20 novembre 1970 5 20 /11 /novembre /1970 17:57

Laïcité : pas de sermons à l'école,
davantage d'instruction M. Peillon !

(Dossier Enseigner la « morale laïque » à l'école publique ?)
par Charles Arambourou

En ligne le 12 septembre 2012, avec l'aimable autorisation de Ufal-Infos


Le ministre de l’Éducation nationale veut un enseignement de la « morale laïque » à l’école publique, abordant notamment « le sens de l’existence humaine, […] ce qui fait une vie heureuse ou une vie bonne. » Vaste programme… mais la morale ne peut ni ne doit remplacer les contenus disciplinaires diminués depuis des années.
 

 

Répétons-le, la laïcité n’est ni une « valeur », ni une philosophie, ni une idéologie. C’est un cadre juridique, assurant la liberté de conscience (dont découle le libre exercice des cultes) et séparant les religions et les pouvoirs (et services) publics. Autrement dit, un contenant, pas un contenu – ou, mieux, un contenant permettant tous les contenus philosophiques, l’incroyance comme la croyance.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas plus de « morale laïque » que, par exemple, de « science laïque ». La laïcité – au sens de la séparation d’avec le religieux – est la condition sine qua non de la morale comme de la science. Sans elle, ni recherche ni éthique possibles : seulement le rabâchage et la justification des dogmes. C’est à Kant, tout croyant qu’il fût, que l’on doit d’avoir arraché, aux temps modernes, la morale à la théologie.

Jules Ferry l’avait compris, dont Vincent Peillon invoque à tort la « lettre aux instituteurs » : il ne traitait que de « l’enseignement laïque de la morale », et refusait explicitement toute « morale laïque ». La seule morale à enseigner, selon Ferry, se composait de « premières vérités… universellement acceptées », et ne devait choquer aucun « père de famille ». Si les présupposés idéologiques sont aussi clairs que contestables, du moins la laïcité n’est-elle pas invoquée pour fonder la morale, mais seulement pour encadrer son enseignement.

La deuxième question qui se pose alors est de savoir si la morale peut et doit faire l’objet d’un enseignement disciplinaire, comme le propose le ministre. « Le sens de l’existence » et « la vie bonne » relèvent bien des questions que la philosophie apprend à poser en terminale. Mais appartient-il aux programmes scolaires d’en faire une doctrine, aux maîtres d’en tirer des sermons ? C’est oublier que chaque religion, chaque philosophie, chaque individu, a sa propre réponse. Est-ce à l’État de formater les jeunes esprits ?

Voici un triste exemple des maximes jadis inscrites au tableau noir (CM2 1956-57) : « Je dénoncerai les mauvais camarades ». Et un jour, les « mauvais Français » ?… L’apprentissage de l’autonomie, l’usage de la raison critique, sont incompatibles avec tout endoctrinement, fût-il « laïque et obligatoire ».

Que l’école assure d’abord « l’instruction », comme le voulait Condorcet. L’éducation vient par surcroît. Il serait bien plus efficace, pour combattre la « communautarisation » haineuse de l’espace scolaire – dénoncée à juste titre par le ministre –, de renforcer le cadre laïque de l’enseignement, et d’en pratiquer avec fermeté les principes. Au professeur d’histoire la liberté de parler du Coran sans être croyant ; à celui de SVT l’enseignement de l’évolution, non des dogmes créationnistes ; à celui de français ou de philosophie, la découverte des penseurs et des écrivains du doute critique, des athées comme des croyants…

Le respect pour la loi morale, disait Kant, chaque homme, même le moins instruit, l’éprouve au fond de lui. On peut ajouter : tout comme il possède les structures de sa langue. Mais dans les deux cas, l’instruction est nécessaire pour accéder, soit à la maîtrise linguistique, soit à la notion du devoir. C’est en les instruisant qu’on fait progresser les esprits, pas en les endoctrinant. Et l’instruction qui permet l’accès à l’interrogation morale, c’est bien celle de l’ensemble des disciplines : elles concourent à la formation de l’esprit critique, et dotent l’élève des connaissances sans lesquelles « le sens » de l’existence n’a aucun sens.

Pour renforcer la laïcité à l’école, Vincent Peillon serait mieux inspiré de rétablir les enseignements disciplinaires affaiblis à coup de « réformes », plutôt que d’instaurer le prêche d’une insaisissable « morale laïque ».

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© Charles Arambourou, 2012

 

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commentaires

M
<br /> J'aurais dû commencer par dire que si la laïcité "politique", à la française, est "un cadre juridique" séparant les influences de l'Etat et celles des religions (ce qui les favorise en fait<br /> toutes !), ellle n'assure pas pour autant, à mes yeux,"la liberté de conscience", plus symbolique qu'effective, parce que son émergence est contrariée par les religions qui occultent depuis<br /> toujours les alternatives non confessionnelles. Par exemple (extrême!), un musulman de chez nous, à qui l'islam refuse le droit à l'apostasie, ne bénéficie pas, avec la complicité de l'Etat, de<br /> l'article 18 de la Déclaration Universelle de 1948, qui lui donne pourtant le droit de "changer de religion ou de conviction". J'y vois la conséquence de la conception laxiste et électoraliste de<br /> la tolérance et de la neutralité, les libertés d'enseignement et de religion n'étant assorties d'aucune limite, ce qui favorise le communautrisme et l'intolérance. <br /> <br /> <br /> Il me semble que la morale a deux fondements inconciliables : le premier, religieux, incite à la soumission à un dieu et à un livre "sacré", exclusifs des autres, tandis que le second, non<br /> confessionnel, philosophiquement laïque (mais pas athée), incite à l'autonomie de la conscience, à la responsabilté individuelle, à l'ouverture et à l'acceptation de la différence enrichissante<br /> de l'autre (tant qu'elle n'est pas fondamentaliste).<br />
C
<br /> <br /> Mezetulle a reçu la réponse de Charles Arambourou aux deux commentaires précédents :<br /> <br /> <br /> ********<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Cher Monsieur,<br /> <br /> <br /> Merci de l’intérêt que vous avez porté à mon point de vue. Ce que je sais de la Belgique me permet de comprendre que vous ne soyez pas d’accord avec moi. En effet, dans votre pays, la laïcité (ou<br /> « l’humanisme ») est considérée comme un courant de pensée, et à ce titre subventionnée comme les églises par les pouvoirs publics, si je ne m’abuse. A l’école publique ont lieu, soit<br /> des cours de religion, soit des cours de « morale laïque ». La Belgique est un Etat, non pas « laïque », mais « pilarisé », c’est-à-dire où le corps social est<br /> divisé en « piliers », communautés spirituelles reconnues (la division linguistique est évidemment une autre question).<br /> <br /> <br /> Je comprends que, dans ces conditions, les « humanistes » aient besoin de développer des contenus de « morale laïque » pour<br /> faire le pendant aux cours de religion. Je ne trouve d’ailleurs rien à redire aux objectifs antidogmatiques d’autonomie de la conscience, de responsabilité, etc. que vous rappelez. Mais le rôle<br /> de l’école doit-il être de permettre aux élèves (libertés en voie de constitution) de « choisir (…) de croire ou de ne pas croire », serait-ce « aussi<br /> librement que possible » ? Est-on vraiment libre –et doit-on l’être- quand on est élève, vis-à-vis des contenus des programmes scolaires ?<br /> <br /> <br /> Vous soulignez vous-même les inconvénients de la séparation des élèves « lors des cours de religion, ou de morale laïque », et vous relevez que chez vous, avec la<br /> « complicité de l’Etat » (j’ignorais ce cadre législatif), un musulman n’a pas le droit à « l’apostasie », en violation de la Déclaration universelle des droits de<br /> l’homme (et de la Convention européenne). Votre constat sur l’affaiblissement de la liberté de conscience, qui devient « plus symbolique qu’effective » me paraît logique, et<br /> vous critiquez avec raison « le communautarisme et l’intolérance » qui découlent de ce système.<br /> <br /> <br /> Or la laïcité française est tout autre (soyons modestes : je ne dirai pas qu’elle est préférable –enfin, pas tout de suite…). « Forme et non « contenu », ai-je écrit,<br /> elle ne préjuge pas des choix de conscience, et n’entend pas se réduire à une « foire aux religions et aux formes d’incroyance reconnues ». Même s’il n’existait qu’un seul citoyen adepte d’une philosophie particulière, il pourrait la pratiquer, dès lors qu’il respecterait l’ordre public. Voilà, entre parenthèses,<br /> pourquoi « La République ne reconnaît (…) aucun culte » (art. 2 de la loi de séparation de 1905) : la liste est par définition sans limite, il y a 65 millions de<br /> consciences en France ! La liberté de conscience permet tout –encore une fois dans les limites de l’ordre public.<br /> <br /> <br /> Il en va de même pour la morale. Chaque conscience individuelle a la sienne, chaque philosophie, chaque religion tente d’en inculquer une à ses adeptes. La conception libérale (au sens politique)<br /> de la loi de 1905 interdit à l’Etat de se faire « l’arbitre des consciences ». C’est à ce titre que Jules Ferry s’est refusé à définir une morale laïque spécifique.<br /> <br /> <br /> Mais allons plus loin : la morale est un « objet problématique », qu’il appartient à la philosophie d’étudier. Les règles de vie en société, ce n’est pas « la<br /> morale » : cela s’appelle le civisme, pas plus, pas moins. Le fameux « vivre ensemble » dont on nous rebat les oreilles (avec l’autre abomination : « faire<br /> société ») suppose « simplement » (et dans certains endroits, ce serait déjà beaucoup…) que les lois et règlements soient respectés par chacun. Oui, cela peut et doit s’apprendre à<br /> l’école : ainsi la laïcité interdit de manifester ostensiblement sa religion –mais nullement de dire qu’on en a une- à condition que soient respectées les opinions des autres, notamment ceux<br /> qui n’en ont aucune (opinion, ou religion, comme vous voudrez !). Que l’élève apprenne le respect des règles, quelle que soit la morale dont sa conscience se réclame (ou non…), cela suffit,<br /> et ce serait en pratique un progrès considérable…<br /> <br /> <br /> L’autre dimension nécessaire à la morale, que vous semblez sous-estimer –bien à tort me semble-t-il- vient de l’apprentissage « intellectuel » -je dirais : conceptuel- des<br /> disciplines, dont je maintiens qu’elles concourent à former l’esprit critique, le respect du débat d’opinions, l’usage de la raison, bref toutes choses indispensables à l’éveil de l’interrogation<br /> morale. Comment peut-on aborder la notion de « devoir » avec des illettrés ou de ignorants (sauf à leur inculquer des dogmes religieux) ? Seul un minimum de connaissances<br /> rationnelles permet aux jeunes esprits d’y accéder.<br /> <br /> <br /> Encore s’agit-il, comme je l’ai écrit, « d’objets problématiques », que l’on n’a jamais épuisés. Découvrir les réponses de Spinoza, de Kant, ou de Sartre (pour<br /> m’en tenir à ceux-là) sur la « liberté » relève bien de la connaissance de la « morale » : mais en aucun cas l’objet de l’enseignement n’est de faire<br /> « choisir » l’élève, contrairement au terme que vous avez employé à propos des croyances (ou incroyances).<br /> <br /> <br /> Le contenu de vos propos est éminemment respectable (et sympathique, de mon point de vue), mais il perdrait toute sa substance s’il était réduit à un prêche : cela se pratique, cela ne s’enseigne pas. Quant à faire de la morale, même dite « laïque », un « enseignement disciplinaire » tel que<br /> Vincent Peillon semble l’envisager, c’est carrément une incitation des élèves à l’immoralité !<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> Je ne partage pas l'avis de Charles ARAMBOUROU. Il est prématuté de porter un jugement sur le projet éducatif de Vincent PEILLON, sans avoir pris connaissance de l'expérience belge depuis des<br /> décennies, et l'avoir améliorée.<br /> <br /> <br /> Il n'est évidemment pas question d'"endoctriner", ou de "formater les jeunes esprits" ! Ce serait transposer le projet éducatif des religions sur celui qui est non confessionnel ! Il s'agit<br /> seulement démanciper les jeunes esprits des influences inconsciemmnent imposées par notre civilisation judéo-chrétienne, et de leur permettre de découvrir, au moins brièvement, aussi bien les<br /> alternatives des autres religions que celles de l'humanisme laïque (qui est antidogmatique et anticlérical, mais pas antireligieux), afin qu'ils puissent choisir, aussi librement que possible, de<br /> croire ou de ne pas croire.<br /> <br /> <br /> Il n'est pas question non plus d'en revenir aux préceptes moraux hérités des "commandements" de la morale chrétienne, du genre : "Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'il te fasse".<br /> Ou alors, en les améliorant : "Fais à autrui ce que tu voudrais qu'il te fasse" ! <br /> <br /> <br /> Si l'on veut "combattre la communautarisation haineuse de l'espace scolaire", il faudrait commencer par ne plus séparer les élèves, comme en Belgique, lors des cours de religions ou de morale<br /> laïque.<br /> <br /> <br /> "L'instruction" civique ne suffit plus ! Les cours, par définition intellectuels,  d'histoire, de biologie, de français et de philosophie, ne suffisent pas à développer la conscience<br /> morale, la recherche de valeurs universalisables parce que bénéfiques à tous et partout, telles que le respect des limites, de soi-même, de l'autre, de sa liberté (plus effective que symbolique)<br /> de conscience, de religion, de pensée, etc. <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br />

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