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Pourquoi ne s’intéresse-t-on pas à la philosophie ?
Le baccalauréat donne lieu chaque année à des commentaires plus étonnants que les pires bourdes des bêtisiers. Jean-Michel Muglioni refuse ici les conclusions d’un rapport ministériel selon lesquelles la jeunesse serait devenue aujourd’hui incapable d’apprendre à penser.
J’apprends dans la presse (1) que selon un rapport officiel (2) les élèves des lycées ne s’intéressent plus à la philosophie : un ancien doyen de l’inspection générale de philosophie révèle qu’ils sont aujourd’hui indifférents à l’aspect libérateur de la philosophie, au point, paraît-il, que certains avouent préférer conserver leurs opinions plutôt que de les mettre en question.
Les bras m’en tombent ! Notre jeunesse serait la première dans l’histoire de l’humanité à préférer dormir dans ses préjugés plutôt que de s’interroger ! Quand Socrate les mettait à la question et leur imposait de juger leurs opinions, les Athéniens l’approuvaient-ils ? L’histoire de son procès n’est-elle qu’une légende ? Si les jeunes gens et leurs parents savaient se déprendre de leurs préjugés avant d’avoir à appris à philosopher, l’enseignement de la philosophie serait inutile. Je ne vois pas à quelle époque de leur histoire les hommes ne se sont pas complus dans leurs opinions. Or ce n’est pas un journaliste qui soutient que les élèves ne voient pas l’intérêt d’être délivrés des opinions communes, mais un ancien professeur de philosophie, oubliant donc que l’année de philosophie a pour finalité de le leur montrer : qu’il en soit venu là est plus un signe des temps que la paresse des cancres.
Un ami me dit que parmi les élèves ayant à commenter à l’examen un texte dont le nom de l’auteur, Rousseau, est suivi du titre de l’œuvre, Emile, certains parlent tout au long de leur dissertation du célèbre Emile Rousseau. Une page de Spinoza était à commenter, qui dit que « la fin de l’Etat » est la liberté : certains comprennent que l’homme sera libre quand il n’y aura plus d’Etat. Or cette page ne permet pas de confondre fin au sens de terme et fin au sens de but. Ces deux erreurs montrent bien quelles sont les difficultés que rencontre aujourd’hui tout professeur avec des jeunes gens de 16 ou 18 ans : ils ne savent pas le français et ignorent l’histoire littéraire. Je ne sache pas que l’ignorance où une génération se trouve de sa langue et de sa littérature ait une autre cause que le fait qu’on ne les lui a pas apprises. Le plus étonnant sans doute est que certains d’entre eux, qui commencent leurs études à 16 ou 18 ans, parviennent à rattraper leur retard. Tout n’est pas perdu : une fois normalement instruits, ils pourront comprendre l’intérêt de la philosophie.
P.S. Au lycée Rodin à Paris, en 1976 ou 1977, après quelques heures de cours, un élève, au demeurant sympathique, m’a dit d’une voie anxieuse : « mais Monsieur, si l’on vous admet ce que vous affirmez, on sera un marginal ».
- Voir notamment : http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20120626.OBS9677/perles-du-bac-on-n-est-pas-philosophe-quand-on-a-17-ans.html
- On peut consulter des extraits de ce texte sur le site Skholè, qui donne également un lien pour le télécharger intégralement .