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Politique d'intégration et culpabilisation
Mezetulle découvre avec intérêt les grandes lignes de la « refondation de la politique d'intégration » qui fait l'objet de toutes les attentions du Premier ministre. Une page du site officiel du gouvernement lui est consacrée ; on y voit la photo de Jean-Marc Ayrault recevant le rapport Tuot, commandé spécialement à cet effet. On y apprendra la composition de 5 groupes thématiques chargés de produire des propositions encadrées par des lettres de mission - expédiées via les ministères concernés - dont le texte mérite d'être connu.
Dans chacune de ces lettres, on peut lire, entre autres, un paragraphe édifiant :
« Refonder notre politique d'intégration suppose de [sic] répondre à l'attente des personnes immigrées et de leurs descendants : être considérées comme n'importe quel Français. Une telle démarche ne peut réussir qu'à la condition d'admettre que la richesse de l'héritage légué par les migrants au fil des âges fait partie de l'identité française, en refusant que les personnes immigrées soient enfermées dans des identités communautaires cloisonnées. Elle suppose également d'[sic] assumer collectivement que les différences faites entre les citoyens, y compris ceux "issus de l'immigration", sont le plus souvent le produit de contextes sociaux "made in France", et non "importés". Pour définir de nouvelles politiques publiques, il est donc indispensable d'opérer un déplacement, un pas de côté dans la façon de concevoir ces questions. »
Que de préliminaires mielleux pour avouer in finem qu'il est « indispensable » d'obéir à un commandement idéologique ! Le plus étonnant est de voir que cette injonction à marcher dans la droite ligne de la bienpensance officielle se présente comme une invitation à effectuer un « pas de côté » : en l'observant, on ne sera pas seulement un bon serviteur, on fera preuve en outre d'une grande originalité !
Ce qui est important, ce n'est pas que les plus criantes et les plus nombreuses des inégalités (chômage, précarité, exploitation au travail, traite des êtres humains, insécurité, condition des femmes...) frappent aveuglément et indistinctement des non-migrants et des migrants. Non, il importe avant tout de se mettre l'idée suivante dans la tête : « le plus souvent » les inégalités qui frappent les « personnes immigrées et leurs descendants » (1) sont un pur produit de la France républicaine (par exemple les mariages arrangés, les crimes d'honneur, l'excision). On vous le dit : il faut assumer collectivement cette idée - se demander si elle est vraie relève du mauvais esprit ! Le texte ne va pas jusqu'à parler de « repentance » : pour une vision morale du monde, c'est un peu court, ça manque de souffle.
Mais, même avec un style feutré, à travers les destinataires des lettres - dont on ne doute pas qu'ils sauront fidèlement rendre des conclusions en accord avec les directives qui leur sont aussi vivement conseillées - , cet impératif d'assomption collective vise un horizon assez large. On comprend très bien que l'une des tâches des missionnaires est de faire en sorte que la culpabilité soit un sentiment dominant à l'égard des migrants. Mais comment prescrire la culpabilité ? Comment mettre au pas ceux qui auraient le front de ne pas se sentir coupables et qui le diraient ? Il faudrait pour cela oser un dispositif moins dérisoire que le choix d'une poignée de chargés de mission pour la bienpensance, et s'inspirer de grands modèles autrement efficaces : l'Inquisition, le stalinisme. Là encore, je trouve que ça manque de grandeur.
On peut télécharger les différentes Lettres de mission, qui contiennent toutes le paragraphe cité ci-dessus, sur le site du gouvernement. [Lien brisé, on peut télécharger le rapport intégral à cette adresse : https://www.cnle.gouv.fr/rapport-tuot-sur-la-refondation.html ]
Au passage on appréciera un détail de présentation : la rédaction est telle qu'on pourrait croire que ceux qui sont en réalité les destinataires des lettres en sont les auteurs ! A la lecture de ces formulations déroutantes, et aussi à celle du contenu des lettres truffé de novlangue politico-administrative, on constate que la politique d'intégration - notamment en matière de mise à niveau en langue française - devrait concerner tout le monde (position que Mezetulle soutient depuis fort longtemps), et pas seulement les « personnes immigrées et leurs descendants » qui assez souvent parlent et écrivent un français autrement correct et intelligible que celui des élites technocratiques à l'origine de bien des morceaux d'anthologie.
1 - J'avoue ma perplexité et même mon inquiétude devant certains usages obsessionnels des notions de « descendance » de migrant et de personne « issue de l'immigration ». Fille de migrant naturalisé, je croyais vraiment être comme tous les autres Français... mais, au cœur d'un texte plein de bons sentiments, j'entends une petite musique en sourdine : .... hum... ce n'est pas tout à fait pareil. Mais ne faisons pas de mauvais procès : on peut brandir le principe de traçabilité avec les meilleures intentions du monde, on peut aussi être involontairement blessant à l'égard de ceux dont on parle alors qu'on ne veut que leur bien - c'est même assez souvent tout le bien qu'on leur veut qui peut rendre blessants les propos qu'on tient à leur sujet.