11 décembre 1970 5 11 /12 /décembre /1970 16:29

Sur l'anticléricalisme
La notion de crime dans son rapport à l'histoire
par André Perrin (N.B.)

En ligne le 9 février 2013


Les articles que Catherine Kintzler et Jean-Michel Muglioni ont consacrés à la question du « mariage homo » (1) ont, à la faveur d'un commentaire reçu par les auteurs et d'une déclaration d'un ancien premier ministre, suscité de la part de ceux-là une apologie de l'anticléricalisme dont les principes et les formulations m'ont paru parfois ambigus, parfois contestables, en tout cas problématiques. Ce sont les problèmes soulevés par cette défense et illustration de l'anticléricalisme – et notamment l'usage de la notion de crime dans son rapport à l'histoire - que je me propose d'examiner ici. Contestant les positions de philosophes dont les titres à l'estime sont si nombreux, je m'efforcerai de le faire de façon aussi peu polémique que possible.

 

Sommaire de l'article :

  1. L'anticléricalisme : contre le cléricalisme ou contre le clergé ?
  2. Anticléricalisme et homophobie
  3. Criminalité et rétroactivité de la loi
  4. Hérésie et Inquisition
  5. Le sujet du crime
  6. La république criminelle ?
  7. Trois propositions


1 - L'anticléricalisme : contre le cléricalisme ou contre le clergé ?

Le terme anticléricalisme est lui-même équivoque ou polysémique. Il peut signifier  soit, c'est son sens strict, l'opposition au cléricalisme, soit, plus largement et plus couramment, l'hostilité à l'endroit des clercs, du clergé, des Églises, de la religion en général. C'est le premier sens que retient Catherine Kintzler en écrivant : « Le cléricalisme, en effet, consiste à vouloir accorder aux représentants des religions et aux ministres des cultes un rôle politique en tant que tels et non pas seulement en tant que citoyens ou (éventuellement) en tant qu'élus, et plus généralement à nier la séparation des ordres instituée par la laïcité républicaine, à vouloir que le politique soit dépendant du religieux ». En ce sens il est incontestable que tout vrai républicain est anticlérical, ce qui est alors une autre manière de dire laïque : puisque la république exige la souveraineté de la loi, il est impensable que la loi civile soit subordonnée à la loi religieuse, en d'autres termes qu'un pouvoir temporel soit accordé aux représentants des religions.  Il faut donc être anticlérical pour être vraiment républicain, mais il ne le faut pas moins pour être authentiquement chrétien. En effet non seulement le principe de la séparation du religieux et du politique n'implique nullement l'athéisme, comme le dit justement Jean-Michel Muglioni, mais, bien plus, il constitue une exigence fondatrice du christianisme, formulée par Jésus lui-même : « Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (2).

Cependant si la laïcité républicaine exclut qu'un pouvoir temporel ou institutionnel soit accordé aux ministres des cultes en tant que tels, c'est-à-dire en tant qu'ils constituent une communauté particulière au sein de la communauté politique, elle n'exige aucunement qu'il leur soit interdit de participer au débat public, au même titre que tous les autres groupes de pression, en prenant la parole et en organisant, le cas échéant, des manifestations, faisant ainsi usage des droits et des libertés que la constitution de la République leur reconnaît. Catherine Kintzler ne le conteste évidemment pas, mais c'est en revanche ce qui ressort d'un certain nombre de déclarations entendues ces temps-ci qui réputent attentatoire à la laïcité toute intervention des Églises, et plus particulièrement de l'Église catholique, dans l'espace public. Ceux qui prétendent ainsi interdire à une association religieuse l'exercice de droits et de libertés qu'ils revendiquent pour les associations de travailleurs, de professeurs, de chasseurs-pêcheurs ou de libres-penseurs introduisent une discrimination qui n'est ni prévue par la loi, ni exigée par la laïcité républicaine. L'anticléricalisme dont ils font preuve n'est donc pas l'anticléricalisme au sens strict, celui que revendique légitimement Catherine Kintzler, mais l'anticléricalisme au sens large, qui est hostilité à l'endroit des clercs, du clergé, des Églises et de la religion en général. C'est manifestement en ce dernier sens que le commentateur a accusé Jean-Michel Muglioni de « bouffer du curé ».

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2 - Anticléricalisme et homophobie

On peut raisonnablement supposer que François Fillon ne prétend pas subordonner l'autorité politique à l'autorité ecclésiastique et que par conséquent c'est l' anticléricalisme au sens large qu'il a mis sur le même plan que l'homophobie, pour les renvoyer tous deux dos-à-dos. Cela conduit à relativiser le distinguo que Catherine Kintzler oppose à l'ancien premier ministre en écrivant : « Il s'agit de discréditer une position en l'assimilant à une forme grave d'intolérance expressément punie par la loi. […] Or l'anticléricalisme, d'abord n'est pas un délit, et ensuite il est constitutif de toute association politique laïque.  ». Si l'on veut bien admettre que l'anticléricalisme que François Fillon assimile à l'homophobie n'est pas celui qui est constitutif de toute association politique laïque, il faut maintenant examiner à quel titre l'homophobie est un délit expressément puni par la loi et se demander si l'anticléricalisme au sens large en est un ou non. La loi 2004-1486 du 30 décembre 2004 dispose en son article 20 du titre III qu'après le 8e alinéa de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 il sera inséré un alinéa ainsi rédigé :
Seront punis des peines prévues à l'alinéa précédent ceux qui, par ces mêmes moyens, auront provoqué à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap ou auront provoqué, à l'égard des mêmes personnes, aux discriminations prévues par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal.
L'article 225-2 du code pénal punit d'une peine de 3 ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende ceux qui se seront rendus coupables de refus discriminatoires, la discrimination ayant été ainsi définie à l'article 225-1 :
Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation ou identité sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.Constitue également une discrimination toute distinction opérée entre les personnes morales à raison de l'origine, du sexe, de la situation de famille, de l'apparence physique, du patronyme, de l'état de santé, du handicap, des caractéristiques génétiques, des mœurs, de l'orientation ou identité sexuelle, de l'âge, des opinions politiques, des activités syndicales, de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée des membres ou de certains membres de ces personnes morales.
On voit ainsi que la loi - dans le texte de laquelle le mot homophobie ne figure pas davantage que celui d'anticléricalisme – réprime d'une part des actes (articles 225-1 et 225-2 du code pénal) et d'autre part des propos (article 24 de la loi du 29 juillet 1881 modifié par la loi du 30 décembre 2004). Dans le premier cas elle ne fait pas de distinction entre les refus discriminatoires opérés à raison de l'orientation ou identité sexuelle et ceux qui sont motivés par l'appartenance à une religion déterminée : il est tout aussi illégal de refuser un emploi à quelqu'un au motif qu'il est bouddhiste ou musulman que de le lui refuser sous le prétexte qu'il est homosexuel ou fétichiste. Dans le second cas en revanche il n'est question que de l'orientation sexuelle et du handicap. On aurait pourtant tort d'en déduire qu'il est permis de provoquer à la haine ou à la violence envers un musulman ou un groupe de bouddhistes en raison de leur religion.  En vérité la jurisprudence nous permet de distinguer entre ce qui est permis et ce qui est interdit en matière de propos réputés homophobes ou anticléricaux. Poursuivi pour avoir déclaré en septembre 2001 au magazine Lire que « la religion la plus con, c'est quand même l'islam », Michel Houellebecq a été relaxé le 22 octobre 2002 par la dix-septième chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris au motif que ses propos ne contenaient « aucune volonté d'invective, de mépris ou d'outrage envers le groupe de personnes composé d'adeptes de la religion considérée ». De même le 12 novembre 2008  la cour de cassation a annulé (cassé sans renvoi devant une autre cour d'appel) le jugement de la cour d'appel de Douai condamnant le 25 janvier 2007 le député Christian Vanneste qui avait déclaré  le 26 janvier 2005 au journal La Voix du Nord que l'homosexualité « était inférieure à l'hétérosexualité ».

Il est donc permis d'affirmer que l'homosexualité est inférieure à l'hétérosexualité, que la religion musulmane est inférieure aux autres religions, que le christianisme est inférieur à l'athéisme. Houellebecq aurait tout aussi bien pu soutenir que le christianisme se réduisait à un ramassis de croyances infantiles : il se serait peut-être attiré les sourires des lecteurs de Ricœur, de Lévinas, de René Girard, sans parler de ceux de Hegel, il n'aurait pas encouru les foudres de la justice. Il en serait allé tout différemment, comme l'indiquent les attendus du jugement le relaxant, si l'un avait déclaré que les musulmans étaient inférieurs aux catholiques, l'autre que les homosexuels étaient inférieurs aux hétérosexuels.

Accusé de « bouffer du curé », Jean-Michel Muglioni voit bien que l'anticléricalisme dont il lui est fait grief n'est pas celui qui consiste à refuser de subordonner l'autorité temporelle à l'autorité ecclésiastique et c'est donc un autre anticléricalisme qu'il revendique : il dénonce « l'imposture d'un clergé » et « un certain nombre de crimes qui caractérisent l'histoire du christianisme ». Pour étayer ces dénonciations il invoque l'autorité de Kant et les jugements sévères de ses amis catholiques. Sur ce dernier point, je lui ferai malicieusement remarquer qu'il prend des risques en faisant état de ses amitiés catholiques car pour avoir argué de leurs amis homosexuels les participants à la « manif pour tous » du 13 janvier dernier se sont attiré le lendemain matin sur les ondes d'une radio publique cette foudroyante réplique de la part d'un certain Nicolas Martin, porte parole des « Outragés de la République » : « ce discours … on adore les homosexuels, on a des amis homos ... c'est horrible … c'est : « je ne suis pas raciste mais j'ai un ami noir » … on a entendu ça tout le temps. »(3).

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3 - Criminalité et rétroactivité de la loi

Puisque nous sommes entre philosophes nous conviendrons que l'autorité de Kant, si grande qu'elle soit, ne suffit ni à fonder l'anticléricalisme sur les crimes du christianisme, ni à sauver celui-ci des crimes de son histoire. Il faut en revanche s'interroger sur le sens qu'on donne au mot « crime » lorsqu'on parle des crimes du christianisme. Au sens strict, c'est-à-dire juridique, le crime est une infraction particulièrement grave, plus grave que le délit et la contravention, que le droit pénal punit d'une peine afflictive ou infamante devant une cour d'assises. En un sens plus large, le crime désigne un manquement très grave à la morale. Dans un cas comme dans l'autre quand on reproche au christianisme (nous supposons pour le moment distinctement connue l'identité de ce sujet) les crimes qu'il a commis au cours de son histoire, il faut préciser si ce sont des crimes au regard de ce que nous appelons crime aujourd'hui ou de ce qui était tenu pour un crime à l'époque où ils ont été commis. Ainsi beaucoup de nos contemporains, dans les sociétés européennes en tout cas, s'accordent à voir dans la peine de mort un châtiment barbare et un « crime d'État ». Il s'en faut pourtant de beaucoup pour que cette évidence ait été universellement partagée dans les sociétés ou les civilisations qui nous ont précédés : devons-nous dénoncer leurs « crimes » ? Kant lui-même qui justifie clairement la peine de mort (4) aurait alors été complice d'un « crime ». Adversaire de la peine de mort, dois-je proclamer mon antikantisme comme d'autres leur anticléricalisme ?

Si donc on prend le mot crime au sens juridique et si l'on qualifie de crimes des actions qui, accomplies il y a plusieurs siècles, sont des infractions au regard de notre code pénal actuel on se trouve devant la difficulté qui a été mise en évidence par Robert Badinter à propos de certaines lois « mémorielles (5) ». On ne peut qualifier des faits historiques passés en recourant à des concepts juridiques contemporains sans introduire une sorte de rétroactivité de la loi qui est un monstre juridique. Si maintenant on prend le mot crime dans son acception morale, on se trouvera devant une difficulté analogue. Le problème ne sera plus exactement celui de la rétroactivité de la loi, mais celui de l'anachronisme. L'esclavage nous fait horreur aujourd'hui, de même que l'exposition des enfants, mais quel sens y aurait-il à dire que Platon, Aristote et la quasi-totalité de leurs contemporains étaient des êtres immoraux ou des criminels ? Si donc on veut demander au christianisme des comptes sur les crimes de son histoire, il faut s 'assurer que les actions auxquelles on donne cette qualification contrevenaient soit aux lois juridiques en vigueur à l'époque où elles ont été accomplies, soit à la loi morale telle qu'elle était accessible à la conscience des hommes de l'époque et telle que son contenu était déterminé par les mœurs et l'ensemble des conditions empiriques de leur temps.

 

 

4 - Hérésie et Inquisition

L'exemple de l'Inquisition, qui vient généralement à l'esprit lorsqu'on évoque les crimes du christianisme, peut permettre d'y réfléchir. Hormis des cas de forfaiture, toujours possibles mais forcément isolés, les tribunaux de l'Inquisition agissant ès qualités fonctionnaient conformément au droit existant et ne commettaient donc pas des crimes au sens juridique du terme. Reste donc à savoir si les inquisiteurs commettaient des crimes au sens moral du terme, c'est-à-dire des actions susceptibles de révolter leur propre conscience morale et celle de leurs contemporains. Il est incontestable que ce fut parfois le cas. Ainsi les exactions commises par le tristement fameux Robert le Bougre, un converti entré chez les Dominicains que le pape Grégoire IX nomma inquisiteur en Bourgogne en 1233, suscitèrent les protestations des archevêques de Reims, de Sens et de Bourges, ce qui conduisit le pape à le suspendre. Ses pouvoirs lui furent malheureusement rendus l'année suivante ce qui lui permit de brûler plus de 200 hérétiques dans les années qui suivirent, dans le Nord et en Champagne, jusqu'à ce qu'il fût définitivement démis de ses fonctions en 1241 et peut-être, ce n'est pas parfaitement établi, condamné à la prison à perpétuité (6). Cependant pour l'essentiel, c'est l'hérésie et non l'Inquisition qui suscite à l'époque la réprobation générale. L' Inquisition « ne soulève [...] pas contre elle l'hostilité de la population et bénéficie de l'appui de sa part la plus importante (7) ». En refusant le mariage (mariage pour personne !), en niant la validité du serment dans une société, la société féodale, tout entière fondée sur des relations contractuelles, les Cathares heurtaient les valeurs et les convictions les plus fortement établies en leur temps et c'est pourquoi, au cours des deux siècles qui précédèrent la naissance de l'Inquisition, ils furent régulièrement victimes de la justice expéditive des rois et des empereurs, mais aussi fréquemment massacrés par des foules en colère (8). Ainsi en introduisant une enquête et en instituant une justice régulière où par ailleurs le bûcher était l'exception et non la règle, l'Inquisition a-t-elle plutôt contribué à l'adoucissement des mœurs : « La pratique inquisitoriale a modifié la procédure judiciaire et constitué un progrès par rapport aux procédures accusatoires (9) ».

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5 - Le sujet du crime

Le syntagme Les crimes du christianisme soulève un deuxième problème qui a trait au sujet auquel on impute ces crimes. En vérité, ce sont toujours des êtres humains qui commettent des crimes. En quel sens une religion, une croyance, une doctrine peuvent-elles être considérées comme des auteurs de crimes ? Peut-être en ce sens qu'elles ont inspiré les véritables auteurs, qu'elles les ont poussé à les commettre. On parlera alors des crimes qui ont été commis au nom du christianisme, ou au nom du communisme, en précisant généralement que les criminels ont trahi et déshonoré l'idéal dont ils se réclamaient : celui-ci conserve son immarcescible pureté dès lors qu'on peut soutenir que la manifestation a été infidèle à l'essence. Ou alors il faut pouvoir démontrer que ces « -ismes » étaient intrinsèquement pervers et que leur logique ne pouvait, en se déployant, qu'aboutir au massacre. On reviendra sur ce point.

Cependant il se peut que par christianisme on entende non pas l'idéal, la croyance ou la doctrine, mais l'institution, c'est-à-dire l'Église ou de façon plus restrictive, puisque l'Église est la communauté tout entière, sa hiérarchie en tant qu'elle dispose d'un pouvoir décisionnaire. Si c'est le cas on voit que le problème de la responsabilité du « -isme » ne se pose pas de la même manière dans des sociétés laïques ou sécularisées et dans des sociétés où prévaut l'indistinction du religieux et du politique. Si par exemple on imputait des crimes à l'islam, la question se poserait de savoir si c'est une instance religieuse ou une instance politique qui est visée. S'agissant du christianisme, les rapports du religieux et du politique dans son histoire ne sont placés ni sous le signe de la séparation, puisque tous les États sont confessionnels, ni sous celui de l'indistinction, puisque le conflit de l'Église et de l'État, à travers la querelle des investitures, la lutte des Guelfes et des Gibelins, l'opposition du gallicanisme et de l'ultramontanisme, est au cœur de cette histoire. Le pouvoir décisionnaire est partagé – comme en témoigne dans le cas de l'Inquisition l'articulation complexe entre ce qui appartient à l'autorité ecclésiastique et ce qui revient au bras séculier. Or c'est précisément quand l'Inquisition passe des mains de l'Église à celles des rois et des empereurs, c'est-à-dire à partir du XVIe siècle, qu'elle fait le plus grand nombre de victimes (10) : ce n'est pas au XIIIe siècle qu'on brûle massivement les sorcières, mais au XVIIème, au siècle de la raison, au cœur des temps modernes. Ajoutons à cela que dans les bonnes comme dans les mauvaises œuvres des rois chrétiens, il faut peut-être distinguer ce qu'ils font en tant que rois et ce qu'ils font en tant que chrétiens. C'est un roi chrétien qui promulgue l'édit de Nantes et c'est un autre roi chrétien qui le révoque. Que peut-on en conclure ? Que l'intolérance est chrétienne, ou la tolérance ?

L'évocation des crimes du christianisme, et plus généralement de ceux de la religion puisque Jean-Michel Muglioni prend soin de préciser qu'il ne vise pas le seul christianisme mais déplore aussi le sacrifice d'Iphigénie, soulève, me semble-t-il, une troisième difficulté en suggérant qu'un lien privilégié unit religion et criminalité. Si c'était le cas, celle-ci aurait dû décliner au fur et à mesure que celle-là s'effaçait, que nous sortions « d'un monde où la religion est structurante, où elle commande la forme politique des sociétés (11) », que notre histoire divorçait d'avec le christianisme. Cependant l'histoire du XXe siècle a été traversée par des crimes et des massacres inégalés imputables à des totalitarismes dont l'armature intellectuelle, bien loin d'être religieuse, était fournie par des croyances et des doctrines néo-païennes ou athées.
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6 - La république criminelle ?

Puisque nous sommes assurément entre républicains, attachons-nous pour finir à ce qui nous unit et nous réunit. Nous ne pouvons ignorer que l'histoire de la république est contestée, tout comme celle du christianisme, et que, d'un bord comme de l'autre bord, très à bâbord et très à tribord, des crimes abominables lui sont imputés. On sait que la révolution qui lui donna naissance ne fut pas tendre pour ses adversaires réels ou supposés. On connaît la formule de Pierre Chaunu selon laquelle « la Révolution française a fait plus de morts en un mois au nom de l'athéisme que l'Inquisition au nom de Dieu pendant tout le Moyen-Âge et dans toute l'Europe (12)». Reynald Secher a dressé un implacable réquisitoire contre le massacre des Vendéens (13) et si les historiens discutent pour savoir s'il s'agit d'un génocide ou d'un « populicide », selon le néologisme créé par Gracchus Babœuf, il reste que dans une lettre de novembre 1793, le Comité de salut public ordonna d'« exterminer les brigands » et d'« anéantir les rebelles » ; il reste que dans une lettre adressée aux députés en date du 23 juillet 1794 Carnot expliqua que même si les vieillards, les femmes et les enfants étaient moins coupables que les meneurs, il était néanmoins nécessaire au salut de la république qu'ils fussent traités avec la même rigueur ; il reste enfin que même les historiens qui, comme Jean-Clément Martin, récusent les notions de « génocide » et de « populicide » ne contestent – et c'est ce qui importe ici – ni l'ampleur des massacres, ni le qualificatif de « crimes ». Plus à bâbord, ce sont plutôt le « racisme républicain » et la « république coloniale » qui font l'objet de vives condamnations. Lorsque l'actuel président de la République inaugura son mandat le 15 mai dernier en rendant hommage à Jules Ferry, il se vit reprocher d'avoir honoré un homme qui déclarait le 28 juillet 1885 à la Chambre des députés : « Il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement que les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures ». Jules Ferry eut de grands successeurs républicains. Voici en effet ce que Jean Jaurès disait de la France dans un discours à la Chambre des députés le 20 novembre 1903 : « la civilisation qu'elle représente en Afrique auprès des indigènes est certainement supérieure à l'état présent du régime marocain (14) ». Quelque vingt ans plus tard, le 9 juillet 1925, c'est Léon Blum qui déclarait dans cette même Chambre des députés : « Nous avons trop l'amour de notre pays pour désavouer l'expansion de la pensée et de la civilisation française […] Nous admettons le droit et même le devoir des races supérieures d'attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture et de les appeler aux progrès réalisés grâce aux efforts de la science et de l'industrie (15) ». Des historiens (16) se sont attachés à montrer que, loin d'avoir un caractère marginal ou accidentel, le colonialisme était partie prenante de l'idéal républicain. C'est sous la troisième République, à l'occasion d'expositions universelles (17), que de véritables zoos humains furent constitués pour livrer des « indigènes » à la curiosité des badauds. C'est enfin la quatrième République qui institutionnalisa la pratique de la torture en Algérie dont un grand historien fit le bilan dans un ouvrage intitulé La torture dans la République (18). Tantum respublica potuit suadere malorum ...

Je suis né et j'ai grandi à la fois au sein de la République et de l’Église catholique sans jamais éprouver le sentiment de vivre dans une famille désunie. Cependant si je ne puis pas davantage faire profession d'anticléricalisme que d'antirépublicanisme, ce n'est pas parce qu'il faudrait, à l'instar de Descartes, demeurer fidèle à la religion de son roi et de sa nourrice. Ma position se résume en trois propositions que voudrais énoncer pour conclure.
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7 - Trois propositions

La première est d'ordre moral. Seul un sujet, c'est-à-dire une conscience individuelle libre, peut commettre des fautes et donc des crimes. En conséquence je refuse d'assumer les crimes qu'on impute, à tort ou à raison, au christianisme et à la république. Pourquoi ? Tout simplement parce que je ne les ai pas commis et parce que je récuse la notion de responsabilité collective. Pas davantage je n'accepterais qu'on tienne le peuple juif pour « déicide » ou qu'on qualifie des Allemands nés comme moi après la seconde guerre mondiale de descendants de nazis à l'hérédité chargée.

La deuxième est d'ordre juridique. On ne peut mettre sur le même plan les violations des droits de l'homme commises après que ces droits eurent été proclamés et celles qui ont été accomplies des siècles plus tôt, à une époque où la notion même de droits de l'homme n'était ni conçue, ni concevable.

La troisième est d'ordre philosophique et historique. Le christianisme est-il recommandable ? demande Jean-Michel Muglioni. À cela on peut répondre qu'il n'y a probablement aucun « -isme » qui le soit, pas même le pacifisme, dès lors qu'il peut être munichois. On peut sans doute imputer des crimes à des croyances, des doctrines, des idéologies, en ce sens qu'elles les ont inspirés. On peut aussi en imputer à des institutions en ce sens qu'ils ont été commis dans leur cadre par des êtres humains qui les représentaient. Cependant pour considérer ces idéologies ou ces institutions comme criminelles ou « criminogènes », il faut davantage. Il faut que les crimes en question aient été conformes à leur essence, qu'ils leur aient été consubstantiels,  donc qu'ils les aient accompagnées toujours et partout. À cet égard on ne peut pas faire un sort égal au christianisme et à la république d'une part, aux totalitarismes du XXe siècle d'autre part. Il n'est pas difficile de mettre en évidence, en regard de leurs « crimes », l’œuvre positive des premiers. Il serait plus malaisé de le faire pour les seconds, même si l'on peut porter au crédit d'Hitler d'avoir mené une politique fiscale très favorable aux classes populaires (19) et savoir gré aux Khmers rouges d'avoir, peut-être (20), assuré correctement l'évacuation des ordures ménagères.


Laissons donc à l'historien, qui n'est ni un juge ni un moraliste, le soin d'établir les faits et de les inscrire, contextualisés, dans les intrigues qui peuvent les rendre intelligibles. Quant au philosophe-citoyen il lui appartiendra de tirer, s'il le peut, des leçons de l'histoire pour orienter sa conduite et guider ses choix dans les incertitudes du temps présent.


© André Perrin et Mezetulle, 2013

 

N.B.  Voir les autres articles d'André Perrin en ligne sur Mezetulle ainsi qu'une brève présentation de l'auteur.

Le débat se poursuit avec des réponses de Jean-Michel Muglioni et de Catherine Kintzler placées ci-dessous en commentaires.

 

Notes (cliquer sur le numéro de la note pour revenir à l'appel de note dans le texte)

1 - Voir Le « mariage homo », révélateur du mariage civil par C. Kintzler, « Mariage homo », nature et institution : quelques réflexions par J.-M. Muglioni. Le petit texte à deux mains sur l'anticléricalisme auquel André Perrin répond est en ligne ici : Qu'est-ce que l'anticléricalisme ?
2 - Matthieu XXII, 21.
3 - France Inter Lundi 14 janvier 2013 Le zoom de la rédaction 7h15 – 7h20 . De même Pierre Bergé le 25 janvier sur BFM TV : « Chacun a son bon pédé comme chacun avait son bon juif ».
4 - Kant Métaphysique des mœurs IIe partie Doctrine du droit II, Ire section, § 49 Remarque E
5 - Robert Badinter  Intervention à l'assemblée générale de « Liberté pour l'histoire » le 2 juin 2012 :
    « S’agissant des lois mémorielles proprement dites, rappelons la définition qui en a été donnée par la mission Accoyer de l’Assemblée nationale en novembre 2008 : « Les lois mémorielles, au-delà des différences de leur contenu, semblent procéder d’une même volonté : “dire” l’histoire, voire la qualifier, en recourant à des concepts juridiques contemporains comme le génocide ou le crime contre l’humanité, pour, d’une manière ou d’une autre, faire œuvre de justice au travers de la reconnaissance de souffrances passées. » Pour le juriste, je le dis sans détour, c’est un errement. Je n’ai pas besoin de rappeler que le « crime contre l’humanité » ou le « génocide » sont des qualifications juridiques qui ont fait leur apparition à partir de la Seconde Guerre mondiale. Recourir à ces concepts pour qualifier aujourd’hui des faits survenus en Arménie il y a un siècle ou pour la traite transatlantique au XVIIIe siècle est juridiquement une erreur, une sorte de qualification juridique rétroactive. On ne peut pas qualifier des faits passés au regard de concepts juridiques apparus après leur commission. »
    Voir aussi Françoise Chandernagor « L'historien sous le coup de la loi » in Liberté pour l'histoire CNRS Éditions 2008.
6 - Régine Pernoud Pour en finir avec le Moyen Âge Seuil coll. Points Histoire 1977 pp. 107-108.
7 - Jean-Louis Biget Hérésie et inquisition dans le Midi de la France Picard 2007 p. 205.
8 - Henri Maisonneuve L'Inquisition  Desclée/Novalis 1989 pp. 22-28.
9 - Sylvain Gouguenheim Le Moyen Âge en questions Taillandier 2009 p. 202.
10 - Régine Pernoud op. cit. p. 113 De même : « La différence entre la main royale et la main ecclésiale est énorme: l'Église a toujours tendance à pardonner au moindre signe de repentance » (Pierre Chaunu, Éric Mension-Rigau, Baptême de Clovis, baptême de la France, De la religion d'État à la laïcité d'État, Éditions Balland, Paris 1996, p. 184).
11 - Marcel Gauchet La religion dans la démocratie Gallimard Folio-Essais 1998, p.13.
12 - Pierre Chaunu Église, culture et société SEDES, 1981.
13 - Reynald Secher Vendée : du génocide au mémoricide Cerf , 2011.
14 - Jean Jaurès Textes choisis Tome 1 Contre la guerre et la politique coloniale p. 120 Éditions sociales.
15 - Cité par Manuela Semidei « Les socialistes français et le problème colonial entre les deux guerres » Revue de science politique année 1968 volume 18 n°6 p.1139.
16 - En particulier Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Françoise Vergès La république coloniale : essai sur une utopie Albin Michel, 2003.
17 - L'exposition coloniale de 1931 à Vincennes suscita la protestation d'un certain nombre d'hommes d'Église, le Père Bazin, les Maristes, le pasteur Leenhardt, le pasteur Soulié, mais pas celle de L'Humanité ni du Canard enchaîné. Compte rendu du livre de Joël Dauphiné Canaques de la Nouvelle Calédonie à Paris en 1931 De la case au zoo Paris, L'Harmattan 1998 par Isabelle Leblic Journal de la société des Océanistes Avril 1998 N° 107 p. 239.
18 - Pierre Vidal-Naquet La torture dans la République, Éditions de Minuit collection Les grands documents, 1972.
19 - Cf Götz Aly Comment Hitler a acheté le peuple allemand  Flammarion Coll. Champs Histoire. Un extrait significatif de cet ouvrage a été publié par Le monde diplomatique mai 2005.
20 - Je dis « peut-être » parce que je n'ai pas vérifié. J'ai fait confiance à Maurice Duverger : « Les gouvernants les plus oppresseurs, les plus injustes, remplissent quelques fonctions d'intérêt général, au moins dans des domaines techniques : ne serait-ce qu'en réglant la circulation automobile, en faisant fonctionner les P.T.T., en assurant l'évacuation des ordures ménagères ».(Introduction à la politique  Gallimard Idées, 1964, p.21).


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N
<br /> [Nagy tatus - suite du commentaire ; les italiques semblent ne pas s'afficher à l'écran...]<br /> <br /> <br /> Que la loi morale consiste en la possibilité d’universaliser les maximes qui constituent le principe de notre<br /> action (leur « universabilité » selon le néologisme employé par E. Weil, par exemple dans ses Problèmes kantiens, Paris, Vrin, 1990<br /> (réédition), p. 33, ou dans sa Philosophie morale, Paris, Vrin, 1992 (réédition), p. 41) ne signifie pas que le fait d’universaliser une maxime la<br /> constitue de facto en principe moral universel. La question est quid juris ! Ainsi si<br /> j’universalise la maxime suivant laquelle je peux m’immiscer dans la conscience d’autrui et, si ce qu’il croit n’est pas conforme à ce que je veux qu’il croie, le punir, n’est pas un principe<br /> moral universel. Il suffit que je l’universalise pour voir qu’elle se détruit elle-même. La loi morale est universelle parce qu’elle est formelle, et c’est pour cette raison qu’elle permet de<br /> juger les actes indépendamment des contenus empiriques qui lui procurent sa matière.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Je conclurai sur l’esclavagisme dans l’Antiquité. La remarque de l’auteur concernant Aristote est polémique et<br /> rhétorique, et n’est donc pas un argument. Mais elle est significative car elle cristallise ce que je considère comme un contre-sens sur le sens de l’universel. Je voudrais rappeler les<br /> formulations de l’impératif catégorique. Dans la seconde section des Fondements de la métaphysique des mœurs, Kant énonce tout d’abord l’impératif<br /> catégorique ainsi : « il n’y a donc qu’un impératif catégorique, et c’est celui-ci : Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux<br /> vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle. » (Fondements de la métaphysique des mœurs, Paris, Delagrave, traduction V.<br /> Delbos, p. 136) Victor Delbos la commente vigoureusement ainsi : « Cette expression de l’impératif catégorique n’introduit ni fins ni motifs qui soient empruntés à<br /> l’expérience : elle est exclusivement formelle. Mais quoi qu’on en ait dit, formelle ne signifie<br /> pas ici vide, sans contenu. De ce que l’impératif catégorique ne commande les actions que par leurs<br /> maximes, on ne doit pas en conclure qu’il ne les détermine point ; il les détermine en ce qui fait qu’elles peuvent être moralement qualifiées et au moyen d’une idée – idée d’une loi<br /> universelle à réaliser par elles – dont on ne saurait contester la plénitude que par préjugé empiriste. » Ibid., note 110 p. 136. L’impératif,<br /> bien que formel, n’est pas vide et séparé, et c’est ce qui permet à Kant d’en proposer une formulation pratique, qu’il énonce ainsi : « Agis de<br /> telle sorte que tu traites l’humanité, en ta personne comme en celle de tout autre, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen. (traduction Delbos, Ibid., p. 150). On peut dire qu’il s’agit là d’une idée qui est particulière à un moment du développement historique de l’humanité, et qu’elle n’aurait pas pu<br /> être formulée dans l’Antiquité. Mais alors comment expliquer qu’il y ait eu des penseurs qui n’ont pas cautionné l’esclavage ? Et même qui l’ont condamné ? Au livre II de la République de Platon, où Socrate construit en idée la cité telle qu’elle doit être rationnellement conçue pour que l’on puisse comprendre ce qu’est la justice<br /> (puisque la cité est dans ce passage une image agrandie de l’âme), il n’y fait pas figurer l’esclavage. Et lorsqu’il demande ensuite à Glaucon de comparer la cité ainsi construite en paroles<br /> avec les cités existantes, il réussit à faire dire à celui-ci que dans les autres cités les gouvernants appellent ceux qu’ils gouvernent des esclaves (République, V,  463b). Quant à Aristote, la manière dont il présente le problème de l’esclavage est<br /> particulièrement intéressante. Alors qu’habituellement la méthode d’Aristote consiste, à propos d’un objet de recherches, à examiner d’abord les thèses en présences en une revue doxographique,<br /> puis à poser la question de l’existence de la chose, et enfin celle de son essence, aux chapitres 3 à 7 du livre I de la Politique, il bouscule<br /> complètement cet ordre en ce qui concerne le problème de l’esclavage. Il définit d’abord la nature de l’esclave puis le caractérise de telle sorte qu’il est difficile de ne pas voir la difficulté<br /> qu’il y a à trouver une réalité qui corresponde à la définition proposée. Et c’est ensuite qu’il examine les opinions en présence. Je ne veux pas restituer toute la complexité de la Politique, il faut lire le texte en son entier pour saisir l’articulation du propos, la manière dont Aristote problématise son objet et les apories qu’il<br /> rencontre. Je signale uniquement la fin du chapitre 3 de ce livre I, où Aristote fait une allusion à l’opinion de devanciers ou de contemporains : « d’autres, au contraire, pensent que<br /> la puissance du maître sur l’esclave est contre nature, parce que c’est seulement la convention qui fait l’un esclave et l’autre libre, mais que selon la nature il n’y a entre eux aucune<br /> différence ; et c’est ce qui rend aussi cette distinction injuste, car elle repose sur la force. », Politique, I, 3, 1253b20-23, traduction J. Tricot.<br /> <br /> <br /> On peut discuter pour savoir si le passage de Platon est véritablement une condamnation de l’esclavage, ou<br /> seulement sa non prise en considération, ou encore s’il n’entend pas esclave au sens moral plutôt qu’au sens juridique. On peut discuter sur le pinaillage qui consisterait à lire entre les lignes<br /> du texte aristotélicien pour y lire une critique de l’esclavage conçu comme naturel. Mais on ne saurait dire que le caractère injuste de cette institution était inaccessible à la conscience d’un<br /> homme vivant dans l’Antiquité, comme en témoigne la citation précédente. Ce que ce commentaire trop long essaie de dire est que déterminer ce qui est accessible à la conscience morale de<br /> l’« esprit d’une communauté» (traduction par E. Weil de l’expression hégélienne d’ « esprit d’un peuple » citée par A. Perrin) n’est pas aussi facile qu’on le pense, et qu’il<br /> est insuffisant de poser que l’universalité de la loi morale ne se détermine que dans une situation historique concrète. Car si l’on ne distingue pas<br /> l’ « universabilité &raqu<br />
A
<br /> <br /> Mezetulle a reçu la réponse d'André Perrin à Nagy Tatus (voir les deux commentaires précédents):<br /> <br /> <br /> *********<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Je remercie Nagy Tatus de ce riche commentaire qui va me permettre d'apporter quelques précisions et, je l'espère, de dissiper quelques malentendus. Je suivrai pour cela l'ordre de son<br /> développement.<br /> <br /> <br /> <br /> 1 – Sur le sens et l'usage du mot homophobie<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Il est exact que le mot homophobie, qui signifie étymologiquement la peur ou la fuite du même, a pris dans notre langue le sens d'hostilité à l'égard des homosexuels ou de l'homosexualité, sans<br /> toutefois perdre totalement son sens originel. L'homophobie se définit en effet, selon le Grand Robert de la langue française, comme : «  crainte et rejet des homosexuels et de<br /> l'homosexualité ». (Le Grand Robert, 2001, tome 3, p.1873). En toute rigueur, loi de la conjonction oblige, il faudrait craindre ou rejeter à la fois les homosexuels et l'<br /> l'homosexualité pour être homophobe, en sorte que le seul rejet de l'homosexualité ne pourrait être taxé d'homophobie (de même que le seul rejet des homosexuels, mais il est sans doute moins<br /> vraisemblable qu'on soit hostile aux homosexuels sans l'être à l'homosexualité). Si l'on substitue la disjonction non exclusive ou à la conjonction et, cela donne quatre cas de figure :<br /> crainte des homosexuels, crainte de l'homosexualité, rejet des homosexuels, rejet de l'homosexualité. En vérité cela en donne beaucoup plus car la crainte et le rejet peuvent se manifester de<br /> diverses façons. On peut rejeter l'homosexualité au motif que sa maxime, à la différence de celle de l'hétérosexualité, ne peut être universalisée sans contradiction. C'est manifestement le<br /> raisonnement (kantien) de Christian Vanneste. Et il est incontestable en effet que les homosexuels qui veulent adopter des  enfants ne peuvent pas vouloir une nature dont la maxime de<br /> l'homosexualité aurait été érigée en loi universelle, c'est-à-dire une nature où il n'y aurait aucune relation hétérosexuelle. Rejeter les homosexuels n'est pas non plus univoque. Cela peut<br /> vouloir dire refuser de leur louer un appartement ou leur refuser un emploi, ce qui constitue un délit passible de sanctions pénales ; cela peut vouloir dire aussi refuser de compter des<br /> homosexuels au nombre de ses amis ou des les recevoir à sa table, ce qui ne peut être puni par la loi.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Nagy Tatus admet visiblement qu'on puisse être hostile à l'homosexualité sans être hostile aux homosexuels, mais il soutient qu'on peut légitimement qualifier d'homophobie le refus d'accorder le<br /> droit au mariage aux homosexuels parce que cela constitue une discrimination « indue » à leur endroit. Il y a assurément des discriminations légitimes : ainsi les enfants n'ont pas<br /> les mêmes droits que leurs parents, mais « cet exemple ne permet pas de fonder une analogie car il n'y a pas identité de rapport entre les homosexuels et les hétérosexuels d'une part, et les<br /> mineurs et les majeurs d'autre part ». Ce faisant Nagy Tatus confond le principe qu'il expose et l'exemple qui lui permet de l'illustrer. Il va de soi que les homosexuels ne sont pas aux<br /> hétérosexuels ce que les enfants sont aux parents, mais il y a dans toute société bien d'autres inégalités « fonctionnelles » qui sont tout aussi légitimes. Ainsi les professeurs des<br /> écoles n'ont pas le droit d'exercer la médecine, ni les médecins celui de rendre la justice. Et si Gérard Depardieu allait aux Prud’hommes pour se plaindre qu'on lui ait refusé le droit de jouer<br /> Agnès dans L'école des femmes sous le prétexte qu'il était un homme, il aurait peu de chances d'avoir gain de cause. Certes aucun de ces cas n'est non plus directement transposable à<br /> celui qui nous occupe, mais on ne peut se satisfaire d'une revendication d'extension de tous les droits à tous les êtres abstraction faite de leur nature, de leurs aptitudes ou de leurs choix.<br /> Ainsi le 12 janvier dernier à l'émission Répliques sur France Culture, Irène Théry, pourtant ardente militante en faveur du mariage homosexuel, qualifiait cette « rhétorique de<br /> l'égalité » de quelque peu « simplette ».<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Enfin si Nagy Tatus considère qu'il est malgré tout légitime de qualifier d'homophobes ceux qui s'opposent au mariage homosexuel, ce ne peut être au sens où l'homophobie est, comme l'a rappelé<br /> Catherine Kintzler, « une forme grave d'intolérance expressément punie par la loi ». En ce cas en effet l'actuel débat n'aurait pu avoir lieu puisque tous ceux, députés ou simples<br /> citoyens, qui y auraient participé en exprimant leur opposition au projet se seraient rendus coupables d'un délit et auraient dû être traduits devant les tribunaux pour en répondre, de telle<br /> sorte que seuls auraient été autorisés à débattre démocratiquement, entre eux, les partisans du projet. On a en effet pu avoir parfois l'impression que c'est ce qui était souhaité par ceux-ci.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> 2 – Sur le relativisme et l'universalité<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> a – Kant et l'universalité de la loi morale<br /> <br /> <br /> <br /> Dire que la loi morale est formelle signifie bien, en dépit de Delbos qui cherche manifestement à mettre Kant à l'abri de la critique hégélienne du formalisme kantien, vide de contenu, et la<br /> seconde formulation de l'impératif catégorique n'est, sous ce rapport, pas différente de la première : elle ne me prescrit aucune action déterminée, mais me fournit seulement un critère qui<br /> me permet d'exclure parmi les actions que je pourrais me proposer toutes celles qui m'amèneraient à traiter l'homme comme un simple moyen, de même que la première formulation me permet seulement<br /> d'exclure, parmi celles-ci, celles dont la maxime ne pourrait sans contradiction être érigée en loi universelle de la nature. Autrement dit, parce que la loi morale est formelle, elle est<br /> négative. Elle ne peut rien prescrire, elle peut seulement proscrire. La raison législatrice, pour le dire encore une fois dans le langage d’Éric Weil, est une raison examinatrice. Mais le<br /> contenu déterminé des actions que je peux me proposer dépend, lui, de la société et de l'époque dans lesquels je vis, c'est-à-dire des conditions historico-empiriques : un Athénien du Ve<br /> siècle n'avait pas à se demander s'il était moral ou non de prendre l'avion pour aller passer les vacances de Noël aux Maldives, quitte à contribuer ainsi à accroître l'effet de serre, et nous,<br /> Européens du XXIe siècle, n'avons nous pas non plus à nous demander si nous devons ou non affranchir nos esclaves. Il nous paraît évident à nous, hommes du XXIe siècle, que la seconde formulation<br /> de l'impératif catégorique permet de proscrire l'esclavage. Mais cela était-il évident pour les contemporains de Socrate ? Il aurait fallu qu'ils sussent non seulement qu'il ne fallait pas<br /> traiter un homme comme une simple chose, mais encore que tous les hommes étaient des hommes, qu'il n'y avait pas parmi ceux qui en avaient l'apparence des « outils animés », bref pour<br /> le dire comme Hegel que tous étaient, en droit, libres. Le savaient-ils ? Pour Hegel, en tout cas la réponse est claire et elle est connue : « Les Grecs, tout comme les Romains<br /> savaient seulement que quelques uns sont libres, non l'homme en tant que tel. Cela Platon et Aristote l'ignoraient […]. Ce sont les nations germaniques qui, les premières, sont arrivées, par le<br /> christianisme, à la conscience que l'homme en tant qu'homme est libre, que la liberté spirituelle constitue vraiment sa nature propre ». (La raison dans l'histoire UGE 10/18,<br /> pp.83-84. Voir aussi Encyclopédie § 482).<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> b – Platon, Aristote et l'esclavage<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> C'est ce que Nagy Tatus n'accorderait pas à Hegel puisqu'il conteste mon parallèle entre l'Inquisition et l'esclavagisme en soutenant d 'abord que si Aristote avait vraiment justifié<br /> l'esclavage, alors oui, il ne faudrait pas hésiter à le qualifier de criminel, puis en essayant de montrer que ni lui ni Platon n'ont cautionné l'esclavage, et qu'ils l'ont même condamné.<br /> Examinons cela en commençant par Platon. Nagy Tatus admet lui-même que ses références à la République sont contestables puisque le fait de ne pas prendre en considération l'esclavage ne<br /> signifie pas qu'on le condamne. Quant au passage 463c du livre V, il n'évoque pas l'institution de l'esclavage, mais le fait pour les gouvernants de considérer les gouvernés comme des esclaves.<br /> Il ne serait pas plus raisonnable d'arguer de ce que dans le Ménon Socrate s'adresse à l'intelligence d'un petit péneste pour lui attribuer une condamnation de l'esclavage. Il n'est que de lire<br /> Les Lois pour faire justice de cette hypothèse. À Clinias qui lui demande quel parti il faut prendre « quand il s'agit de posséder des esclaves et de les châtier » (Livre VI<br /> 777b), L’Étranger répond : « c'est un bétail dont la possession n'est pas commode […]  Il ne nous reste donc que deux expédients si l'on veut qu'ils acceptent plus facilement leur<br /> servitude : de n'avoir pas pour esclaves des hommes du même pays […] puis de les traiter comme il faut, non pas seulement en vue de leur bien, mais surtout en vue de notre propre intérêt.<br /> […] Il faut pourtant, quand la justice l'exige, châtier les esclaves, sans les gâter par des admonestations comme on en adresserait à des hommes libres. En règle générale, toute parole adressée à<br /> un esclave doit être un ordre, et l'on ne plaisantera jamais d'aucune manière avec des serviteurs, qu'ils soient d'un sexe ou de l'autre ». (777b – 778a).<br /> <br /> <br /> <br /> Aristote maintenant. Nagy Tatus s'appuie manifestement sur une interprétation de Victor Goldschmidt ("La théorie aristotélicienne de l'esclavage et sa méthode" in Écrits 1 Études de<br /> philosophie ancienne pp. 63-83, Paris, 1984), reprise par  Jacques Brunschwig ("L'esclavage chez Aristote" in Cahiers philosophiques, n° 1 septembre 1979 pp. 20-31 CNDP Paris)<br /> et par Pierre Pellegrin dans son commentaire du livre I de la Politique (Nathan 1983 pp. 21-22 et 79-86). Il n'est pas possible dans les limites de ce commentaire de discuter un point de<br /> vue que Vidal-Naquet juge « paradoxal » ("Réflexions sur l'historiographie grecque de l'esclavage" in Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet Travail et esclavage en Grèce<br /> ancienne Éditions Complexe 1988 p.102 note 21) et dont Philippe Casadebaig a dit, dans un article remarquable ("L'économie naturelle de l'esclavage dans la politique d'Aristote" Cahiers<br /> philosophiques n°57 décembre 1993 pp. 33-87)  qu'elle avait pour principale vertu de remédier au « malaise » des professeurs de philosophie qui se sentent personnellement<br /> responsables de la justification aristotélicienne de l'esclavage devant leurs élèves lorsqu'ils leur expliquent la Politique d'Aristote (article cité p.36). J'indiquerai seulement<br /> comment Aristote justifie l'esclavage en réfutant l'opinion de ceux qui le réputent injuste parce que conventionnel et contre nature (I,3, 1252 b 20-23), mais aussi en montrant ce qu'il y a de<br /> juste dans leur thèse. Est un esclave par nature celui qui ne peut pas s'appartenir à lui-même parce qu'il n'est pas capable de se gouverner lui-même, tel un corps sans âme : il lui est donc<br /> avantageux d'être gouverné par un autre. Son maître sera l'âme qui lui fait défaut. C'est l'âme servile qui fait l'esclave par nature. Comme il y a des âmes serviles, il y a un esclavage qui,<br /> contrairement à la thèse des conventionnalistes, n'est pas contre nature et qui par conséquent n'est pas injuste. Mais il n'en découle nullement que tous ceux qui sont réellement esclaves soient<br /> des âmes serviles et soient donc légitimement asservis. On peut devenir esclave parce qu'on a été vaincu à la guerre ou capturé par des pirates. Ainsi Platon renvoyé de Syracuse fut-il vendu<br /> comme esclave sur l'île d'Egine. Il faut donc distinguer la nature de l'esclave et la condition d'esclave. C'est toujours la violence qui fait la condition, mais cela n'empêche pas qu'il y ait un<br /> esclavage conforme à la nature. Il est donc faux que tout esclavage soit juste, mais aussi que tout esclavage soit injuste.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Je voudrais terminer sur une remarque de Jacques Brunschwig dans sa préface au commentaire de la Politique d'Aristote par Pierre Pellegrin : « Il paraît monstrueux que l'on<br /> puisse acheter et vendre des hommes et des femmes, et choquant que l'on ne s'en choque point. Mais nous trouvons encore normal d'acheter le travail d'autrui, et de vendre le nôtre.  Qui sait<br /> si un jour ne viendra pas où l'on s'étonnera de notre aveuglement, comme nous croyons pouvoir nous étonner de celui d'Aristote ? ». Alors, à ceux qui pensent que, oui, nous ne devons<br /> pas hésiter à qualifier Aristote et ses contemporains de criminels, j'ai envie de demander : acceptons-nous de nous qualifier nous-mêmes de criminels au regard de ce futur jugement de<br /> l'histoire, nous qui vendons notre travail, nous qui achetons celui d'autrui, nous qui ne licencions pas immédiatement nos femmes de ménage, bien que nous ayons été dûment avertis par Jacques<br /> Brunschwig ? Et acceptons-nous d'être mis sur le même plan que ceux qui aujourd'hui encore, au XXIe siècle, en Afrique, au Moyen Orient, en Extrême Orient, mais même aussi parfois dans les<br /> ambassades ou les quartiers chics de nos pays européens, réduisent toujours en esclavage des dizaines de millions d'hommes, de femmes et d'enfants ?<br /> <br /> <br /> <br /> <br />
N
<br /> <br /> Je me permets d’intervenir dans le débat qui a lieu entre A. Perrin, J.-M. Muglioni et C. Kintzler car, bien qu’il concerne ces personnes, il soulève des problèmes<br /> qui ne sont pas réductibles à ceux qui y prennent part.<br /> <br /> <br /> Puisque l’examen des multiples acceptions de l’anticléricalisme est mené par A. Perrin, je commence par une remarque portant sur le sens des<br /> mots.                        Premièrement, et indépendamment de l’usage qui en<br /> fait un anathème et qui a pour intention de clore un échange raisonné, pratique qu’A. Perrin dénonce à juste titre, je me demande si l’homophobie peut caractériser la position de ceux qui sont<br /> contre le fait que des personnes de même sexe puissent se<br /> marier.                                                       <br /> Le terme homophobe, si l’on s’en tient à l’étymologie, désigne celui qui éprouve de la peur ou de l’aversion envers les homosexuels. Il désigne donc une passion, c’est-à-dire<br /> quelques chose de subi qui est caractérisé par le fait de ne pas être motivé par des raisons. En ce sens, il est peu pertinent de caractériser ainsi une position argumentée en tant que<br /> telle, bien que de la phobie puisse certainement s’y mêler chez certains. Cependant, dans l’usage, le suffixe forgé sur le grec phobos tend à ne pas désigner uniquement la peur,<br /> mais également l’hostilité. Cela est perceptible dans le terme de xénophobie. Au terme d’homophobie, le Robert donne comme définition : « Attitude d’hostilité, de<br /> discrimination, envers les homosexuels, l’homosexualité. » On peut être hostile tout en l’étant pour des raisons, en étayant sa position par des arguments. J’en conclue que le terme<br /> d’homophobie, en ce sens, peut être appliqué de manière justifiée à ceux qui sont hostiles au projet de loi actuellement débattu. Néanmoins je conviens qu’on puisse faire du terme<br /> homophobie un usage qui témoigne du refus d’argumenter et qui en ce sens est un refus de penser. Mais ce n’est pas parce que certains usent mal d’un mot qu’il n’a pas de sens.<br /> <br /> <br /> Or la question centrale en cette affaire est de savoir si l’impossibilité où sont les couples homosexuels de se marier est une discrimination indue à leur égard. Discriminer, quand il n’est pas<br /> pris au sens d’un acte constitutif du jugement, qui consiste à distinguer des différences, désigne le fait de séparer certaines personnes des autres en ne leur accordant pas les mêmes droits.<br /> Je dis discrimination indue, car une discrimination n’est pas en soi mauvaise. Par exemple les enfants n’ont pas les mêmes droits que les adultes.<br /> <br /> <br /> Le problème est donc celui de la pertinence de la distinction des préférences sexuelles relativement au mariage. Comme les réflexions de J.-M. Muglioni publiées par Mezetulle l’ont<br /> très bien mis en évidence, il n’y a aucune raison qui ne soit pas idéologique, c’est-à-dire aucune raison valable, pour refuser ce droit aux homosexuels. Sinon, il faut revenir à la<br /> stigmatisation des filles mères, des couples infertiles qui se marient, des femmes ménopausées qui se marient, etc. [Puisque je me suis lancé dans un examen étymologique, j’en profite pour<br /> faire remarquer que je connais des gens qui n’utilisent pas le terme d’homosexuel car il a été introduit comme terme technique médical servant à désigner une maladie. Certes l’usage a<br /> évolué, et un terme n’a de sens que par l’usage. Par ailleurs, un mot n’est pas sémantiquement déterminé par son origine, comme Mezetulle l’a avec brio mis en évidence dans un article<br /> récent à propos du terme et de la chose même de mariage. Mais une attention au sens des mots n’est pas toujours inutile, ce que permet également de comprendre Mezetulle dans nombre<br /> d’articles qu’il publie. Je fais part de ces remarques car, bien que ce ne soit pas le sujet, elles peuvent donner matière à réflexion sur un thème abordé par un bloc-note de Mezetulle<br /> intitulé « "Mariage homosexuel" ou le même mariage indifférent au sexe des conjoints ? ».]<br /> <br /> <br /> Deux objections pourraient cependant être faites à ce qui précède la parenthèse.<br /> <br /> <br /> Tout d’abord, on pourrait mettre en cause qu’une hostilité à l’égard d’une extension de droits soit identique à une hostilité envers des personnes. Encore une fois, ce n'est pas parce que l'on<br /> considère que les enfants n'ont pas accès à certains droits (par exemple de voter, de se marier) que l'on est hostile à l'égard des enfants.<br /> <br /> <br /> Pour répondre à cette objection, il faut en examiner une seconde, qui en constitue le fondement. Elle consiste à dire qu’opérer un acte de discrimination là où il y a des différences n’est pas<br /> injuste. Cela est tout à fait exact, comme le montre l’exemple des enfants pris ci-dessus. Cependant cet exemple ne permet pas de fonder une analogie, car il n’y a pas identité de rapport entre<br /> les homosexuels et les hétérosexuels d’une part, et les mineurs et les majeurs d’autre part. La question est de savoir sur quelles autres raisons que celles qui tiennent à nos habitudes ou à<br /> nos mœurs nous sommes justifiés à fonder cette discrimination. Car si cette discrimination n’est pas fondée, je ne comprends pas pourquoi on la soutient. Et si elle est fondée, je ne vois pas<br /> pourquoi on ne pourrait pas appliquer le terme d’homophobie à une position qui consiste en une discrimination, ce qui est la définition du terme. Je répète que je suis conscient que<br /> l’on se sert à tort et à travers du terme pour insulter ceux qui ne sont pas de notre avis, en jouant notamment sur l’ambiguïté du terme (peur et aversion d’une part, discrimination de<br /> l’autre). Mais il me semble qu’il est important de s’interroger sur cette question pour que chacun puisse assumer pleinement la position qu'il défend, c'est-à-dire comprendre ce qu'il dit et<br /> fait.<br /> <br /> <br /> Je me permets également de vous soumettre quelques remarques concernant le relativisme et le sens selon lequel la morale doit être comprise comme universelle, c'est-à-dire comme valant pour<br /> chacun, en tout temps, et en tout lieu, car l'argumentation d'A. Perrin citant Eric Weil, lecteur hégélien de Kant (mais aussi lecteur kantien de Hegel), est à double tranchant. Elle définit<br /> l’universalité morale comme universalité abstraite, c’est-à-dire abstraite des conditions historiques de son exercice effectif. Et c’est effectivement ce qui fait la force de ce qu’on appelle<br /> le formalisme de Kant. Mais c’est une erreur de séparer de manière étanche l’universel du particulier, même chez Kant, bien que Hegel ait été le premier à le faire.<br /> <br /> <br /> Quant à l'argument a fortiori qui consiste à opposer un crime (prétendu selon l'auteur) à un autre crime (également prétendu), il est fallacieux. L’argument de l’auteur consiste à dire<br /> ceci : on ne peut pas qualifier l’Inquisition de crime car les principes qui la guidaient n’étaient pas, dans l’esprit de ceux qui la pratiquaient, en contradiction avec l’universalisation de<br /> la maxime qui commandait sa mise en œuvre. Si on voulait néanmoins le faire, il faudrait également dire « qu’Aristote et les esclavagistes de son temps » étaient des criminels. Mais oui, si<br /> c’est le cas, il le faudrait alors ! Je crois avoir compris qu’A. Perrin, dont le refus des pseudo-arguments bien-pensants est roboratif, ne compte pas accuser Aristote de criminel, mais je<br /> pense que c’est pour de mauvaises raisons, qui à mon sens reposent sur un contre-sens fait sur le sens de l’universel. En effet, d’après son argumentation, il n’est pas possible de distinguer<br /> l’universalisation valide de maximes, de l’universalisation de préjugés liés à une époque, ou à un lieu, ou à un individu. Que la loi morale consiste en la possibilité d’universaliser les<br /> maximes qui constit<br /> <br />
C
<br /> Deuxième réponse de Catherine Kintzler à André Perrin.<br /> <br /> <br /> *************<br /> <br /> <br /> Je remercie André Perrin pour sa réponse très scrupuleuse  et détaillée (voir réponse au com. n°2), comme toujours ! Je tiens plus particulièrement aussi à le remercier d'avoir pris acte du<br /> caractère exclusivement argumentatif des textes publiés ici par Jean-Michel Muglioni et par moi-même sur le « mariage homo » - effectivement ni lui ni moi n'avons jamais utilisé la<br /> réduction bienpensante des positions des adversaires à une homophobie disqualifiante d'emblée ! C'est du reste dans cet esprit argumentatif que André Perrin s'inscrit lui aussi. Ce qui<br /> va sans dire sur Mezetulle, mais cela va mieux en le disant !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> André Perrin remarque une erreur dans ma première réponse. Comme toute erreur est mauvaise, je reviens donc sur ce point. Effectivement lorsque j'écris (com. n°2 ci-dessus)  « Jean-Paul II a<br /> enjoint expressément aux Africains atteints du sida de ne pas utiliser de préservatifs », deux mots sont matériellement faux : a enjoint et expressément. J'aurais dû écrire,<br /> plus prudemment et plus exactement, quelque chose dans ce genre : « On accuse Jean-Paul II d'avoir rappelé l'interdiction de l'usage du préservatif lors d'un discours en Afrique en 1993, au sujet<br /> du sida. Or il ne l'a pas fait expressément ! Il a rappelé certains points abordés notamment par l'encyclique Humanae Vitae de Paul VI au sujet des moyens de contraception, encyclique<br /> qu'il suffit de relire (notamment § 14, alinéa 3) pour comprendre la portée des déclarations du souverain pontife ».  S'agissant maintenant des déclarations de Benoît XVI sur le sida et le<br /> préservatif, je n'y reviendrai pas : l'annonce récente de sa démission nous vaut un passage en boucle sur les médias de quelques déclarations controversées et « points chauds » de son<br /> pontificat. Basta !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Sur la question de la « conformité à l'essence » du christianisme, je n'utilise pas cet argument (ceci est conforme, non conforme à l'essence du christianisme) pour mon propre<br /> compte : c'est mon interlocuteur qui le fait. J'ai en revanche utilisé le second argument - à savoir qu'il est bien difficile de juger de cette conformité puisque l'essence d'une religion comme<br /> le christianisme repose sur des textes qui ne sont pas tous, loin de là, de nature purement conceptuelle permettant la falsification.<br /> <br /> <br /> Et lorsque André Perrin me répond qu'il faut finalement en revenir à la parole du Christ relatée par les Évangiles, je pense que c'est en authentique chrétien qu'il parle, et cela ne saurait se<br /> discuter dans cette perspective. Même dans cette hypothèse minimaliste, ces textes sont de nature analogique et même poétique, de sorte qu'ils ne permettent pas (et c'est un de leurs charmes et<br /> une de leurs vertus) la falsification. Et reste une question : que faire alors des textes constitutifs de l'Église catholique, puisqu'on parle des papes ? - mon ignorance est grande en la<br /> matière, mais il me semble que, par exemple, citer une encyclique n'est pas dépourvu de pertinence et qu'il y a là une question d'autorité au sens de l'établissement d'un corpus.<br /> <br /> <br /> Je m'arrête donc sur la fin de la réponse d'André Perrin : oui on peut opposer l'Église à elle-même, et certes on n'a pas attendu les non-chrétiens et les non-croyants pour se livrer à cet<br /> exercice. On peut en conclure que les chrétiens peuvent et doivent eux-mêmes être juges de l'essence de la religion qu'ils embrassent, et aussi que les catholiques peuvent à bon droit traiter le<br /> corpus autorisé que l'Église leur propose depuis 2000 ans selon leur raison et leur conscience, accepter les uns, critiquer ou même en rejeter d'autres : à quoi je n'ai rien à redire.<br /> <br /> <br />  <br />
A
<br /> Il me semble qu'en superposant les textes de A.Perrin et ceux de C.Kintzler et J.M Muglioni, le texte " différence " serait significatif de l'effet de la croyance sur l'argumentaire . Pour faire<br /> court, Perrin pense que l'historien ne peut analyser le passé avec les méthodes et le contexte du présent . Cette position est caractéristique du raisonnement des chrétiens sur les preuves<br /> historiques de l'existence de Jésus . Position d'autant plus confortablequ'il est pratiquement impossible de démontrer l'inexistence de quelque phénomène .<br /> <br /> <br /> Que l'inquisition soit considérée comme un avatar du christianisme de même que le stalinisme est un avatar du marxisme, je veux bien, mais dans les deux cas ils sont le résultat d'une<br /> interprétation déviante des textes fondateurs donc inséparables de l'influence de ceux-ci . Et je ne parle pas des croisades .<br /> <br /> <br /> Devant ces massacres au nom de l'amour de l'homme ou du surhumain, camus disait que " Le jour où le crime se pare des dépouille de l'innocence, par un curieux renversement qui est propre à notre<br /> temps, c'est l'innocence qui est sommée de fournir ses justifications " .<br /> <br /> <br /> Abel<br /> <br /> <br />  <br />
A
<br /> <br /> Mezetulle a reçu la réponse d'André Perrin :<br /> <br /> <br /> *******************<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Je ne suis pas sûr que le stalinisme soit au marxisme ce que l'inquisition est au christianisme, mais c'est sur le premier point que je souhaite répondre à Abel. Mon texte prenait pour objet les<br /> jugements moraux que nous portons sur les actions des hommes dans le passé, ainsi que les qualifications juridiques que nous leur appliquons. Il n'y est donc pas question de l'analyse de<br /> l'historien car, comme je le rappelle dans mon dernier paragraphe, l'historien n'est « ni un juge ni un moraliste ». Sans doute arrive-t-il que des historiens portent des jugements<br /> moraux ou utilisent le qualificatif de « crime », mais ils ne peuvent prétendre le faire en tant qu'historiens.<br /> <br /> <br /> <br /> S'agissant de l'historien, qu'il étudie l'histoire de Jésus ou quoi que ce soit d'autre, il est évident pour moi qu'il doit le faire avec toutes les méthodes et tous les outils conceptuels que<br /> lui fournissent les avancées de la science contemporaine.<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> Réponse de Catherine Kintzler.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Je m'associe entièrement aux commentaires de Jean-Michel Muglioni, auxquels j'ajouterai quelques remarques.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> 1° La première est anecdotique.<br /> <br /> <br /> J'ai relevé dans les propos de François Fillon une symétrie qui me semblait illégitime entre anticléricalisme et homophobie, dans la mesure où l'ancien premier ministre les renvoyait dos à dos.<br /> D'où j'ai conclu que son discours jetait le discrédit sur l'anticléricalisme comme s'il s'agissait d'un délit comparable à l'homophobie. Je pense toujours qu'il importe de maintenir la<br /> dissymétrie, que André Perrin tente pourtant de réfuter en faisant l'hypothèse que François Fillon parle de l'anticléricalisme au sens large, c'est-à-dire d'une forme de discrimination à l'égard<br /> du clergé (et non de l'anticléricalisme au sens strict - l'empêchement pour les membres du clergé de jouir d'un statut politique en tant que tels). En effet, quoi qu'il en soit des intentions de<br /> François Fillon, son discours, en l'absence de toute précision, assumait l'ambivalence, et peut être compris sans mauvaise foi comme un discrédit jeté sur l'anticléricalisme au sens strict qui<br /> doit être pratiqué dans tout Etat laïque. De là à conclure, comme je le fais, que cette interprétation était dans le champ de vision de François Fillon, lequel est un fin politique et pèse en<br /> général ses mots, il n'y a qu'un pas, que je franchis sans scrupule !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> 2° La seconde porte sur l'usage actuel de la fameuse injonction tirée de l'Évangile selon saint Matthieu  « Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ».<br /> <br /> <br /> Injonction fondatrice du christianisme, cela est juste. Elle est citée souvent aujourd'hui pour avancer que, au fond, c'est le christianisme qui a inventé la séparation du religieux et du<br /> politique. Pourtant elle n'ouvre la voie qu'à une conceptualisation partielle de la séparation entre le religieux et le politique. Car elle suppose que toute religion est monothéiste, et au-delà,<br /> qu'il va de soi d'avoir une religion. Pour avoir un critère pertinent sur l'effectivité complète de la séparation entre le religieux et le politique, cette injonction n'est que partiellement<br /> efficace, il faut encore se demander (entre autres) quel sort est réservé  par le politique aux non-croyants, à ceux qui, à tort ou à raison (mais ce n'est pas le rôle du politique que de<br /> trancher cela), considèrent qu'ils n'ont rien à rendre à un dieu. L'Évangile en cette occurrence ne s'adresse qu'aux chrétiens et à ceux qui deviennent chrétiens !<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> 3° La troisième porte sur la fin du texte, la troisième proposition (philosophique), mais elle pourrait bien refluer sur une bonne partie du texte.<br /> <br /> <br /> <br /> Cette troisième proposition consiste  à distinguer, lorsqu'on parle d'« idéologies criminelles ou criminogènes », entre celles pour lesquelles les crimes en question sont conformes<br /> à leur essence, et celles pour lesquelles les crimes en question ne leur sont pas consubstantiels. Dans le premier cas, les crimes sont inclus dans la nature même de l'idéologie et en sont donc<br /> une conséquence directe, dans le second ils en sont disjoints. D'où l'auteur conclut, en rassemblant les troupes si je puis dire : christianisme et république sont du même côté et ne sont<br /> évidemment pas à mettre dans le même sac que les idéologies totalitaires du XXe siècle. Je lui accorderai ce point sans difficulté !<br /> <br /> <br /> Mais il me semble qu'un élément supplémentaire doit être précisé, qui pourrait cette fois distinguer le christianisme de la république. Parmi les idéologies ou systèmes de pensées au nom desquels<br /> on a commis des « crimes », il en existe pour lesquels non seulement ces actes n'ont pas été commis conformément à leur essence, mais pour lesquels ces actes ont été commis<br /> contrairement à cette essence.<br /> <br /> <br /> Ainsi, toutes les actions honteuses énumérées au paragraphe « La république criminelle ? » n'ont pas seulement été commises en disjonction avec l'essence de la république : elles ont<br /> été commises en contradiction avec elle. Et cela est facile à établir puisque les textes fondateurs de la République française (dont il est question dans ce paragraphe) sont des textes<br /> politico-juridiques précis, et qu'y figure, en fort bonne place, la Déclaration des droits, texte simple et universel auquel chacun peut mesurer les actes et les propos.<br /> <br /> <br /> Bien malin celui qui pourrait en dire autant du christianisme et qui, sans être un Feuerbach, pourrait aussi simplement en résumer l'essence permettant à chacun d'en juger aussi<br /> facilement qu'on peut le faire avec la Déclaration des droits en main !- le moins qu'on puisse dire est que la question est complexe, on en discute depuis deux mille ans !<br /> <br /> <br /> On pourrait donc chicaner ici sur la « conformité à l'essence ». N'est-ce pas en vertu du christianisme et conformément à son essence que, bien après qu'on eut pris connaissance des<br /> droits de l'homme, Jean-Paul II a enjoint expressément aux Africains atteints du sida de ne pas utiliser de préservatifs - déclaration lourde de conséquences sur la vie et la mort des personnes<br /> -, et que tout récemment Benoît XVI a affirmé que là où Dieu est nié, l'être humain se dissout (certes ce n'est pas une autorisation expresse à agresser les incroyants... mais ça fait peur tout<br /> de même !) ? N'est-ce pas en vertu du christianisme que l'Église catholique a refusé avec la dernière énergie pratiquement chaque extension des droits de l'homme (surtout lorsqu'il s'agissait des<br /> femmes) durant l'histoire récente ? Mais on pourrait citer, en sens inverse, bien d'autres actions - notamment en matière d'assistance aux plus démunis, en matière de droit au logement...<br /> <br /> <br /> <br /> De sorte que l'appel à l'essence et à la conformité avec elle est bien plus souple et sujet à interprétations multiples dans le cas du christianisme que dans le cas de la République française, ou<br /> même de la Révolution française. A ce sujet, je n'ai nulle intention de nier ni même d'excuser les massacres commis par la Terreur : je ferai remarquer - ce qui me semble bien dans le sujet - que<br /> la Terreur est à ma connaissance le seul régime qui ait eu l'audace et la lucidité de s'intituler lui-même Terreur, et de se dire ainsi anté-politique et anté-juridique, précisément en relation<br /> (et en contrariété) avec ce qu'elle visait, les textes l'attestent très clairement (1).<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Et donc lorsque l'auteur détourne plaisamment la phrase de Lucrèce donnée par Jean-Michel Muglioni reprenant la citation que Kant en a faite (Tantum religio potuit suadere malorum), il<br /> le fait à la faveur d'une distorsion supplémentaire mais subreptice. Le sens de la proposition détournée Tantum respublica potuit suadere malorum n'est pas épuisé par la simple<br /> substitution de respublica à religio. La proposition détournée n'est pas sémantiquement analogue à la proposition de Lucrèce, et elle demanderait en tout état de cause une<br /> précision - ce qui annulerait, comme toujours, le mot d'esprit en soulignant le contresens volontaire produit par l'emploi du verbe suadere (conseiller). Car les maux ou les<br /> crimes qui furent commis par la République et en son nom ne le furent pas en vertu de son essence, ni même en disjonction avec son essence, mais contrairement à son<br /> essence.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Je conclus donc en disant à André Perrin qu'il a encore plus raison qu'il ne le dit lui-même, mais que ce surcroît de raison pourrait affaiblir son propos en ce qui touche le christianisme! En<br /> termes techniques, l'essence du christianisme (et probablement celle de toute religion) n'est pas falsifiable alors que celle de la République française l'est.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> 1 - J'ai étudié naguère la question dans un chapitre de l'ouvrage que j'ai dirigé conjointement avec Hadi Rizk La République et la Terreur (Paris : Kimé, 1995).<br />
A
<br /> <br /> Mezetulle a reçu la réponse d'André Perrin à Catherine Kintzler :<br /> <br /> <br /> ******************<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> 1° Je ne disputerai pas davantage sur le premier point, effectivement « anecdotique ». Catherine Kintzler persiste à penser que François Fillon a visé dans sa lettre, au moins<br /> objectivement et peut-être subjectivement, non seulement l'anticléricalisme au sens large, mais aussi l'anticléricalisme au sens strict. De mon côté j'ai toujours du mal à voir en lui un<br /> nostalgique de la chrétienté médiévale qui voudrait revenir sur la loi de 1905 pour permettre aux membres du clergé « de jouir d'un statut politique en tant que tels ».<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> 2° Catherine Kintzler m'objecte ensuite que l'injonction évangélique « Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » ne dit pas le tout de la laïcité et ne le dit<br /> qu'aux chrétiens. Je le lui accorde bien volontiers. Elle aurait même pu aller beaucoup plus loin et faire observer que pour fondatrice qu'elle fût, cette exigence ne s'est pas imposée sans<br /> difficulté au christianisme lui-même à travers son histoire. Et que la République a dû, non sans brutalité parfois, l'aider à en accoucher – au forceps pourrait-on dire. Je suis assez moderne<br /> pour ne pas répugner à l'idée de ruse de la raison.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> 3° Catherine Kintzler m'oppose enfin deux objections dont l'entremêlement est problématique. La première consiste à soutenir que les crimes imputés à la république ont été commis en contradiction<br /> avec son essence, tandis que ceux qui sont imputés au christianisme – la pandémie du sida en Afrique ou les atteintes au droit des femmes par exemple – l'auraient été conformément à son essence<br /> (il est vrai que ce n'est pas expressément affirmé, mais rhétoriquement suggéré à travers des propositions interrogatives). La seconde consiste à montrer que l'essence du christianisme n'est pas<br /> « falsifiable » tandis que l'essence de la république l'est : dans ce dernier cas des textes juridiques, au premier rang desquels la Déclaration du 26 août 1789, permettent de<br /> savoir sans équivoque ce qui est conforme ou contraire à la république, tandis que dans le cas du christianisme, en dépit de 2000 ans de discussions, il serait impossible de connaître son<br /> essence.<br /> <br /> <br /> <br /> Remarquons que le second argument rend malaisée l'utilisation du premier : s'il est impossible de connaître l'essence du christianisme, il l'est du même coup d'affirmer que ceci ou cela est<br /> conforme à cette essence.  Je conteste cependant les deux arguments, à des degrés divers toutefois. Sur le premier point, il m'est impossible d'entrer ici dans des considérations détaillées<br /> sur les droits des femmes dont il n'est d'ailleurs question  que de façon allusive. Je me bornerai donc à quelques remarques rapides. Non, lors de l'unique déclaration qu'il a faite sur ce<br /> sujet le 6 février 1993 à Kampala, Jean-Paul II n'a pas « enjoint expressément aux Africains atteints du sida de ne pas utiliser de préservatifs » : il s'est borné, sans prononcer<br /> le mot préservatif, à rappeler l'enseignement traditionnel de l’Église sur ce sujet. Non, cette déclaration n'a pas contribué à propager l'épidémie du sida puisque le taux d'infection qui avait<br /> atteint 30% en 1993 n'a cessé de décroître dans les années qui ont suivi la déclaration papale et était tombé à 4% en 2009. Qu'aurait-on dit si cela avait été l'inverse ? Si la théologie<br /> morale professée par le pape avait les effets mortifères qu'on lui prête, c'est dans les pays où son influence est la plus forte qu'on devrait les constater. Or c'est exactement le contraire<br /> qu'on peut observer : c'est dans les pays d'Afrique majoritairement catholiques que le taux d'infection est le plus bas et dans les pays où les catholiques sont minoritaires qu'il est le<br /> plus haut. Là encore, que dirait-on si c'était l'inverse ?<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br /> Sur le second point je répondrai que l'essence du christianisme se trouve dans l'enseignement du Christ, c'est-à- dire dans la « pure et simple religion de l’Évangile ». J'accorderai<br /> volontiers à Catherine Kintzler qu'aucun texte sacré, à commencer par celui de la Bible, n'est d'une « clarté biblique », selon une expression tout à fait malheureuse, et que l'exégèse<br /> d'un texte sacré est infiniment plus complexe et hasardeuse que celle d'un texte juridique. Il n'en demeure pas moins qu'il me semble bien difficile de montrer qu'un seul des « crimes »<br /> qu'on impute au christianisme puisse s'autoriser de l’enseignement du Christ. J'en veux pour preuve que ceux qui veulent le faire en sont réduits à se livrer à des exégèses délibérément<br /> mensongères. Ainsi dans un entretien accordé au journal Libération à la date des 6-7 décembre 2008, M. Gérard Mordillat déclare : « quant au message de Jésus, ce n'est pas<br /> qu'un message d'amour : « Ceux qui n'ont pas voulu que je règne, égorgez-les en ma présence ». Que peut comprendre le lecteur peu familiarisé avec le texte évangélique ? Que<br /> c'est Jésus qui parle, et qu'il ordonne d'égorger ceux qui s'opposeront à son règne. Or le passage que Mordillat cite sans donner ni la référence, ni le contexte est celui d'une parabole, la<br /> parabole des mines (Luc, XIX,27) dont Jésus est le narrateur. Celui qui parle n'est pas Jésus mais un personnage de fiction, un « homme de haute naissance » qui aspire à la royauté.<br /> <br /> <br /> <br /> Bien sûr, il reste l'épisode des marchands du temple que Jésus chasse à coups de cordes en renversant leurs comptoirs et en les traitant de voleurs. On pourrait y voir un appel à combattre<br /> vigoureusement le monde de la finance et soutenir que c'est là un grand crime.<br /> <br /> <br /> <br /> Quant à la façon dont l’Église a pu interpréter le message du Christ à tel ou tel moment de son histoire, c'est autre chose, mais la comparaison de l’Église avec une épouse infidèle qui rompt<br /> l'alliance et se comporte comme une prostituée était déjà courante chez les Pères et Docteurs de l'Église.<br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> Réponse de Jean-Michel Muglioni.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Je réponds à A. Perrin sur deux points, qui portent non pas sur le catholicisme, mais le premier sur la nature de son argumentation et le second sur son idée de la philosophie.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> 1 - Sur mes amis catholiques<br /> <br /> <br /> <br /> J’ai fait part de l’accord de certains de mes amis catholiques avec mon jugement sur les positions actuelles de leur Église, voici en quels termes :<br /> <br /> <br /> <br />  « Mon propos est donc anticlérical puisqu’il dénonce l’imposture d’un clergé. Mais il convient de rappeler que la religion, chez les croyants sincères, est autre chose que l’obéissance<br /> aux injonctions d’une hiérarchie. Je m’entends assez bien avec mes amis catholiques, qui ne s’en laissent pas imposer même sur ces questions. Certains jugent Rome plus sévèrement que moi. Et en<br /> effet la critique théologico-politique du discours officiel de l’Église ne remet en cause la foi d’aucun croyant. »<br /> <br /> <br /> <br /> A. Perrin commente cette invocation des « jugements sévères de [mes] amis catholiques » ainsi :<br /> « Sur ce dernier point, je lui [à Muglioni] ferai malicieusement remarquer qu'il prend des risques en faisant état de ses amitiés catholiques car pour avoir argué de leurs amis homosexuels<br /> les participants à la « manif pour tous » du 13 janvier dernier se sont attiré le lendemain matin sur les ondes d'une radio publique cette foudroyante réplique de la part d'un certain<br /> Nicolas Martin, porte parole des « Outragés de la République » : « ce discours … on adore les homosexuels, on a des amis homos ... c'est horrible … c'est :<br /> « je ne suis pas raciste mais j'ai un ami noir » … on a entendu ça tout le temps. »<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br /> La malice est ici certaine, car A. Perrin ne parle pas en son propre nom : je ne peux donc m’en prendre à lui. Mais faire même indirectement (« malicieusement ») une analogie entre<br /> ce que je dis de mes amis catholiques et le bien connu « je ne suis pas raciste, j'ai un ami noir », c’est confondre la critique d’une religion ou de son clergé avec le racisme. C’est<br /> très exactement faire ce que Catherine Kintzler reproche à Fillon : mettre sur le même plan anticléricalisme et homophobie. L’admirable subtilité des distinctions que fait  A. Perrin<br /> n’y fera rien. Mon propos n’est en aucune manière une forme de racisme contre les chrétiens ou les croyants en général, de même qu’une critique du judaïsme n’est pas nécessairement le fait d’un<br /> antisémite. On n’est pas loin du point Godwin.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Perrin répliquera sans doute que l’analogie qu’il suggère n’est pas faite sous le rapport du racisme mais de l’intolérance à l’égard des catholiques en général (qui en effet n’est pas un<br /> racisme). Or précisément je disais qu’il y a un anticléricalisme partagé par des catholiques sincères, parfois même furieux de l’attitude de leur Église, et que cet anticléricalisme ne remet pas<br /> en question leur foi. Est-il absurde de distinguer cet anticléricalisme de l’intolérance à l’égard de croyants ?<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> 2 -Sur l’usage du mot « crime »<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> J’ai rappelé que Kant, dans un ouvrage qui rend compte de la signification morale universelle (je dis bien : universelle) du christianisme, écrit que l’histoire du christianisme<br /> « ne lui sert aucunement de recommandation ». « Cette histoire du christianisme, dit-il […], quand on l’embrasse d’un seul coup d’œil comme un tableau, pourrait bien justifier<br /> l’exclamation : Tantum religio potuit suadere malorum ! [Tant la religion a pu conseiller de crimes] », et j’ajoutais : « par exemple le sacrifice<br /> d’Iphigénie », puisque Lucrèce conclut par ce vers célèbre le récit de ce crime.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br /> A. Perrin conteste l’usage que j’ai fait ainsi du terme de crime. Je citais Kant citant Lucrèce, dans une traduction qui rend malorum par crimes (par ex. trad. Alfred<br /> Ernoult, p. 34 Belles lettres Paris 1942, reprise par Philonenko dans l’édition de Kant à La Pléiade III, p.1366, et par B. Pautrat, Livre de Poche, Paris, 2002. J. Kany traduit : Combien la<br /> religion suscita de malheurs ! Aubier, Paris, 1993, ce qui est moins bon).<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Le terme de crime est pour A. Perrin l’occasion de rédiger sérieusement deux paragraphes sur la criminalité et la rétroactivité de la loi, comme s’il était pris ici au sens<br /> qu’il a dans notre code pénal. L’exégète envisage ensuite qu’on puisse tout de même entendre crime au sens moral, mais pour dire aussitôt qu’alors il y a anachronisme. Kant commet donc<br /> un anachronisme, puisqu’il cite Lucrèce pour parler des crimes du christianisme qu’il met ainsi sur le même plan que le sacrifice d’Iphigénie, comme le comprend tout lecteur cultivé. Ainsi toute<br /> critique du christianisme (et cette fois, non seulement de l’histoire de l’Église mais de la foi, ce que ni Kant, ni mon article sur l’anticléricalisme ne faisaient) fondée sur le matérialisme<br /> épicurien est d’avance récusée. L’argument porte décidément très loin.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Or est-il absurde de juger criminel un acte commis en un temps où régnaient d’autres mœurs que les nôtres ? La crucifixion du temps des Romains était conforme aux institutions, aux mœurs,<br /> aux mentalités, aux habitudes. On trouve meilleure apologie du christianisme qu’un relativisme qui amène à soutenir, au nom de la non-rétroactivité des lois, qu’avant 1789 il n’y a jamais eu<br /> nulle part d’atteinte aux droits de l’homme. Mais quand on a mis le doigt dans l’engrenage de la polémique, il ne faut s’étonner de rien.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Tout cela repose sur des prises de position philosophiques indépendantes du jugement que je porte sur le christianisme, son histoire et l’anticléricalisme : avouerai-je, en effet, pour<br /> mettre fin à la discussion, que j’ai enseigné pendant trente sept ans que la morale est universelle ou n’est rien ?<br /> <br /> <br />  <br />
A
<br /> <br /> Mezetulle a reçu la réponse d'André Perrin à Jean-Michel Muglioni :<br /> <br /> <br /> ********<br /> <br /> <br /> Sur le premier point<br /> <br /> Je suis un peu amusé, un peu peiné, en tout cas stupéfait que Jean-Michel Muglioni ait cru nécessaire de se défendre d'une accusation de « racisme » à l'endroit des chrétiens ou des<br /> croyants. Il y a là un malentendu dont je porte peut-être une part de responsabilité. C'est que si mon texte se présentait d'une façon générale comme une réponse à Catherine Kintzler et à<br /> Jean-Michel Muglioni, ce n'était pas le cas dans le passage que retient Jean-Michel Muglioni. Revenons donc au point de départ. Revendiquant son anticléricalisme, Jean-Michel Muglioni nous fait<br /> savoir qu'il a des amis catholiques qui ne sont pas moins anticléricaux que lui, voire même plus. Peu de temps auparavant des opposants au mariage homo avaient fait savoir, eux, qu'ils avaient<br /> des amis homosexuels, dont certains n'étaient pas non plus favorables au mariage dit « pour tous ». Je fais remarquer « malicieusement » à JMM (« malicieusement »,<br /> c'est-à-dire dans mon esprit « pour rire », par manière de plaisanterie et de taquinerie) qu'en usant de cet argument il s'expose à se faire traiter de raciste par des gens<br /> malintentionnés. N'est-il pas visible que ce n'est pas à JMM que je m'en prends, mais à ces gens malintentionnés, à M. Martin, à M. Bergé, à tous ceux qui, non contents de qualifier d'homophobes<br /> les citoyens qui ont sur le projet de loi soumis à la représentation nationale un avis différent du leur, assimilent maintenant cette prétendue homophobie à du racisme ? Car ce n'est pas là<br /> être proche du point Godwin : c'est l'avoir atteint. Je peux donc reprendre, mutatis mutandis, les termes mêmes  de Jean-Michel Muglioni pour dire : faire une analogie<br /> entre ce que des opposants à la loi, catholiques ou non, disent de leurs amis homosexuels et le racisme c'est confondre la critique d'un projet de loi soumis au jugement des citoyens avec le<br /> racisme. Dans mon article j'ai indiqué pour quelles raisons, à la différence de Jean-Michel Muglioni, je me refusais à fonder un quelconque anticléricalisme sur les crimes imputés à l’Église<br /> catholique, mais nulle part je n'ai suggéré que son opinion opposée à la mienne pût être motivée par des passions basses. Je suis tout  au contraire convaincu que même erronée, elle est<br /> raisonnée. Pourquoi donc devrais-je refuser ce même a priori favorable, ou plus précisément, ce même « principe de charité » à ceux de mes concitoyens qui expriment un avis défavorable<br /> sur le projet qu'on soumet à leurs représentants ?<br /> <br /> <br /> <br /> Dans un article dont<br /> Catherine Kintzler a eu la gentillesse de rappeler l'existence, j'exprimais ma réprobation à l'égard de ces sempiternelles accusations de racisme qui, visant à disqualifier des adversaires dont<br /> on n'a pas le courage de discuter les arguments, ont pour effet d'empoisonner le débat public, sinon de l'interdire. Nous en sommes là, une fois de plus. Depuis des semaines, les tribunes que je<br /> lis dans les journaux, les chroniques que j'entends à la radio reprennent inlassablement la même antienne : être contre le mariage homosexuel, c'est être homophobe. Cela se dit tantôt de<br /> manière feutrée, comme une ministre à la matinale de France-Inter, tantôt de manière frontale et brutale, comme Clémentine Autain dans ses discussions avec Élisabeth Lévy, tantôt en ajoutant la<br /> vulgarité à la brutalité, comme Virginie Despentes dans sa lettre ouverte à Lionel Jospin. Homophobe donc, Jospin, homophobe, Sylviane Agacinski, homophobe Renaud Camus et les homosexuels, il<br /> n'est pas le seul, qui sont opposés au projet. Et délinquants avec ça, puisque l'homophobie est « une forme grave d'intolérance expressément punie par la loi ». Homophobes et<br /> délinquants, si l'on en croit les derniers sondages, les 52% de maires qui y sont opposés et les 63% de Français qui sont opposés à la PMA. Et que fait-on avec les délinquants ? On ne<br /> discute pas avec eux, on les met à l'amende ou on les met en prison. Et si on ne le fait pas, c'est peut-être parce qu'au fond on sait très bien qu'on ne dit pas la vérité en les traitant<br /> d'homophobes et de délinquants. Mais encore une fois ce ne sont ni Catherine Kintzler ni Jean-Michel Muglioni qui sont ici visés puisqu'ils n'ont ni l'un ni l'autre accusé qui que ce soit<br /> d'homophobie et qu'ils ont l'un et l'autre, au contraire, discuté et solidement argumenté.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Sur le second point<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Jean-Michel Muglioni fait comme si je n'avais envisagé qu'on puisse prendre le mot « crime » au sens moral qu'après avoir rédigé « deux paragraphes » sur le crime au sens<br /> juridique, et comme du bout des lèvres. C'est inexact. Il suffit de relire mon texte pour constater que c'est d'emblée, avant la rédaction de ces deux paragraphes, que je distingue d'une<br /> part le crime au sens moral et au sens juridique, dans le présent et dans le passé d'autre part, ceci pour épuiser le champ des possibilités. S'agissant du crime au sens juridique, l'exemple des<br /> lois mémorielles que j'ai donné montre bien qu'il ne s'agit pas d'une simple hypothèse d'école et par ailleurs lorsqu'on soutient qu'il y a eu des violations des droits de l'homme avant que<br /> ceux-ci eussent été proclamés, et avant même que l'idée en eût été formée, le lecteur a le droit de savoir quel sens on donne précisément à l'expression « droits de l'homme ». Je<br /> reviendrai sur ce point.<br /> <br /> <br /> <br /> Fonder une critique du christianisme – ou plutôt de la religion en général et donc du christianisme en particulier – sur le matérialisme épicurien est une chose. Imputer des crimes au<br /> christianisme citation de Lucrèce à l'appui en est une autre. La critique épicurienne de la religion est fondée sur une théologie (les dieux sont immortels et bienheureux) et sur une physique,<br /> non sur une imputation de crimes à la religion à laquelle on peut du reste procéder sans être ni matérialiste, ni épicurien et sans rien fonder par conséquent sur le matérialisme épicurien.<br /> <br /> <br /> <br /> Jean-Michel Muglioni oppose enfin à ce qu'il croit être mon « relativisme » qu'il a enseigné pendant trente sept ans que « la morale est universelle ou n'est rien ». Mais moi<br /> aussi ! Seulement il faut dire ce qui est universel dans la morale. La morale ne peut être universelle que pour autant qu'elle est formelle car, pour le dire dans le langage d’Éric Weil, le<br /> contenu des maximes nous vient toujours de la partie « finie » et « besogneuse » de notre être. La morale n'est universelle que dans la mesure où elle se fonde sur la seule<br /> raison, faculté de l'universel, et dès lors elle ne peut contenir rien d'autre que ce que la raison produit, savoir l'exigence purement formelle de l'universalité. En d'autres termes nous pouvons<br /> présumer que pour les contemporains de Socrate comme pour nous être moral a toujours consisté à agir par pur respect de la loi morale, même si on ne l'a pas toujours formulé ainsi, mais cela ne<br /> nous dit pas en quoi consistait concrètement agir conformément à la loi morale à cette époque et ce n'est pas déductible parce qu'on ne peut pas déduire un contenu d'une pure forme :<br /> celui-là dépend de l'empirie. C'est pourquoi j'avais écrit que lorsqu'on impute l'immoralité aux hommes de jadis, il faut s'assurer qu'il s'agit de violations de « la loi morale telle<br /> qu'elle était accessible à la conscience des hommes de l'époque et telle que son contenu était déterminé par les mœurs et l'ensemble des conditions empiriques de leur temps ». Ainsi<br /> l'universalité que Jean-Michel Muglioni m'oppose ne lui permet pas de répondre aux questions que j'avais posées, par exemple : Aristote et les esclavagistes de son temps étaient-ils des<br /> criminels ? Là-dessus il n'est peut-être pas inutile de relire Éric Weil : « Sans une matière à laquelle elle s'applique, la loi naturelle resterait cependant une forme pure et<br /> vide. Cette matière est historique : ce qui est violence ou ne l'est pas dépend de ce qu'on peut appeler l'esprit d'une communauté à une époque donnée. À partir d'un certain moment,<br /> l'esclavage, par exemple, est ressenti comme condition violente et injuste que la justice (le droit naturel) n'autorise pas […] Mais jusque là, même l'esclave révolté ne proteste pas contre<br /> l'esclavage, il se révolte contre le fait que lui, non les autres, soit esclave au lieu de maître ». (Philosophie politique Vrin, 1966, p.38).<br /> <br /> <br /> <br /> On peut ainsi nommer ces droits de l'homme d'avant les droits de l'homme dont Jean-Michel Muglioni dit à juste titre qu'ils ont pu être violés, ce que je n'ai pas nié, mais au contraire affirmé<br /> en rappelant les sinistres exploits de Robert Le Bougre : il s'agit du droit naturel ou juste de nature. Cependant comme le rappelle encore une fois Éric Weil, il ne faut pas oublier que ,<br /> parce que la nature de l'homme est historique, le droit naturel l'est aussi : « Un juste de nature, pour revenir à Aristote, existe, mais il est partout différent ». (Du droit<br /> naturel in Essais et conférences Tome I, Vrin 1991 p.193). C'est cette historicité qu'il faut prendre en compte quand on parle des crimes qui ont été commis dans l'histoire.<br /> <br /> <br /> <br /> <br />

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