, des Noirs ou à l'antisémitisme ! Mais si ! car même si, en l'occurrence et s'agissant du GODF, elle n'a pas les mêmes effets, elle repose exactement sur le même principe : on vous objecte ce que vous êtes. Et, c'est un comble, pour vous admettre dans une association humaniste, on commence par s'aveugler à votre humanité, la trouvant trop chargée par un caractère qui pourtant n'en fait pas l'essence et auquel on devrait plutôt rester indifférent. C'est l'usage de ce principe que j'entendais dénoncer dans mon petit bloc-notes. Au prétexte que ce principe n'a pas ici les effets tragiques (ils seraient d'ailleurs plutôt comiques) qu'il a pu avoir ailleurs et en d'autres temps, Jean-François Rémond, finalement et au bout d'une longue page, le trouve justifié. S'agissant des femmes seulement, et seulement du GODF, bien entendu !
Après tout, et comme il le dit lui-même un peu plus loin à propos du "sujet de droit", les principes ne sont que des abstractions... et le sujet débarrassé de ses particularités convoqué régulièrement par moi ne se rencontrant pas dans le réel, on ne voit pas pourquoi on lui donnerait droit de cité (on croirait lire Burke critiquant la Révolution française !). Le problème est que ce mépris s'applique en fait à tout concept : faut-il cesser de penser au prétexte qu'aucune théorie n'épuise le réel? Et faut-il penser alors que l'exigence maçonnique de "laisser ses métaux à la porte du Temple" nage dans l'abstraction irréaliste ?
3 - Vulgarité ou grossièreté ?
J'ai usé, s'étonne ensuite l'auteur, de termes "imprévus dans un blog intellectuel" - comme "nichons" "gonzesses" et "couilles" : voilà encore un choix tactique pervers destiné à faire obstacle à la pensée !
Ce choix de termes grossiers (j'ai effectivement utilisé "nichons" et "couilles" dans ma réponse à un commentaire) est bien tactique. Loin de faire obstacle à la pensée, ces termes sont d'abord une réponse à la vulgarité insigne de la déclaration (insultante à la fois pour les femmes et pour la franc-maçonnerie) que j'ai citée dans le bloc-notes en question : l'emploi du terme "gonzesse" était destiné à relever cette vulgarité blessante.
Ensuite, deux de ces termes sont la désignation argotique (travaillée par un imaginaire) de parties du corps : les seins et les testicules. Il s'agit bien, en l'occurrence, de parties du corps liées à la présence d'un appareil reproducteur. Et sous quel autre motif le GODF exclut-il les femmes que celui d'être pourvues d'un appareil reproducteur dont les seins sont un élément, appareil reproducteur dont quelques êtres parlants fantasment les propriétés pour prétendre que en présence de femmes tout change, on n'est pas serein, on est embarqué dans une spirale de trouble ? Des seins, on passe bien aux nichons, de l'utérus à l'hystérie... C'est pourquoi, paraphrasant Le Canard Enchaîné, je me suis amusée à effectuer le même glissement s'agissant de l'autre sexe, en un jeu de mots où le çouillon se pare d'une cédille... (voir le préalable n°4) ! Le seul point où Jean-François Rémond a vu juste ici, c'est que je l'ai fait exprès.
4 - La question érotique évacuée comme résiduelle par une mixité uniformisante
J'en viens au point qui me semble principal et vraiment riche pour la pensée. La question érotique serait évacuée par l'injonction de mixité - comme un "reste" que la mixité voudrait résiduel.
Naïvement je pensais que c'est plutôt l'inverse... mais il semble que Jean-François Rémond entend ici par mixité, non pas la coexistence fraternelle et critique de singularités, mais une uniformisation indistincte et tellement harmonieuse qu'on est prié de ne pas y aborder les sujets qui fâchent. Auquel cas je n'ai rien à lui répondre, lui faisant remarquer cependant que la non-mixité présente autant de risques d'harmonie préétablie tiédasse, consensuelle et fusionnelle que la vulgate progressiste qu'il dénonce à juste titre.
Je dois donc préciser que ce que je viens chercher en maçonnerie, ce n'est pas une harmonie dictée par des prédéterminations, mais une concorde critique et constamment travaillée entre des sujets singuliers et divers : à mes yeux la franc-maçonnerie n'est pas une église et nul ne peut y trouver de place fixée tranquillement à l'avance.
Mais revenons à la question érotique fondamentale, dont je distingue deux variantes.
5 - La question érotique comme question critique
Première variante : la question érotique en tant que question, ou encore comme question critique traversée par la différence des sexes - posée, comme le dit à juste titre Jean-François Rémond, par la création artistique, l'écriture romanesque, entre autres. Ces seuls exemples montrent bien qu'il n'est pas question de la différence des sexes au sens n°1, morphologique ou biologique, mais bien au sens n°2 autrement plus riche, plus opaque, plus compliqué, qui engage la "dissymétrie" dont parle Jean-François Rémond, dissymétrie que je crois présente en chaque être humain et non pas répartie de façon confortablement binaire.
Il est clair à mes yeux que cette question, cette "part obscure de la dissymétrie", ne saurait être évitée ou, pire, aplanie par un discours égalisant ; elle peut et doit être posée par la pensée philosophique, et par conséquent par le travail maçonnique. A en croire Jean-François Rémond, la mixité serait une opération de gommage, introduisant un discours d'ordre moral aux termes duquel on devrait s'interdire d'aborder toute dissymétrie (et particulièrement celle relative à la différence des sexes) comme inconvenante (version dame patronesse) ou (version "progressiste") comme négligeable. La mixité à ce compte ne serait qu'une opération de censure bienpensante.
Je réponds que la mixité comme principe (et non la revendication d'amputation des différences avec laquelle Jean-François Rémond s'ingénie à la confondre, et pas davantage la revendication absurde de parité qui fige confortablement une différence qui devrait rester problématique), n'interdit aucun discours et n'en prescrit aucun, elle interdit seulement qu'on interdise l'admission dans telle ou telle association sur des motifs relatifs à une donnée biologique que l'intéressé(e) n'a pas choisie. Je n'ai jamais parlé d'autre chose s'agissant de mixité.
Jean-François Rémond ajoute sur ce point une considération révélatrice : au fond, selon lui, les partisans de la mixité ont peur des femmes, ils redouteraient l'existence d'une féminité "généreuse, libérale et surabondante" et ne supportent les femmes qu'amputées de ces propriétés.
C'est avouer qu'on tient cette vision de la féminité (avec son cortège de générosité, de libéralité et de surabondance !) et la "féminité" elle-même pour une propriété essentielle des femmes. C'est avouer qu'on tient pour coïncidentes une différence biologique et une version de cette différence modifiée, travaillée par l'imaginaire et le symbolique.
Il est vrai qu'on parle fort souvent de "féminité" sans se demander au juste quel en est le contenu conceptuel et si ce contenu doit forcément coller à la peau des femelles humaines. Il est certain que cette vision de la "féminité" existe, il est probable même qu'elle est assumée par nombre de femmes, mais est-ce une raison pour la présenter comme essentielle? Que doit-on faire de celles qui la refusent, qui ne s'y identifient pas, qui ne s'y reconnaissent pas ? Que doit-on faire de celles pour qui la féminité est mesquine, étroite et liberticide, et pourquoi s'acharner à la leur asséner ? Que doit-on faire de celles qui refusent l'idée même de féminité ? Faut-il dire qu'elles ne sont pas de "vraies femmes" parce que certains s'imaginent qu'il existe une féminité "dans sa différence spécifique" et la projettent sur les femmes comme un destin ? La question peut bien sûr être retournée dans sa dissymétrie : que faire de ceux qui ne s'accommodent pas de l'obligation de virilité ou qui en refusent l'idée même ? Ce monde binaire où se côtoient en se faisant peur des "vraies" femmes et des "vrais" hommes, j'avoue que j'étais à mille lieues de penser qu'une Loge maçonnique, philosophique, humaniste et progressive, puisse en construire de toutes pièces le fantasme et de le tenir pour réel au point d'en faire une détermination pour ses décisions.
En outre, je n'arrive pas à comprendre pourquoi la position de la question érotique, fondamentale et vraiment sérieuse aux yeux de Jean-François Rémond et aux miens, requerrait l'homosexuation (au sens biologique) des interlocuteurs qui la traitent dans leurs échanges. Faut-il comprendre que, lorsque des hommes (porteurs de la paire XY) la posent en loge maçonnique, ils tiennent que les oreilles des femmes (porteuses de la paire XX) ne sauraient entendre ce qu'ils en ont à dire, et réciproquement ? Cette surdité mutuelle et fantasmatique est peut-être un élément des sociétés dites profanes, mais il appartiendrait plutôt à la franc-maçonnerie de la traiter et de la surmonter : quand on recherche la concorde par la circulation de la parole, on ne commence pas par camper sur une harmonie préétablie par des chromosomes. Pour poser cette question, Socrate, qui vivait dans une des sociétés les plus féroces pour les femmes, juge indispensable de solliciter Diotime, de plein droit. Le GODF de 2009, non. Pourquoi ? parce que Diotime est porteuse de la paire XX... C'est assurément une décision démocratique : mais on a le droit, en démocratie, de critiquer les décisions que l'on juge ineptes !
6 - L'irruption de l'érotisme, scénario comique et mécanique
La seconde variante de la question érotique est l'irruption de l'érotisme dans une assemblée. Je ne ferai pas l'injure à Jean-François Rémond de croire qu'il ait pu un seul instant penser à ce qui n'est pas une thèse, mais un scénario.
Scénario néanmoins évoqué assez fréquemment et sans crainte du ridicule par bien des déclarations de membres du GODF soutenant la non-mixité : à les entendre, la seule présence d'une femme (porteuse de XX) les réduirait à une dimension de trouble et de désir, à une spirale de concupiscence incompatible avec les travaux philosophiques accomplis en Loge. C'est une manière de dire que les femmes (porteuses de XX) font partie des métaux que l'on dépose à la porte du Temple, que leur éviction est une condition de la sérénité du travail maçonnique, et qu'on n'accède à l'humanité que là où elles sont absentes. C'est une manière aussi de se mépriser soi-même en s'identifiant mécaniquement à une obligation de virilité encombrante.
Mais une fois cette apaisante épuration accomplie en préservant l'assemblée de la présence de quiconque porte une paire de chromosomes XX, que faire des hommes qui, bien que porteurs de la paire XY, émeuvent d'autres hommes ou sont émus par d'autres hommes ? D'ailleurs, pourquoi se priver de la présence (inoffensive ?) des femmes qui émeuvent d'autres femmes ou qui sont émues par d'autres femmes, ou encore - pour poursuivre comiquement la série - des ménopausées que certaines sociétés primitives promouvaient jadis à un statut viril ?
J'espère ici que Jean-François Rémond sera d'accord avec moi : la question érotique comme question critique est effectivement dans ces cas à mettre d'urgence à l'ordre du jour... soutenue par la lecture de quelques grandes oeuvres littéraires et de quelques grandes oeuvres de sciences humaines attestant que la sexualité humaine c'est toute une histoire et non une mécanique.
7 - L'homosexuation comme "identité" et comme harmonie congédie la concorde, la sexualité, et la singularité
Reste, finalement, un seul argument en faveur de la non-mixité et il est particulier : "Je souhaitais garder le visage singulier de ma Loge, en garder l'identité" ; "il s'agissait d'en continuer l'identité", et adopter le principe de la mixité eût été "en fonder une autre". Cet argument me plonge dans la perplexité. L'identité d'une loge maçonnique est-elle à ce point fixe et immuable que l'entrée d'un nouveau membre, quel que soit son sexe, ne la modifie pas, ne la remet pas en question et ne l'oblige pas à un travail sur elle-même ? Ou cette identité doit-elle être à ce point chérie que tout nouveau membre, pour ne pas en menacer la stabilité, doive être formaté, "pierre taillée" satisfaisant un prérequis biologique fixe et prenant sa juste place dans un plan exempt de trouble ? Je ne parviens pas à souscrire à cet idéal ronronnant d'harmonie préétablie, à laquelle, comme je l'ai déjà dit, je préfère la concorde comme création critique continuée.
La préservation de l'identité sexuelle, présentée comme recours devant l'effacement des différences, ne se retourne-t-elle pas en une demande d'homogénéité identificatoire purement adventice (tous porteurs de XY!) qui s'interdit d'accueillir bien des singularités, ne voyant en elles que l'hétérogénéité tout aussi adventice (porteuses de XX) qu'on a déjà décidé d'exclure, et formant du même coup une deuxième communauté identificatoire par un alignement analogue ? Comment peut-on souscrire à cette confusion entre sexuation biologique fixe et sexualité humaine polymorphe, variable, travaillée qu'elle est par le symbolisme ? Comment surtout peut-on en faire un critère d'admission et d'exclusion dans une association essentiellement "philosophique, humaniste et progressive" ?
Et alors, par ces collections homosexuées promues comme singularités du seul fait de leur homogénéité sexuelle, n'est-ce pas, avec la sexualité humaine et au-delà d'elle, toute singularité individuelle dans son principe qui est congédiée et menacée - "ce droit d'être comme ne sont pas les autres" que j'ai tenté de penser en d'autres lieux, qui comprend entre autres le droit pour un homme d'être différent des autres hommes et aussi, on l'oublie trop souvent (préalable n° 4), le droit pour une femme d'être différente des autres femmes ?
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© Catherine Kintzler, 2009
Lire les articles précédents du même dossier :
I - Le GODF franchit le mur du ç... (par C. Kintzler)
II - Le GODF et la mixité : à propos de quelques tartufferies progressistes (par J.-F. Rémond)
La mixité, principe de concorde et de singularité
Réponse à Jean-François Rémond
par Catherine Kintzler
En ligne le 22 septembre 2009
Lire les articles du même dossier :
I - Le GODF franchit le mur du ç... (par C. Kintzler)
II - Le GODF et la mixité : à propos de quelques tartufferies progressistes (par J.-F. Rémond)
IV - Mixité ? - Non : liberté des Loges ! (par Ch. Arambourou)
Lire les articles du même dossier :
I - Le GODF franchit le mur du ç... (par C. Kintzler)
II - Le GODF et la mixité : à propos de quelques tartufferies progressistes (par J.-F. Rémond)
IV - Mixité ? - Non : liberté des Loges ! (par Ch. Arambourou)
A la suite de la publication par Mezetulle d'un bloc-notes "Le GODF franchit le mur du ç..." au sujet du refus de la mixité par le Grand Orient de France, Jean-François Rémond a soutenu la non-mixité dans un article intitulé "Le GODF et la mixité : à propos de quelques tartufferies progressistes".
Catherine Kintzler lui répond ici.
Sommaire de l'article
- Quatre préalables
- La comparaison avec le racisme, procédé digne des "grenouilles de bénitier boboïdes"
- Vulgarité ou grossièreté ?
- La question érotique évacuée comme résiduelle par une mixité uniformisante
- La question érotique comme question critique
- L'irruption de l'érotisme, scénario comique et mécanique
- L'homosexuation comme "identité" et comme harmonie congédie la concorde, la sexualité et la singularité
1 - Quatre préalables
Quelques préalables élémentaires me semblent devoir être rappelés ici.
1° "Les droits des hommes résultent uniquement de ce qu’ils sont des êtres sensibles, susceptibles d’acquérir des idées morales et de raisonner sur ces idées." C'est ce que déclare Condorcet dans un admirable texte intitulé Sur l'admission des femmes au droit de cité (édition Arago, volume X, p. 122) et il poursuit aussitôt : "Ainsi les femmes, ayant les mêmes qualités, ont nécessairement des droits égaux." La conséquence est très simple, encore faut-il consentir à la formuler.
On m'objectera que cela est hors-sujet : la franc-maçonnerie étant une association régie par la loi de 1901, il ne lui appartient pas d'accorder des droits. D'où le second préalable qui validera rétroactivement le premier.
2° A ma connaissance, la franc-maçonnerie n'est pas une association où les données morphologiques ou biologiques sont déterminantes : ce n'est ni une fédération sportive, ni un club d'apnée, ni une association de personnes dont la taille excède 1,75m ou qui prennent aisément des coups de soleil. Je n'ai rien contre de telles associations, dont les statuts sont clairs. Ceux du GODF ne le sont pas moins. Se réclamant de l'héritage des Lumières, il se déclare association philosophique, humaniste et progressive et sa devise est la même que celle de la République française : "Liberté - Egalité - Fraternité".
L'humanisme du GODF souscrit, me semble-t-il, à la conception condorcétienne de l'être humain : un être sensible, susceptible d'acquérir des idées morales et de raisonner sur ces idées - ce qui fonde sa perfectibilité à laquelle travaille, entre autres, la franc-maçonnerie. Je n'ai jamais rien attendu d'autre en Loge qu'un travail reposant sur les qualités partagées que sont la raison, la sensibilité et l'expérience.
3° Lorsqu'on parle de différence des sexes, on peut entendre par là, soit une détermination liée à la présence d'un appareil reproducteur sexué (déterminé biologiquement par une paire de chromosomes XX ou XY), soit le traitement imaginaire et /ou symbolique par des êtres parlants s'appuyant sur des éléments perceptibles témoignant de l'existence de cet appareil, ainsi que les comportements sexuels nécessairement polymorphes qui sont liés à ce traitement contingent. Dans le premier sens, la classification "mâle / femelle", même si elle n'est pas toujours aussi évidente à établir qu'on le croit, relève d'une description qui ne pose guère problème. Dans le second, on peut et on doit tenir que chaque être parlant est traversé, tourmenté, travaillé et divisé en lui-même par cette différence qui devient culturelle et qui est, je le souligne à nouveau, polymorphe. Ainsi la condition d'être humain sexué n'est pas simplement un invariant biologique, mais une histoire. D'un invariant, on ne sort pas. Une histoire se construit, presque toujours à notre insu, contingente et complexe. A tel point que, par exemple, un individu peut souhaiter se défaire du "rôle sexuel" qui lui a été distribué non par une nature, mais par un discours.
4° Je demande au lecteur, à la lectrice, de maintenir constamment présente à son esprit l'hypothèse suivante : J'aurais pu avoir le malheur et le bonheur de naître avec un autre appareil reproducteur.
C'est munie de ces préalables que je parcours le texte de Jean-François Rémond.
2 - La comparaison avec le racisme, procédé cher aux "grenouilles de bénitier boboïdes"
Je commencerai par le point qui fait mouche et qui m'a décidée à publier le texte de Jean-François Rémond dès que j'en ai pris connaissance : l'enrôlement des troupes bienpensantes ("les grenouilles de bénitier boboïdes") derrière la revendication de mixité ; la mixité comme idée reçue et comme alibi pour ne pas penser, à l'instar de l'antiracisme de convenance qui procède par solidarisations rhétoriques et analogies. Je dois dire que je suis sensible au reproche : Mezetulle cédant à la facilité et trahissant le principe selon lequel chaque article du blog s'efforce de soulever un enjeu pour la pensée!
Mais je ne vois pas pourquoi je repousserais une idée au prétexte qu'elle est répandue : l'important n'est pas qu'elle soit répandue, mais qu'elle soit juste et surtout qu'elle présente un contenu de pensée. A suivre Jean-François Rémond, la comparaison avec le racisme, suggérée par mes artifices rhétoriques dignes des effets spéciaux d'opéra, ne serait rien d'autre qu'un procédé de solidarisation "d'une prétendue discrimination [i.e. l'exclusion des femmes par le GODF] à d'autres effectives [celle des Noirs, des Arabes, des Juifs, ailleurs et en d'autres temps]".
Autrement dit, pour Jean-François Rémond, l'éviction des femmes au seul motif de ce qu'elles sont, sur la seule présence d'un appareil reproducteur qu'elles n'ont pas choisi (la différence des sexes au sens n°1), n'est pas une discrimination, alors que les exclusions suggérées par l'énumération de substitution que j'ai utilisée comme "écran de fumée", sont effectives, réelles : soyons sérieux, vous n'allez pas comparer l'exclusion des femmes à celle, jadis, des Noirs ou à l'antisémitisme ! Mais si ! car même si, en l'occurrence et s'agissant du GODF, elle n'a pas les mêmes effets, elle repose exactement sur le même principe : on vous objecte ce que vous êtes. Et, c'est un comble, pour vous admettre dans une association humaniste, on commence par s'aveugler à votre humanité, la trouvant trop chargée par un caractère qui pourtant n'en fait pas l'essence et auquel on devrait plutôt rester indifférent. C'est l'usage de ce principe que j'entendais dénoncer dans mon petit bloc-notes. Au prétexte que ce principe n'a pas ici les effets tragiques (ils seraient d'ailleurs plutôt comiques) qu'il a pu avoir ailleurs et en d'autres temps, Jean-François Rémond, finalement et au bout d'une longue page, le trouve justifié. S'agissant des femmes seulement, et seulement du GODF, bien entendu !
Après tout, et comme il le dit lui-même un peu plus loin à propos du "sujet de droit", les principes ne sont que des abstractions... et le sujet débarrassé de ses particularités convoqué régulièrement par moi ne se rencontrant pas dans le réel, on ne voit pas pourquoi on lui donnerait droit de cité (on croirait lire Burke critiquant la Révolution française !). Le problème est que ce mépris s'applique en fait à tout concept : faut-il cesser de penser au prétexte qu'aucune théorie n'épuise le réel? Et faut-il penser alors que l'exigence maçonnique de "laisser ses métaux à la porte du Temple" nage dans l'abstraction irréaliste ?
3 - Vulgarité ou grossièreté ?
J'ai usé, s'étonne ensuite l'auteur, de termes "imprévus dans un blog intellectuel" - comme "nichons" "gonzesses" et "couilles" : voilà encore un choix tactique pervers destiné à faire obstacle à la pensée !
Ce choix de termes grossiers (j'ai effectivement utilisé "nichons" et "couilles" dans ma réponse à un commentaire) est bien tactique. Loin de faire obstacle à la pensée, ces termes sont d'abord une réponse à la vulgarité insigne de la déclaration (insultante à la fois pour les femmes et pour la franc-maçonnerie) que j'ai citée dans le bloc-notes en question : l'emploi du terme "gonzesse" était destiné à relever cette vulgarité blessante.
Ensuite, deux de ces termes sont la désignation argotique (travaillée par un imaginaire) de parties du corps : les seins et les testicules. Il s'agit bien, en l'occurrence, de parties du corps liées à la présence d'un appareil reproducteur. Et sous quel autre motif le GODF exclut-il les femmes que celui d'être pourvues d'un appareil reproducteur dont les seins sont un élément, appareil reproducteur dont quelques êtres parlants fantasment les propriétés pour prétendre que en présence de femmes tout change, on n'est pas serein, on est embarqué dans une spirale de trouble ? Des seins, on passe bien aux nichons, de l'utérus à l'hystérie... C'est pourquoi, paraphrasant Le Canard Enchaîné, je me suis amusée à effectuer le même glissement s'agissant de l'autre sexe, en un jeu de mots où le çouillon se pare d'une cédille... (voir le préalable n°4) ! Le seul point où Jean-François Rémond a vu juste ici, c'est que je l'ai fait exprès.
4 - La question érotique évacuée comme résiduelle par une mixité uniformisante
J'en viens au point qui me semble principal et vraiment riche pour la pensée. La question érotique serait évacuée par l'injonction de mixité - comme un "reste" que la mixité voudrait résiduel.
Naïvement je pensais que c'est plutôt l'inverse... mais il semble que Jean-François Rémond entend ici par mixité, non pas la coexistence fraternelle et critique de singularités, mais une uniformisation indistincte et tellement harmonieuse qu'on est prié de ne pas y aborder les sujets qui fâchent. Auquel cas je n'ai rien à lui répondre, lui faisant remarquer cependant que la non-mixité présente autant de risques d'harmonie préétablie tiédasse, consensuelle et fusionnelle que la vulgate progressiste qu'il dénonce à juste titre.
Je dois donc préciser que ce que je viens chercher en maçonnerie, ce n'est pas une harmonie dictée par des prédéterminations, mais une concorde critique et constamment travaillée entre des sujets singuliers et divers : à mes yeux la franc-maçonnerie n'est pas une église et nul ne peut y trouver de place fixée tranquillement à l'avance.
Mais revenons à la question érotique fondamentale, dont je distingue deux variantes.
5 - La question érotique comme question critique
Première variante : la question érotique en tant que question, ou encore comme question critique traversée par la différence des sexes - posée, comme le dit à juste titre Jean-François Rémond, par la création artistique, l'écriture romanesque, entre autres. Ces seuls exemples montrent bien qu'il n'est pas question de la différence des sexes au sens n°1, morphologique ou biologique, mais bien au sens n°2 autrement plus riche, plus opaque, plus compliqué, qui engage la "dissymétrie" dont parle Jean-François Rémond, dissymétrie que je crois présente en chaque être humain et non pas répartie de façon confortablement binaire.
Il est clair à mes yeux que cette question, cette "part obscure de la dissymétrie", ne saurait être évitée ou, pire, aplanie par un discours égalisant ; elle peut et doit être posée par la pensée philosophique, et par conséquent par le travail maçonnique. A en croire Jean-François Rémond, la mixité serait une opération de gommage, introduisant un discours d'ordre moral aux termes duquel on devrait s'interdire d'aborder toute dissymétrie (et particulièrement celle relative à la différence des sexes) comme inconvenante (version dame patronesse) ou (version "progressiste") comme négligeable. La mixité à ce compte ne serait qu'une opération de censure bienpensante.
Je réponds que la mixité comme principe (et non la revendication d'amputation des différences avec laquelle Jean-François Rémond s'ingénie à la confondre, et pas davantage la revendication absurde de parité qui fige confortablement une différence qui devrait rester problématique), n'interdit aucun discours et n'en prescrit aucun, elle interdit seulement qu'on interdise l'admission dans telle ou telle association sur des motifs relatifs à une donnée biologique que l'intéressé(e) n'a pas choisie. Je n'ai jamais parlé d'autre chose s'agissant de mixité.
Jean-François Rémond ajoute sur ce point une considération révélatrice : au fond, selon lui, les partisans de la mixité ont peur des femmes, ils redouteraient l'existence d'une féminité "généreuse, libérale et surabondante" et ne supportent les femmes qu'amputées de ces propriétés.
C'est avouer qu'on tient cette vision de la féminité (avec son cortège de générosité, de libéralité et de surabondance !) et la "féminité" elle-même pour une propriété essentielle des femmes. C'est avouer qu'on tient pour coïncidentes une différence biologique et une version de cette différence modifiée, travaillée par l'imaginaire et le symbolique.
Il est vrai qu'on parle fort souvent de "féminité" sans se demander au juste quel en est le contenu conceptuel et si ce contenu doit forcément coller à la peau des femelles humaines. Il est certain que cette vision de la "féminité" existe, il est probable même qu'elle est assumée par nombre de femmes, mais est-ce une raison pour la présenter comme essentielle? Que doit-on faire de celles qui la refusent, qui ne s'y identifient pas, qui ne s'y reconnaissent pas ? Que doit-on faire de celles pour qui la féminité est mesquine, étroite et liberticide, et pourquoi s'acharner à la leur asséner ? Que doit-on faire de celles qui refusent l'idée même de féminité ? Faut-il dire qu'elles ne sont pas de "vraies femmes" parce que certains s'imaginent qu'il existe une féminité "dans sa différence spécifique" et la projettent sur les femmes comme un destin ? La question peut bien sûr être retournée dans sa dissymétrie : que faire de ceux qui ne s'accommodent pas de l'obligation de virilité ou qui en refusent l'idée même ? Ce monde binaire où se côtoient en se faisant peur des "vraies" femmes et des "vrais" hommes, j'avoue que j'étais à mille lieues de penser qu'une Loge maçonnique, philosophique, humaniste et progressive, puisse en construire de toutes pièces le fantasme et de le tenir pour réel au point d'en faire une détermination pour ses décisions.
En outre, je n'arrive pas à comprendre pourquoi la position de la question érotique, fondamentale et vraiment sérieuse aux yeux de Jean-François Rémond et aux miens, requerrait l'homosexuation (au sens biologique) des interlocuteurs qui la traitent dans leurs échanges. Faut-il comprendre que, lorsque des hommes (porteurs de la paire XY) la posent en loge maçonnique, ils tiennent que les oreilles des femmes (porteuses de la paire XX) ne sauraient entendre ce qu'ils en ont à dire, et réciproquement ? Cette surdité mutuelle et fantasmatique est peut-être un élément des sociétés dites profanes, mais il appartiendrait plutôt à la franc-maçonnerie de la traiter et de la surmonter : quand on recherche la concorde par la circulation de la parole, on ne commence pas par camper sur une harmonie préétablie par des chromosomes. Pour poser cette question, Socrate, qui vivait dans une des sociétés les plus féroces pour les femmes, juge indispensable de solliciter Diotime, de plein droit. Le GODF de 2009, non. Pourquoi ? parce que Diotime est porteuse de la paire XX... C'est assurément une décision démocratique : mais on a le droit, en démocratie, de critiquer les décisions que l'on juge ineptes !
6 - L'irruption de l'érotisme, scénario comique et mécanique
La seconde variante de la question érotique est l'irruption de l'érotisme dans une assemblée. Je ne ferai pas l'injure à Jean-François Rémond de croire qu'il ait pu un seul instant penser à ce qui n'est pas une thèse, mais un scénario.
Scénario néanmoins évoqué assez fréquemment et sans crainte du ridicule par bien des déclarations de membres du GODF soutenant la non-mixité : à les entendre, la seule présence d'une femme (porteuse de XX) les réduirait à une dimension de trouble et de désir, à une spirale de concupiscence incompatible avec les travaux philosophiques accomplis en Loge. C'est une manière de dire que les femmes (porteuses de XX) font partie des métaux que l'on dépose à la porte du Temple, que leur éviction est une condition de la sérénité du travail maçonnique, et qu'on n'accède à l'humanité que là où elles sont absentes. C'est une manière aussi de se mépriser soi-même en s'identifiant mécaniquement à une obligation de virilité encombrante.
Mais une fois cette apaisante épuration accomplie en préservant l'assemblée de la présence de quiconque porte une paire de chromosomes XX, que faire des hommes qui, bien que porteurs de la paire XY, émeuvent d'autres hommes ou sont émus par d'autres hommes ? D'ailleurs, pourquoi se priver de la présence (inoffensive ?) des femmes qui émeuvent d'autres femmes ou qui sont émues par d'autres femmes, ou encore - pour poursuivre comiquement la série - des ménopausées que certaines sociétés primitives promouvaient jadis à un statut viril ?
J'espère ici que Jean-François Rémond sera d'accord avec moi : la question érotique comme question critique est effectivement dans ces cas à mettre d'urgence à l'ordre du jour... soutenue par la lecture de quelques grandes oeuvres littéraires et de quelques grandes oeuvres de sciences humaines attestant que la sexualité humaine c'est toute une histoire et non une mécanique.
7 - L'homosexuation comme "identité" et comme harmonie congédie la concorde, la sexualité, et la singularité
Reste, finalement, un seul argument en faveur de la non-mixité et il est particulier : "Je souhaitais garder le visage singulier de ma Loge, en garder l'identité" ; "il s'agissait d'en continuer l'identité", et adopter le principe de la mixité eût été "en fonder une autre". Cet argument me plonge dans la perplexité. L'identité d'une loge maçonnique est-elle à ce point fixe et immuable que l'entrée d'un nouveau membre, quel que soit son sexe, ne la modifie pas, ne la remet pas en question et ne l'oblige pas à un travail sur elle-même ? Ou cette identité doit-elle être à ce point chérie que tout nouveau membre, pour ne pas en menacer la stabilité, doive être formaté, "pierre taillée" satisfaisant un prérequis biologique fixe et prenant sa juste place dans un plan exempt de trouble ? Je ne parviens pas à souscrire à cet idéal ronronnant d'harmonie préétablie, à laquelle, comme je l'ai déjà dit, je préfère la concorde comme création critique continuée.
La préservation de l'identité sexuelle, présentée comme recours devant l'effacement des différences, ne se retourne-t-elle pas en une demande d'homogénéité identificatoire purement adventice (tous porteurs de XY!) qui s'interdit d'accueillir bien des singularités, ne voyant en elles que l'hétérogénéité tout aussi adventice (porteuses de XX) qu'on a déjà décidé d'exclure, et formant du même coup une deuxième communauté identificatoire par un alignement analogue ? Comment peut-on souscrire à cette confusion entre sexuation biologique fixe et sexualité humaine polymorphe, variable, travaillée qu'elle est par le symbolisme ? Comment surtout peut-on en faire un critère d'admission et d'exclusion dans une association essentiellement "philosophique, humaniste et progressive" ?
Et alors, par ces collections homosexuées promues comme singularités du seul fait de leur homogénéité sexuelle, n'est-ce pas, avec la sexualité humaine et au-delà d'elle, toute singularité individuelle dans son principe qui est congédiée et menacée - "ce droit d'être comme ne sont pas les autres" que j'ai tenté de penser en d'autres lieux, qui comprend entre autres le droit pour un homme d'être différent des autres hommes et aussi, on l'oublie trop souvent (préalable n° 4), le droit pour une femme d'être différente des autres femmes ?
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© Catherine Kintzler, 2009
Lire les articles précédents du même dossier :
I - Le GODF franchit le mur du ç... (par C. Kintzler)
II - Le GODF et la mixité : à propos de quelques tartufferies progressistes (par J.-F. Rémond)