2 mai 1970 6 02 /05 /mai /1970 00:05

Leçon de clarté
par Jean-François Rémond
source: le blog Irrisor 9 avril 07 - (note du 20 nov. 2010 : ce blog n'est hélas plus en ligne)

En ligne sur Mezetulle le 16 mai 07


Je remercie Jean-François Rémond de me permettre de reprendre cet article publié sur son blog Irrisor. Son texte est merveilleusement homomorphe à ce que j'ai tenté de faire dans le livre qu'il commente : une forme brève où la pensée n'a affaire qu'à elle-même.

Catherine Kintzler livre un Qu'est-ce que la laïcité ? chez Vrin dans la collection "chemins philosophiques". Cette collection impose à ses auteurs un "calibre" limité, pourtant le résultat, en l'occurence, est heureux. L'auteur relève ce défi  en évitant le piège d'un contenu obscur à force d'être dense et on lit, au contraire, un style très clair, très français. Avant d'ouvrir le livre, je pensais avoir une idée de ce qu'est la laïcité que j'approchais, comme beaucoup, plutôt par le biais de ses combats sous la IIIe République jusqu'à la loi de séparation, une approche finalement historiciste...

On découvre, dans le livre, une approche purement philosophique de la notion . Catherine Kintzler mène cette approche à la fois avec un suspens qui évoque celui des grands polars et aussi avec celui que l'on trouve dans les grandes oeuvres philosophiques. Il s'agit bien de refonder philosophiquement la notion de laïcité, de façon audacieuse, radicale et que l'on se gardera bien ici de vouloir résumer. On pense d'ailleurs plus à Descartes et à son entreprise de refondation de l'édifice du savoir qu'à Kant auquel renvoie le "moment transcendantal" ou à Rousseau qui indique la forme d'un contrat paradoxal en ce qu'il ne supppose pas des "parties prenantes existantes".

 Comme lorqu'on relit Descartes, et bien qu'il s'agisse d'une relecture, on se dit que Catherine Kintzler ne pourra pas parvenir à fonder la notion de laïcite sans rencontrer sous une forme ou une autre ce concept vague que l'on appelle "le social", on se dit qu'elle devra en passer par une phénoménologie des rapports entre ce social et le religieux... Et bien non ! L'auteur mène son entreprise jusqu'à son terme et , à la manière de son devancier illustre, parvient à construire la notion de laïcité de façon telle que dans cette construction la pensée n'a affaire qu'à elle-même et certainement pas pour venir aider à la mise en forme d'un donné social qui lui préexisterait. On se souvient que, de façon analogue, Descartes  n'avait pas fondé le nouvel édifice du savoir sur un prétendu réel mais en avait trouvé le premier maillon dans la coincidence de la pensée avec elle-même dont ensuite, beaucoup  plus tard, était déduite la certitude de l'existence de ce réel. Ainsi Catherine Kintzler fonde-t-elle la notion de laïcité sans y mettre autre chose que ce qui est apporté en propre par le pur et seul mouvement de la pensée. C'est un véritable exploit si l'on considère à quel point la notion était encombrée de références historiques plus ou moins claires, à quel point elle véhiculait des prises de position aussi vagues que d'ordre idéologique.

 Bref, dans les vraies oeuvres de l'esprit, auxquelles appartient ce beau livre, celui-ci n'a affaire qu'à lui-même. Cette radicalité du geste fondateur, on la retrouve jusqu'à la fin et à la critique de cette nouvelle forme de religiosité qu'est cette nouvelle religion civile du "lien". On peut ainsi faussement se croire un laïc seulement parce qu'on est dans la critique des religions traditionnelles et être en réalité au coeur de l'illusion religieuse parce que l'on voue un culte à ce fameux lien social. Il s'agit aussi de se défaire de la fausse évidence de la nécessité de ce lien et d'oser  "le droit de n'être pas comme sont les autres" !  Instruire n'est donc pas "injecter" du pseudo lien, c'est plutôt détacher l'élève, le libérer en le convoquant à assumer ce droit. Il n'y a, au fond, qu'une seule méthode : il faut que l'élève lui-même donne un contenu à ce droit formel, non pas un contenu qui résulterait de l'originalité extravagante qu'évoquait Kant mais un contenu qui puisse se déployer et rendre compte de lui-même selon un "ordre des raisons". C'est à la liberté  de l'élève en tant qu'elle s'éclaire par un ordre des raisons  qu'il revient de se donner son propre contenu.

Le livre de Catherine Kintzler, réflexion faite, a le bon format, celui d'un manuel, à savoir ce qui, étymologiquement, doit toujours être à portée de main ...

Voir les autres articles du dossier :
Laurent Fedi "L'utopie laïque"
- CK Réflexions sur "L'utopie laïque" (réponse à L. Fedi)
- La délicieuse défense du droit d'être comme ne sont pas les autres, par Edith Bottineau-Fuchs

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