11 juillet 1970 6 11 /07 /juillet /1970 12:06
Catherine Kintzler face à Tariq Ramadan: les rumeurs
Compte rendu de l'émission "Ce soir ou jamais" FR3 du 23 octobre

par Catherine Kintzler
En ligne le 6 novembre  2008

L'émission "Ce soir ou jamais" (FR 3, animée par Frédéric Taddeï) du 23 octobre dernier, sur le thème "A-t-on besoin des religions ?" a suscité de nombreuses réactions et, inévitablement, une campagne de rumeurs au sein du mouvement laïque lui-même. La meilleure manière de se faire soi-même son opinion, c'est évidemment de regarder l'intégralité du débat, disponible en ligne .

Mais puisque des comptes rendus fantaisistes et tendancieux circulent, je propose ici le mien. J'y reprends l'essentiel de mes interventions, lesquelles sont référencées par le minutage de la vidéo accessible sur le site de FR3.

Voir la fenêtre vidéo ci-dessous -le débat lui-mêmecommenceà la 18e minute de la vidéo, qui comprend aussi l'interview précédente avec Claude Lelouch
.


Un dispositif d'extériorité
Rappelons d'abord les invités, la thématique et le dispositif matériel de l'émission.
Trois représentants religieux : Jean-Michel Di Falco, Marc-Alain Ouaknin, Tariq Ramadan ; un représentant de la Libre-pensée : Marc Blondel. Ma participation à l'émission s'est faite sur la base, clairement discutée au préalable avec les responsables de l'émission, d'une explicitation de la laïcité précisément en ce qu'elle n'est pas réductible à un courant de pensée comparable à ceux qui étaient représentés ce soir-là ou à d'autres. Ce que j'ai souligné dès ma première prise de parole (26e minute et suivantes) : la laïcité n'a pas à être confondue avec une doctrine particulière notamment avec l'incroyance. Il était indispensable également de préciser dès cette première intervention que dans un dispositif laïque, la fondation de l'association politique est totalement disjointe de toute référence à un lien religieux, c'est ce que j'appelle un "minimalisme politique" que certains, faisant volontairement un contresens, transforment en une "position minimale" c'est à dire peu offensive. C'est tout le contraire  - j'y suis revenue en fin d'émission (1h12 min.).
Il était d'autre part inévitable, puisque j'expliquais la laïcité comme dispositif, que mes propos soient perçus comme "extérieurs" et c'est un point auquel je tenais particulièrement. Il a fallu, conséquemment, que j'impose ma parole comme par effraction dans un ensemble parfois ronronnant tournant autour de la "quête du sens" et de ses différentes voies.
Voilà pour le dispositif rhétorique de l'émission : une position clairement revendiquée comme ex-orbitante, qui m'a valu tout aussi conséquemment une place "en marge", à une des extrémités du petit salon où prennent place les invités, et non au milieu de ces messieurs comme l'aurait voulu une galanterie ici déplacée (j'étais en effet la seule femme). Il faut au contraire remercier Frédéric Taddeï et ses collaborateurs pour cette disposition topologique qui déjà était une analyse transposée à l'image.
La rumeur d'une parole "non offensive" est donc partiellement fondée ! Je n'y vois qu'une manière volontairement déformée à des fins agressives de dire qu'il s'agissait d'une parole exorbitante. Elle se voulait telle : c'est exprès !

Mais où est la question qui fâche dans une discussion de salon sur "la recherche du sens" ?
La merveilleuse discussion métaphysique initiale où tout baignait dans l'huile n'était possible, il fallait le rappeler, que dans un cadre laïque : un cadre dans lequel les religions (mais aussi l'athéisme) renoncent à faire la loi, à régler les vies et les moeurs en imposant un régime de pensée, pour se consacrer à ce qui était présenté comme de la haute métaphysique et de la haute morale (26e minute et suivantes). La laïcité ampute les religions de leurs prétentions civiles. J'ai eu l'occasion, plus tard dans le débat, de rappeler que ces questions philosophiques ne sont certainement pas l'exclusivité des religions, et que notamment l'enseignement républicain et l'enseignement critique de la philosophie y sont pour une grande part (1h29min.).

Un ronron bienpensant ne pouvait pas satisfaire un laïque. J'ai tenu à soulever la question qui fâche : rappeler que les religions ne sont pas seulement des lieux de réflexion morale et métaphysique comme on nous le répétait à l'envi, mais aussi des doctrines prescriptrices de règles, autrement dit des systèmes juridiques et politiques (55e minute et suiv.). C'est précisément là que la laïcité s'oppose aux religions : dans la mesure où elles prétendent dicter des lois - et ce serait la même chose pour une religion civile ou un athéisme officiel, il fallait aussi le dire. J'ai cité alors trois exemples. Les lois sur le blasphème ; la question de la maîtrise de la sexualité et de la maternité par les femmes ; celle d'un héritage inégal entre filles et garçons. J'invite les lecteurs à apprécier le regard malicieux de la caméra juste à ce moment (57minutes 37 secondes) : loin de se promener, T. Ramadan se frotte le nez... Bingo ! J'y suis revenue une seconde fois (1h01min.)


Peut-on laisser dire que la raison et la laïcité sont dogmatiques ?
Autre rumeur : T. Ramadan a taxé la laïcité et la rationalité de "dogmatisme"... et ces propos n'auraient pas rencontré d'opposition, ce serait passé comme une lettre à la poste. M'accuser d'inertie devant de tels propos est infondé.
Cette sortie au sujet d'une laïcité "dogmatique" transformée en idéologie (36e minute et suiv.) m'a en effet immédiatement donné l'occasion de caractériser deux déformations de la thèse laïque (38e minute et suiv.) . Celle que décrivait et que dénonçait Marc Blondel, laquelle consiste à vouloir diluer le principe de laïcité dans une "tolérance" générale applicable jusque dans le domaine de la puissance publique - dérive sarkozyenne. Celle à laquelle T. Ramadan voulait réduire la laïcité : une position anti-religieuse rigide consistant à "bouffer du curé" et à vouloir nettoyer la société civile de toute manifestation religieuse... position que les intégristes religieux aiment beaucoup car elle leur offre la cible facile du "laïcard" dont ils rêvent et à laquelle ils voudraient identifier le mouvement laïque.
Quant à la rationalité "dogmatique" (50e minute), il  n'était pas question non plus de laisser passer un contresens volontaire transformé en grenade offensive : rien n'était plus facile pour un ancien professeur de philosophie d'expliquer que la raison n'est pas une chose,  mais un exercice critique qui suppose le doute (54e minute et suiv.) et que par définition elle ne peut pas être un dogmatisme.

Tordre le cou aux rumeurs, et finir par écouter un peu de jazz...
Mais pour tordre le cou à des rumeurs, rien ne vaut la confrontation avec l'objet même du débat. Vous pouvez regarder l'intégralité de la vidéo
sur le site de FR3 en cliquant sur l'image dans la fenêtre suivante (il faut aller directement à la 18e minute pour trouver le début). Ne vous privez pas, à la fin (1h18 min.) du morceau de jazz "live" par Aldo Romano, Géraldine Laurent et Henri Texier, c'est un régal.


On peut aussi voir la vidéo sur Dailymotion en 4 parties. Lien vers la 1re partie (vous trouverez les liens vers les 3 autres sur le site de Dailymotion). Mais le minutage est différent, et vous serez privés du jazz...

© Catherine Kintzler,  2008

Merci à Respublica d'avoir repris cet article dans son numéro 603.

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