29 septembre 1970 2 29 /09 /septembre /1970 21:53

Au dictionnaire des « idées reçues » :
La notation arbitraire de l’épreuve de philosophie au baccalauréat
par Guy Desbiens

En ligne le 8 octobre 2010


Une campagne de presse très dure a encore été menée, peu avant la session du baccalauréat de 2010, pour contester la validité de l’épreuve de philosophie, qui jette également le doute, plus généralement, sur le bien fondé de la correction de cet examen. C’est pourtant cette même presse qui, au moment des résultats, se félicite régulièrement de « l’excellent cru du Bac ». Une attitude irrationnelle mais très révélatrice : l’évaluation pratiquée par les enseignants est tenue pour scandaleuse lorsqu’elle est trop exigeante, mais tacitement reconnue lorsqu’elle est plus généreuse.

La polémique fut lancée par le magazine en ligne letudiant.fr qui publia le 16 juin 2010, la veille des épreuves, un dossier intitulé : « notation du bac : une loterie ». Ce type d’enquête, qui n’est pas nouveau, prétendit prouver l’inéquité de la correction en raison des écarts de notation constatés auprès de 10 professeurs sollicités pour corriger la même copie. Qu’il nous soit donc permis de procéder à un examen critique d’une étude dont les procédés, les conclusions et les enjeux nous semblent très discutables.

1.  Cette étude témoigne d’abord d’une profonde méconnaissance de la nature même du travail de correction.

Il est impossible d’attribuer à une copie une note dans l’absolu, mais seulement en comparaison avec d’autres copies et en fonction de la série du candidat : le travail de correction ne peut pas être accompli autrement quel que soit l’examen ou le concours. On remarquera à cet égard qu’une étude de l’IREDU, de mars 2008,  avait déjà abouti aux mêmes conclusions en se basant sur le même type de procédé : faire corriger 3 copies de S.E.S. à une trentaine de professeurs, sans donner aucun barème de correction, afin d’en constater ensuite les variations. Ainsi, « l’expérimentation » crée les conditions lui permettant d’obtenir les résultats qu’elle cherche à démontrer.

  2. De telles « expertises » ne décrivent absolument pas les conditions de correction à l’examen du baccalauréat.

Les enseignants, on le sait, se rencontrent lors de réunions successives (« réunions d’entente », « d’harmonisation ») pour partager et confronter leur point de vue, de sorte que l’évaluation n’est jamais isolée, figée et ponctuelle : elle est le produit d’une réflexion collective élaborant progressivement, à partir de propositions initialement divergentes, des critères communs de notation. Et paradoxalement plus les enseignants, conscients du reproche qui leur est fait, chercheront à assumer leur mission avec sérieux et professionnalisme, plus les media et les prétendus experts en « sciences de l’éducation » s’obstineront à les dénigrer en leur attribuant des pratiques arbitraires. 

3. La notation des enseignants n’est ni subjective, ni arbitraire, même en philosophie où la culture, la réflexion et l’aptitude au raisonnement sont rigoureusement évalués.

Un élève incapable de problématiser un sujet, d'établir clairement un plan, d'avoir un minimum de culture philosophique permettant de penser cette problématique, d'organiser une analyse de manière cohérente et ordonnée, de développer une argumentation, de défendre une thèse, de lui envisager des objections, etc., ne pourra à juste titre obtenir une note très élevée.

4.  L’évaluation de l’épreuve de philosophie se fait aujourd’hui dans le contexte général de dégradation du niveau de connaissances, et même simplement de maîtrise de la langue, de nos élèves.

C’est ce décalage grandissant entre les attentes d’une discipline exigeante et l’indigence des productions écrites de la plupart des candidats qui rend souvent improbable la notation de cette épreuve. Les professeurs de philosophie sont parfois tenus à l’impossible : évaluer la médiocrité !

5.  Enfin, l’accusation d’arbitraire de l’évaluation repose sur une grave incohérence.

En effet, comment peut-on prétendre qu’une copie ne vaut pas objectivement la notation qu’on lui attribue, sans présupposer :
 - Ou qu’il y a une valeur intrinsèque à cette copie, inaperçue par le correcteur, mais celle-ci ne peut, dès lors, être estimée que par… une évaluation plus exacte ! Ce qui revient à admettre ce que l’on cherche précisément à nier.
 - Ou qu’il est impossible d’évaluer les élèves : mais par quoi remplacera-t-on la correction et la notation ? Car évaluer sur d'autres critères que le niveau de savoir, la culture générale, la qualité de l'expression, le style et la correction de la langue, la cohérence, la rigueur de l'analyse, voilà ce qui deviendra totalement arbitraire !

 Mais ne soyons pas dupes : l’enjeu explicitement formulé lors de ces polémiques récurrentes renvoie toujours à « la pertinence » de l’examen du baccalauréat, jugé trop coûteux pour le budget de l’État dans ses modalités d’organisation et de correction : lequel pourrait donc être menacé au moment de l’application de la réforme du Lycée au « cycle terminal » des études secondaires…

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