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Le vote Front national et les objets politiques abandonnés
Non, Mezetulle ne commentera pas en détail le résultat des élections européennes du 25 mai. Elle ne rejoindra pas le chœur des pleureuses qui, depuis des décennies, abandonnent les objets politiques républicains et s'étonnent ensuite que le corps électoral lui en rappellent rudement l'existence. Cette fois, après avoir essayé la patience, après avoir subi les sarcasmes et la « pédagogie » de ceux qu'on appelle à tort les « élites », les électeurs ont frappé très fort.
En 1988, j'ai eu la chance de rencontrer Robert Badinter, alors président du Conseil constitutionnel. Nous avons très librement parlé politique, entre autres de politique scolaire, mais pas seulement. Je me rappelle avoir dit alors : « si le PS continue à mener une politique antirépublicaine, alors le FN s'emparera des thèmes laissés à l'abandon et ramassera la mise ». En 1989, le ministre de l'Éducation nationale, lors d'une affaire d'affichage de signes religieux par des élèves au collège de Creil, au lieu d'appliquer les circulaires Jean Zay, bottait en touche et laissait même certains journalistes parler de « racisme » à propos des professeurs. Il a fallu rien moins que 15 ans et une loi pour retrouver des rails républicains à ce sujet. Ce n'est qu'un exemple, mais il est symbolique et significatif.
Le résultat d'une obstination dans cette voie pendant 25 ans, droite et gauche confondues, est éclatant. Consultés en 1992 sur le Traité de Maastricht, les électeurs qui ont osé avouer un vote négatif se sont vu traiter de débiles mentaux. Consultés en 2005 sur le Traité constitutionnel européen, les Français ont voté non : il n'en a pas été tenu compte. Ils s'entendent dire doctement tous les jours par des notables oublieux de la Révolution française, oublieux de l'œuvre de la Commune de Paris et de celle du Conseil national de la Résistance, que c'est tellement mieux ailleurs, que le déficit est mauvais quand il est français mais bon quand il est américain ou japonais, que la Marseillaise est un hymne guerrier insupportable, que la laïcité est « stigmatisante », que l'idée de nation est en elle-même suspecte, que s'opposer au multiculturalisme est une posture « nauséabonde », que l'école doit être sans cesse renvoyée à son extérieur (1), qu'ils sont « frileux » parce qu'ils pensent que citoyenneté et nationalité coïncident (2), que jacobinisme et intégration sont des gros mots, que les services publics et le travail coûtent cher (3), et qu'en matière économique il n'y a pas d'alternative : il faut se serrer la ceinture pour satisfaire les conditions de la zone euromark. Sans compter le principal : pauvreté, chômage, précarité, désindustrialisation et dumping social. Comment s'étonner qu'ils se vengent en s'abstenant ou en glissant un bulletin FN dans l'urne lors d'un scrutin dont l'intérêt principal est de permettre l'expression de leur exaspération légitime puisqu'en matière européenne il n'y a aucune chance pour que ça change ?
Mezetulle n'est guère compétente sur bien des sujets, mais a produit en 2011 une analyse sur un objet abandonné qu'elle connaît bien, elle invite les lecteurs à relire l'article : Comment la laïcité a été offerte en cadeau au Front national (4).
1 - Voir http://www.mezetulle.net/article-l-ecole-de-la-republique-refondation-ou-reforme-109609448.html
2 - Voir l'article de Jorge Morales http://www.mezetulle.net/article-indivisibilite-et-pragmatisme-le-droit-de-vote-des-etrangers-par-j-morales-120728341.html et celui de Philippe Foussier http://www.mezetulle.net/article-nationalite-une-citoyennete-a-geometrie-variable-par-p-foussier-112890253.html
3 - Voir l'article de Jean-Michel Muglioni http://www.mezetulle.net/article-le-cout-du-travail-par-j-m-muglioni-101301384.html
4 - Dont l'argumentation est reprise aux chapitres 3 et 4 de Penser la laïcité.
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