8 juillet 1970 3 08 /07 /juillet /1970 19:03
La laïcité demande aux religions d'être positives
Réponse au discours de Nicolas Sarkozy recevant Benoît XVI le 12 sept 08

par Catherine Kintzler
En ligne le 27 sept 2008

En parlant une fois de plus de "laïcité positive", Nicolas Sarkozy sous-entend qu'il existe une laïcité négative. Mais le Président se trompe : la laïcité a posé plus de libertés que ne l'a jamais fait aucune religion. C'est aux religions qu'il appartient de devenir "positives" en renonçant à leurs prétentions à l'exclusivité intellectuelle et politique : l'histoire des relations entre la République française et le catholicisme montre que c'est possible, et que c'est finalement une bonne affaire pour les religions.

Ce texte a été initialement publié sur le site de Marianne2.fr le 14 sept. 08.



Nicolas Sarkozy, Paris, 12 septembre 2008 : de l'eau dans le vin de Latran et de Riyad

A lire le discours prononcé par le président de la République recevant Benoît XVI le 12 septembre 2008, on ne peut qu'être frappé par les différences qui le distinguent des discours offensifs - et même insultants - envers les incroyants, prononcés cet hiver à Latran et à Riyad. Il faudrait être aveugle ou de mauvaise foi pour ne pas remarquer le soin avec lequel Nicolas Sarkozy s'est employé à citer ceux qui croient au ciel et ceux qui n'y croient pas sans s'acharner sur ces derniers, sans les traiter comme des mutilés de la pensée, l'application qu'il a mise à souligner le rationalisme de la démocratie républicaine moderne et sa relation à la tradition des Lumières.
Il importe peu que le président soit ou non convaincu par ces propos qui se veulent apaisants : nous n'avons pas à sonder son coeur ; il faut et il suffit de l'entendre comme le politique qu'il ne devrait jamais cesser d'être. L'important est qu'il ait jugé opportun de les tenir : cela sonne comme une révision partielle des propos qui avaient mis le feu cet hiver. Nul doute que tout le monde retenait son souffle et se demandait s'il céderait une fois de plus à ce sens de la provocation qui ne lui réussit pas toujours, notamment en matière de laïcité.
Ne nous y trompons pas cependant. L'insistance à faire figurer le nom de Dieu dans un discours officiel, à en banaliser l'usage, l'éloge final des religions qui "peuvent élargir le coeur de l'homme": autant de pointes, entre autres, qui nous rappellent les excès des précédents discours et servent de piqûre de rappel.


Laïcité : négativité ou minimalisme ?

Reste maintenant à examiner un des noyaux du discours du 12 septembre, que certains appellent hâtivement un concept : la notion de "laïcité positive". La simple juxtaposition sonne plutôt comme une thèse a contrario. La laïcité avant Nicolas Sarkozy ou en dehors de son action serait donc "négative" et heureusement que nous avons un Président pour remédier à cela... !

Il faudrait d'abord s'entendre sur l'emploi des termes "négatif" et "positif".
On peut entendre par là une quantité de contenu au sens doctrinal. De ce point de vue, il n'y a effectivement rien de plus minimal que la laïcité. Elle n'est pas une doctrine, puisqu'elle dit que la puissance publique n'a rien à dire s'agissant du domaine de la croyance et de l'incroyance, et que c'est précisément cette abstention qui assure la liberté de croire et de ne pas croire dans la société civile. Ce n'est pas non plus un courant de pensée au sens habituel du terme : on n'est pas laïque comme on est catholique, musulman, stoïcien, bouddhiste, etc. C'est le contraire : on peut être à la fois laïque et catholique, laïque et musulman, etc. La laïcité n'est pas une doctrine, mais un principe politique visant à organiser le plus largement possible la coexistence des libertés. Qu'on me pardonne ce gros mot : les philosophes parleraient d'un "transcendantal" - condition a priori qui rend possible l'espace de liberté occupé par la société civile. Ce n'est pas ici le lieu de refaire toute la théorie : je l'ai proposée ailleurs et je me permets d'y renvoyer les lecteurs (1).
Confondre minimalisme et négativité, c'est soit une erreur soit une faute. C'est une erreur si la confusion a pour origine une méconnaissance. C'est une faute si, malgré la connaissance, elle s'impose sous une figure de rhétorique qui sonne alors comme une déclaration d'hostilité. Dans les deux cas, il est opportun et urgent de rappeler le fonctionnement théorique du concept de laïcité.


La laïcité pose la liberté

Maintenant, regardons quels sont les effets du minimalisme dont je viens de parler. On découvre alors un autre angle d'attaque pour user des termes "négatif" et "positif", qui les rattache à une question décisive. Il s'agit de l'effet politique et juridique : celui-ci est-il producteur de droit et de liberté?

On pourra aisément montrer que c'est précisément par son minimalisme que le principe de laïcité est producteur, positivement c'est-à-dire du point de vue du droit positif, de libertés concrètes. C'est en effet à l'abri d'une puissance publique qui s'abstient de toute inclination et de toute aversion en matière de croyances et d'incroyances que les religions, mais aussi d'autres courants de pensée, peuvent se déployer librement. A l'abri d'un Etat où règne une religion officielle ou un athéisme officiel. Mais aussi, ne l'oublions pas, à l'abri les uns des autres. En s'interdisant toute faveur et toute persécution envers une croyance ou une incroyance, la puissance publique laïque les protège toutes, pourvu qu'elles consentent à respecter la loi commune.
Il n'y a donc rien de plus positif que la laïcité. Elle pose bien plus de libertés politiques et juridiques que ne l'a jamais fait aucune religion. Car une autre confusion doit être dissipée. Si quelques messages religieux aspirent à une forme de libération métaphysique et morale, aucune religion n'a été en mesure de produire la quantité de libertés positives engendrées par la plate-forme minimaliste de la Révolution française - première occurrence du concept objectif de la laïcité même si le mot apparaît plus tard. Du reste ce n'est pas la préoccupation essentielle des religions, qui ne sont heureusement pas réductibles à leurs aspects juridiques.

Quelle religion a institutionnalisé la liberté de croyance et d'incroyance ? Laquelle a, ne disons pas instauré, mais seulement accepté de son plein gré le droit des femmes à disposer de leur corps, à échapper aux maternités non souhaitées ? Laquelle serait prête à reconnaître celui des homosexuels à vivre tranquillement leur sexualité et à se marier ? Laquelle reconnaît de son plein gré la liberté de prononcer des propos qui à ses yeux sont blasphématoires ? Inutile de citer l'affaire des caricatures, l'assassinat de Théo Van Gogh, pas besoin de rappeler les lapidations, ni de remonter au procès de Galilée ou au supplice du Chevalier de La Barre : les exemples sont légion. Aucune des libertés positives que je viens de citer n'a été produite par une religion, directement, en vertu de sa propre force, de sa propre doctrine et par sa propre volonté : toutes ont été concédées sous la pression de combats et d'arguments extérieurs.

On me citera comme contre-exemples l’ex-URSS ou la Pologne : mais la liberté religieuse heureusement rétablie y a été réclamée contre un Etat pratiquant lui-même une forme de religion officielle exclusive. Une religion persécutée a besoin de la liberté de croyance et a raison de lutter pour l'obtenir, mais elle ne la produit pas par elle-même, elle n'est pas elle-même le principe d'une liberté qui vaut pour tous : elle la désire pour elle, ou tout au plus pour ceux qui ont une religion, exclusivement - sa générosité propre ne s'étend pas au-delà. Benoît XVI a rappelé dans un de ses discours du 12 septembre à Paris que, à ses yeux, il n'y pas de culture véritable sans quête de Dieu et disponiblité à l'écouter. Il a bien sûr le droit de le penser et de le dire, mais on a aussi le droit de rappeler que ce principe n'est pas en soi inoffensif : il suffit de lui (re)donner la force séculière pour en prendre la pleine mesure.


Il appartient aux religions de devenir positives et non-exclusives

La laïcité n'a donc pas à devenir positive : elle l'a toujours été, elle est un opérateur de liberté. Davantage : la positivité des libertés n'est possible que lorsque les religions consentent à renoncer à leur programme politique et juridique, que lorsqu'elles acceptent de se dessaisir de l'autorité civile, que lorsqu'elles consentent à se dessaisir de l'exclusivité spirituelle et de la puissance civile auxquelles certaines prétendent toujours. Autrement dit, pour que l'association laïque puisse organiser la coexistence des libertés et par conséquent assurer la liberté religieuse, il est nécessaire que les religions s'ouvrent au droit positif profane en renonçant à leur tentation d'hégémonie spirituelle et civile.

Il convient donc d'inverser l'injonction du président de la République : la laïcité demande aux religions de devenir positives et de renoncer à l'exclusivité tant intellectuelle que politique et juridique. L'histoire des rapports entre la République française et le catholicisme témoigne que c'est possible. Elle témoigne aussi que dans cette opération les religions sont gagnantes. Car elles ne gagnent pas seulement la liberté de se déployer dans la société civile à l'abri des persécutions ; en procédant à ce renoncement elles montrent qu'elles ne sont pas réductibles à de purs systèmes d'autorité ni à un droit canon ou à une charia auxquels il serait injurieux de les restreindre, elles montrent qu'elles sont aussi et peut-être avant tout des pensées. Et à ce titre, elles sont conviées dans l'espace critique commun de libre examen ouvert par la laïcité.


© Catherine Kintzler et Marianne2.fr,  2008

Voir aussi sur ce blog :
- Laïcité : Sarkozy franchit la ligne rouge
- Laïcité et référence religieuse dans les textes constitutifs de l'association politique 
- La laïcité face au communautarisme et à l'ultra-laïcisme

- Secularism and French Politics

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