Bloc-notes actualité
Sur le livre de Marc Parmentier
Philosophie des sites de rencontres (1)
Marc Parmentier, spécialiste de la philosophie du XVIIe siècle, publie une Philosophie des sites de rencontres aux éditions Ellipses.
Si la philosophie entend penser le réel, celui-ci comprend aussi l’actuel, même s’il ne s’y limite pas. L’actualité pensée ici est paradoxalement celle du virtuel. L’opposition classique du virtuel et de l’actuel ne plaide jamais en faveur de celle-là qui au mieux est visée comme une potentialité, au pire comme une simple possibilité. Dans cet ouvrage, il s’agit de comprendre le virtuel mis en œuvre par internet, et spécialement par les sites de rencontres, en mettant entre parenthèses cette disqualification classique de la virtualité.
En effet, un site de rencontre ne se présente pas comme un univers virtuel, mais au contraire comme un outil de communication très performant (au sens à la fois de la pertinence et de la production d’effets). Le marketing quantifie même ces performances et cette effectivité. Bien que la pratique (d’inscription notamment) se fasse par le biais de virtualités (pseudo, par ex.) et que les échanges n’aboutissent pas toujours à une rencontre physique, certains internautes s’installent durablement dans ce type d’échanges médiatisés. Cela provoque une réflexion nécessaire sur l’intensité des affects provoqués et bien réels à l’occasion de cette relation virtuelle. La problématique clairement posée induit donc la démarche : comprendre la logique interne de ces sites sans porter de jugement de valeur et à partir de là seulement mettre en place (dans les derniers chapitres) des éléments critiques.
Marc Parmentier montre clairement comment la philosophie classique du XVIIe siècle met en place un cadre théorique permettant de décrire des phénomènes virtuels au sens contemporain. Chez Descartes par exemple l’âme, hétérogène par rapport au corps, peut éprouver des sensations indépendamment de la situation corporelle, comme dans le cas de la douleur ressentie dans un membre amputé. De là, M. Parmentier montre que la dimension virtuelle des échanges sur les sites n’est pas produite par la structure informatique elle-même, mais qu’elle est concrétisée et largement amplifiée par celle-ci. Il s’agit dès lors de comprendre l’articulation indéfinie du désir amoureux à son objet sur laquelle la structure informatique joue, à partir des leçons de la philosophie morale classique (Descartes, Hume, Hobbes, Locke...), de la notion freudienne de pulsion et de celle d’objet transitionnel élaborée par Winnicott.
Le site de rencontre est aussi pensé dans sa singularité : il n’est pas un univers fermé (comme celui du jeu vidéo), mais laisse place à une double dimension (qui constitue une opposition) réelle et imaginaire, qui maintient une indécision propre à la notion même de virtualité. Cette indécision s’applique du reste à l’usager du site et à son identité. L’histoire de l’identité personnelle, telle qu’elle s’exprime dans la réflexion décisive de J. Locke qui la sépare de l’identité substantielle et la rattache à la personne et à la conscience, est convoquée pour montrer les effets bien réels de délocalisation du sujet. Ceux-ci soulèvent la question cruciale et difficile de la régulation de cet univers virtuel et notamment de la possibilité de pacifier les interactions entre des usagers dont il est impossible de savoir s’ils sont situés dans le réel ou l’imaginaire.
Il ressort donc de ceci que la pratique d’internet n’est pas si simple et que la conceptualisation philosophique rend possible non pas une déconstruction (qui serait vaine et absurde) mais une compréhension fine de ses enjeux. L’ouvrage de M. Parmentier crée les conditions, pour le lecteur, de cette compréhension par la précision des références classiques et par la rigueur des analyses mises en œuvre.
1 - Marc Parmentier, Philosophie des sites de rencontres, Paris : Ellipses, 2012. Marc Parmentier, antérieurement à la publication de son livre, a publié sur Mezetulle un article consacré à la question.
2 -Professeur agrégé de philosophie, François Medriane enseigne en Première Supérieure au Lycée Châtelet de Douai.