Bloc-notes
Interdiction : voile intégral ou masque ?
« L'objet des lois est toujours général » (1)
Les députés belges, en pleine tourmente politique, viennent de voter à l'unanimité une loi interdisant la dissimulation complète du visage dans tous les lieux publics.
Si le Sénat belge entérine cette disposition, la Belgique sera le premier État européen à prendre une législation interdisant notamment le port du voile intégral en public. La France, on l'espère, pourrait lui emboîter le pas.
Le texte vise notamment le voile intégral à travers l'interdiction générale du masque volontaire. Car, ne l'oublions pas, dans un État de droit, aucune loi ne peut interdire le port d'un signe ou d'un vêtement propre à une partie particulière de la population et pour cette raison particulière. La loi étant la même pour tous, elle ne peut prendre de dispositions que de manière générale qui s'appliquent en droit à tous, y compris lorsqu'il est fait état de distinctions. C'est donc, fort logiquement, le masquage intégral du visage qui est visé, et non, comme certains veulent le faire croire, un accessoire particulier à une religion, à une coutume, à une communauté. Avec le voile intégral, ce sont aussi les casques intégraux portés ailleurs que sur le véhicule approprié, les cagoules de malfrats ou de type Ku Klux Klan qui se voient frappés.
Les pleurnicheries bienpensantes se lamentant sur une « hypocrisie » et sur une prétendue « stigmatisation » (de qui au fait ? des musulmans ? mais c'est leur faire injure en leur attribuant massivement une pratique que l'immense majorité d'entre eux refuse !) sont non seulement hors de propos mais révèlent une absence de culture républicaine. Les mêmes du reste avancent contradictoirement un nombre relativement restreint de burqas, oubliant 1° que la rareté n'efface pas un délit 2° que le texte ne vise pas que la burqa : tout encagoulé est pris dans le dispositif.
Ah oui, j'oubliais aussi l'argument de « l'inapplicabilité » - on pourrait en dire autant de l'infraction consistant à circuler à vélo sur un trottoir...la sanction en est presque toujours « inapplicable » !
La portée symbolique de la loi n'est pas à négliger, et la légitimité va changer de camp : au lieu d'apparaître comme le nec plus ultra de la libre religiosité ayant pour effet principal de présenter le port du voile non intégral comme banal et « modéré » , le voile intégral ne sera désormais rien d'autre qu'une cagoule, un acte de dissimulation et d'incivilité.
La France pourrait bientôt s'inspirer de l'exemple belge, Le Figaro fait état d'un projet de loi qui dispose dans son premier article que « nul ne peut, dans l'espace public (2), porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». On a bien lu : nul et non pas nulle - les femmes ne sont pas seules visées (et comment pourrait-on savoir qu'il s'agit d'une femme en présence d'un fantôme totalement enrobé ?). On a bien lu aussi une tenue destinée: sortir dans la rue le visage couvert de pansements après un accident au visage ne sera donc pas contraire à la loi.
Mezetulle a publié plusieurs articles depuis bien longtemps sur le sujet (3), et s'est appliquée à réfuter les arguments des néolaïques bienpensants - on rappellera par exemple que, pour cautionner le port de signes religieux à l'école publique, Lionel Jospin avait lui aussi trouvé le secours du Conseil d'Etat, ce qui n'a nullement empêché le vote de la loi de 2004 interdisant ce port à l'école publique. On rappellera aussi que, avant le vote de cette même loi, son « inapplicabilité » avait été largement évoquée.
Reste juste le dernier argument, c'est tout neuf, ça vient de sortir: « Les Français ont d'autres préoccupations - retraites, chômage, pouvoir d'achat - alors vous pensez, le voile intégral, c'est anecdotique ». C'est comme si on conseillait à quelqu'un de ne pas soigner une égratignure ou de cesser de se brosser les dents au prétexte qu'il souffre par ailleurs de plusieurs graves maladies...
- Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social, II, 6.
- Il s'agit ici, à l'évidence des espaces accessibles au public - ceux où nous nous trouvons sous le regard d'autrui et que je préfère appeler l'espace civil - et non des espace participant de l'autorité publique (assemblées nationales et territoriales, tribunaux, école publique élémentaire et secondaire, etc.) qui sont soumis au principe de laïcité. Voir notamment à ce sujet La laïcité face au communautarisme et à l'ultra-laïcisme
- Voir : La burqa, masque et prison, à la fois au-dessus et au-dessous de la loi, Burqa et niqab au-delà du masque : une dépersonnalisation indifférenciée, Pour lutter contre l'intégrisme, faut-il commencer par baisser les bras? et l'intervention de l'UFAL devant la "mission Gérin", rédigée par Marie Perret Légiférer sur le voile intégral, oui ! Mais pas au nom de la laïcité!