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Légion d'honneur : Catherine Kintzler accepte et s'explique
S'inspirant de l'interview de Jacques Tardi publiée par Le Parisien du 3 janvier 2013, page 4 (1) - où l'auteur de BD explique son refus de la Légion d'honneur -, Mezetulle a demandé à Catherine Kintzler, nommée chevalier dans la même promotion du 1er janvier 2013, pourquoi elle a accepté.
Rien d'étonnant dans l'acceptation de CK. La bonne femme, à 65 ans, a consacré une partie de son travail à réfléchir sur la notion d'institution politique. Et puis il y a la tradition familiale : fille d'un immigré italien et d'une institutrice, CK a très vite compris qu'elle devait tout à la République. Un refus serait une offense à ses grands-parents qui choisirent la France pour échapper à Mussolini.
Mezetulle - Comment avez-vous appris que vous alliez recevoir la Légion d'honneur et comment avez-vous réagi ?
CK - Le 1er janvier, j'ai reçu un coup de fil d'une personne qui, à mon insu, a suivi mon dossier. Je tombais des nues, je n'ai eu aucun contact, et je n'ai pas été « sondée » ! Je trouve ça significatif : oui, il s'agit d'un signe extérieur, d'une reconnaissance sociale en usage. En ce domaine, on maîtrise déjà très incomplètement les signes qu'on émet, alors que dire de ceux dont on est l'objet ? Et la Légion d'honneur est le contraire d'un signe d'infamie ! Je ne suis pas de ceux qui affectent de regarder de haut toute extériorité. J'ai lu Pascal et La Rochefoucauld ; quoi qu'on fasse avec ce genre de distinction, c'est toujours un peu par vanité : il y a de la vanité à l'accepter, il y en a aussi à la refuser, ainsi qu'à faire savoir que l'on accepte ou que l'on refuse.
M - Vous vous dites républicaine, mais cette distinction n'a-t-elle pas une origine napoléonienne qui pourrait vous faire hésiter ?
CK - Je partageais, avec beaucoup d'autres, le préjugé qui associe la LH au Premier empire par le signifiant « Napoléon ». Il suffit d'une visite sur le site de la LH pour remettre les pendules à l'heure et pour rappeler la distinction entre Napoléon et Bonaparte que Victor Hugo nous a pourtant apprise. Bonaparte a créé la LH par la loi du 29 Floréal an X, qui est expressément une loi de la République. La Troisième République n'a pas jugé opportun d'abolir la LH.
M - Qu'est-ce qui vous plaît dans le fait de recevoir cette distinction ? N'y a-t-il pas là une sorte de compromission, une perte de liberté ?
CK - Une compromission avec la République ? Je l'espère bien ! Mais vous avez raison : il n'y a jamais de cadeau gratuit. Je me suis interrogée sur ce qu'on pourrait bien exiger de moi dans une sorte de potlatch, et je me suis inquiétée de savoir si ma liberté y serait si peu que ce soit engagée. J'ai donc lu la loi du 29 Floréal An X, particulièrement son article 8 :
Chaque individu admis dans la légion, jurera, sur son honneur, de se dévouer au service de la République, à la conservation de son territoire dans son intégrité, à la défense de ses lois, et des propriétés qu'elles ont consacrées ; de combattre par tous les moyens que la justice, la raison et les lois autorisent, toute entreprise tendant à rétablir le régime féodal, à reproduire les titres et qualités qui en étaient l'attribut ; enfin, de concourir de tout son pouvoir au maintien de la liberté et de l'égalité.Cela me va ! On ne demande plus de jurer, mais je ne vois là rien qui pourrait m'empêcher de prêter un tel serment, et rien qui puisse entamer ma liberté.
M - Mais enfin, il y a quelque chose de politique au sens étroit du terme dans de telles nominations. Vincent Peillon, ministre de l'Education nationale, a visé la liste des promotions qui dépendent de son ministère et sur laquelle vous figurez. Cela ne vous gêne pas ?
CK - Vous voulez dire que je devrais mettre mes critiques sur la politique scolaire - qui est hélas menée de manière constante depuis 30 ans - en sourdine et que je devrais pratiquer dorénavant l'autocensure ? Je n'ai pas une si basse idée de la fonction ministérielle que de croire qu'elle achète la complaisance avec un « hochet ». D'ailleurs, je suis sûre que Vincent Peillon m'a lue et comprise, et je suppose que généralement il attend des citoyens une participation active (ce qui ne signifie pas consensuelle) au débat démocratique. Je ne m'en suis jamais privée et je ne compte pas m'en dispenser. Un honneur se reçoit, il n'a pas de prix: on doit lui faire honneur après son attribution ; c'est un encouragement à travailler. Enfin, qu'est-ce que je risque à user de ma liberté ? Rien, car nous sommes en république.