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L'école et l'entreprise
Est-il opportun, dans une école incapable de leur apprendre l’élémentaire, d’imposer aux élèves deux cours supplémentaires de morale et d’entreprenariat ? Jean-Michel Muglioni ne voit pas comment ces mesures, qui chargent l’emploi du temps des classes et qui sont coûteuses, peuvent préparer l’insertion de quiconque dans le monde du travail. Mais il n’ose pas envisager ici que ce soit de la part des gouvernements de gauche comme de droite une manière de catéchisme préparant les élèves non plus à la vie future à laquelle ils croient de moins en moins, mais à la dégradation programmée des conditions de travail.
Le pays manque de créateurs d’entreprises, et, quand il y en a, il ne les honore pas ; il ignore l’importance de leur rôle. Tout le monde s’accorde sur ce diagnostic et même sur le remède : puisque les Français, au sortir de leurs études, ne se précipitent pas avec enthousiasme vers l’entreprise, dorénavant tous les élèves suivront de 11 ans à 18 ans un cours d’entreprenariat, discipline nouvelle créée pour l’occasion, qui s’ajoutera aux multiples autres et au cours de morale dernièrement remis au programme, le temps scolaire étant infiniment extensible. L’échec de cette mesure sera imputé non sans raison au manque de conviction de maîtres. Que pourront-ils dire en effet à leurs élèves ?
« Pour l’épreuve d’entreprenariat au baccalauréat, ne vous faites pas de souci. Dites seulement que vous aimez l’entreprise, et même si vous refusez, il y aura 80 pour 100 de reçus dans votre classe d’âge, preuve que votre pays est un grand pays développé. Nous n’avons pas le droit de vous imposer la discipline nécessaire au fonctionnement normal d’une classe. Nous n’avons pas le droit de vous imposer de travailler. Vouloir vous faire respecter l’orthographe et la grammaire est fasciste. Exiger de vous une attention trop longue est dangereux pour votre santé, selon les psychologues qui, heureusement pour la bonne marche de l’entreprise, veulent bien que vous consommiez des clips et des publicités au lieu de vous entraîner à suivre de longs discours. Il est vrai que devenus capables d’être attentifs plus d’un instant, vous pourriez vous instruire, et dès lors cesser de prendre au sérieux les propos des politiques et des journalistes. Imaginez en outre que, convaincus par l’école qu’il faut travailler régulièrement, vous exigiez chez vous de vos parents le calme dont vous avez besoin pour apprendre : toute la vie de la maison s’en trouverait perturbée.
« Mais une fois vos études achevées, les vacances seront finies : ce sera le temps de l’entreprise, il faudra travailler, produire, contribuer à la croissance. Et si vous ne voulez pas, aucune association de parents d’élèves ni aucun tribunal ne prendra votre défense. Pour être embauchés, vous devrez même écrire une lettre de motivation, que vous soyez motivés ou non, et de préférence sans fautes d'orthographe. Fini le temps où l’école devait prendre en compte vos motivations et où le maître n’était pas tenu de vous instruire si vous n’en manifestiez pas le désir. Ceux d’entre vous que la perspective de passer quarante-cinq ans dans l’entreprise ne réjouit pas ne doivent pas désespérer : tout le monde s’accorde aussi pour dire que vous ne trouverez d’emploi que si la croissance revient, et personne ne sait si elle reviendra un jour. »
Les élèves sont intelligents. Il sera inutile de les prévenir ainsi : ils comprendront qu’on se moque d’eux. A moins que l’annonce de ces mesures, dans une école dont un très grand nombre d’élèves sortent sans savoir ni lire ni écrire, ne soit un canular.
© Jean-Michel Muglioni et Mezetulle, 2013
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