8 janvier 1971 5 08 /01 /janvier /1971 21:35

L'école des municipalités 

par Tristan Béal

En ligne le 29 septembre  2014

 

D’article en article,Tristan Béal poursuit avec une féroce ironie son analyse du démantèlement de l’école publique. Il revient ici sur l’une des dernières « mesures-phare » abordées dans L’école des loisirs obligatoires : l’organisation des TAP (Temps d’activités périscolaires) par les communes. La « municipalisation » du temps scolaire n'est pas un épiphénomène de la réforme des rythmes scolaires, mais sa conséquence inévitable et principale. On peut craindre que l'on ne s'arrête pas là et que ce ne soit pas seulement le temps de l'école qui soit « municipalisé », mais aussi le recrutement des maîtres et les programmes. Insidieusement ce sont les municipalités, et non plus l'État, qui s’imposent aux parents et aux personnels comme interlocuteurs en matière d’Éducation que l’on continue pourtant à dire nationale.

 

Lorsque j'écrivais en mai dernier un deuxième article sur la réforme des rythmes scolaires, plus particulièrement sur le « décret Hamon » permettant aux communes un assouplissement de la dite réforme, je ne pensais pas être si prémonitoire en donnant à cet article le titre : L'école des loisirs obligatoires. Il se trouve qu'a été dernièrement portée à ma connaissance une lettre qui circule en ce moment dans une commune de banlieue ; cette lettre est envoyée aux familles qui n'inscrivent pas leurs enfants aux activités périscolaires organisées par la municipalité[1].

 

Du reste, voici cette lettre[2].

 

Objet : L'absence de votre enfant au TAP (Temps d'Activités Périscolaires) de *... h *... à *... h *... le *... septembre 2014

   

Madame,

 

Monsieur *... *..., Maire de *..., Conseiller Général des *..., vous a transmis, à cette rentrée 2014/2015, un courrier précisant l'organisation du nouveau temps scolaire et périscolaire à *... .

Cette lettre indique également les modalités de mise en œuvre des TAP par les services municipaux.

Cette démarche expérimentale, voulue par la Municipalité dans l'intérêt de tous les enfants, et élaboré [sic] en partenariat avec l'Education Nationale, se donne pour objectif de rendre obligatoire la participation de chaque élève de *... inscrit dans les écoles élémentaires de notre ville.

Je vous précise qu'il s'agit d'un projet validé par les autorités académiques et qui vient d'être cité pour son exemplarité par Mme Najat VALLAUD-BELKACEM, Ministre de l'Education nationale en visite dans notre ville le *... *... 2014.

J'ajoute que ces activités (Culturelles, Scientifiques et Techniques, Sportives, Citoyennes,...) sont gratuites et entièrement prise [sic]en charge par la commune. Elles sont conduites exclusivement par des agents professionnels, formés et permanents.

De plus, elles s'inscrivent dans le cadre horaire hebdomadaire de l'emploi du temps de votre enfant.

Madame, nos services ont noté l'absence de votre enfant *... lors de la première séance des TAP.

Cette absence doit être tout à fait exceptionnelle.

Aussi, je vous invite à prendre toutes les dispositions pour que votre enfant puisse bénéficier de ces activités.

Dans l'éventualité contraire, je me verrai dans l'obligation de vous rencontrer, en Mairie, à ce sujet.

Vous comprendrez que le seul objectif de ce courrier vise à mieux vous informer.

Dans l'attente, je vous prie de recevoir, Madame, l'expression de mes salutations dévouées.

 

*... *..., Conseiller Municipal en charge des TAP, Maire Honoraire

 

Apportons tout d'abord des précisions.


Cette ville a décidé de profiter de l'assouplissement du « décret Hamon » pour organiser les TAP sur un seul après-midi[3]. L'avantage de ce choix est de proposer aux enfants des activités sur un long temps, un peu plus de 2 heures, au lieu de saupoudrer les TAP en fin de classe (comme ce qui se fait communément)[4]. Ainsi que je le notais dans l'article L'école des loisirs obligatoires, un tel choix a des conséquences importantes : les élèves de maternelle et ceux de primaire n'ont pas les mêmes horaires ; au sein d'une même école, les élèves n'ont pas le même temps scolaire, puisque l'après-midi consacré au TAP est « flottant » et change chaque jour selon le niveau de classe ; les parents sont quasiment forcés d'inscrire leurs enfants au TAP : il est rare que l'on puisse « poser » un après-midi en pleine semaine pour garder ses enfants (c'était peut-être plus simple du temps où seul le mercredi après-midi était vaqué pour les élèves).


Toute chose ayant deux anses, comme dit le stoïque, il est tout à fait possible de "sauver" cette lettre de prime abord bien comminatoire, et d'y voir, par-delà le ton apparemment menaçant, une sollicitude extrême à l'égard des enfants qui, lâchés dès midi hors l'école, ne doivent en aucun cas errer dans la rue et être tentés d'y faire des bêtises. Cette sollicitude, du reste, s'inscrit dans la « captation » socialiste de l'enfant qui a servi de fondement à la réforme des rythmes scolaires voulue par M. Peillon, lequel, rappelons-le, voulait ravir aux familles leurs enfants qu'elles laissaient sans vergogne passer leur après-midi du mercredi devant une télévision décérébrante et aliénante.

Ajoutons enfin que cette lettre ne saurait être comprise comme une lettre purement commerciale, puisque, dans cette ville, les activités périscolaires sont gratuites : obliger les familles à y inscrire leurs enfants n'a donc aucune incidence pécuniaire.


Ces précisions ayant été apportées, il convient tout de même de pointer toutes les inquiétudes que suscite une telle lettre. D'autant plus que, dans le magazine municipal envoyé aux habitants ce mois-ci, on pouvait lire, au début d'un article dithyrambique entièrement consacré à l'organisation merveilleuse des TAP par la Ville, les propos rapportés de l'adjoint au maire pour l'enseignement maternel et élémentaire : « L'école est devenue une entreprise de reproduction sociale. Avec les TAP, nous brisons ce constat en donnant à tous les enfants de *... les mêmes chances d'apprentissage et d'ouverture dans des domaines très variés ».

 

Cette lettre et ces propos ont au moins le mérite de justifier les inquiétudes de ceux qui voyaient dans la réforme des rythmes scolaires une « municipalisation » de l'Éducation nationale. L'école telle qu'elle existe sous la Ve République est une honteuse tartufferie, elle est une vaste machine à reproduire et valider les inégalités sociales, elle se pare des oripeaux de liberté, égalité, fraternité, elle se dit républicaine, mais en fin de compte elle est à la botte de gouvernements tauliers qui ravalent l'école à n'être que la pourvoyeuse d'une future main-d'œuvre corvéable à merci car incapable de lutter faute d'armes intellectuelles et morales. Cette situation de fait, inique et insupportable, au lieu de causer la juste indignation d'édiles est validée par des élus du peuple[5] : laissons ce fantôme d'école à lui-même, ne luttons pas nationalement pour qu'une réelle école de la République advienne, mais renfermons-nous dans les étroites frontières de notre seule commune et, par-delà l'école moribonde, proposons un temps d'activités périscolaires qui, lui, saura éveiller les enfants à eux-mêmes, c'est-à-dire à cette humanité dont ils sont lourds. Il est vrai que cet adjoint au maire reprend la mystique du hasard qui prévaut actuellement, puisqu'il parle, lui aussi, de chance donnée aux enfants : à eux de la saisir – comme à l'école de la République par homonymie que nous connaissons, les élèves ont tous les mêmes chances d'apprendre. On sait où cette logique de casino mène en matière scolaire...


L'équipe municipale de cette ville a mis en place son organisation des TAP « dans l'intérêt de tous les enfants », est-il écrit dans la lettre envoyée aux familles récalcitrantes. L'intérêt des enfants est de grandir[6], de devenir adulte, chose si difficile, d'être à soi-même son propre maître au lieu de plier sous les différents jougs invisibles qui nous empêchent. Or le principal lieu où l'on accède à cette humanité dont chaque petit d'homme est porteur, c'est la salle de classe. En tout cas, c'est ce pour quoi se sont battus tous les républicains depuis la Révolution : que l'État, par l'instruction publique dont il a la charge et dont la Constitution lui fait une obligation, garantisse aux enfants qu'ils seront moins soumis aux pressions extérieures (religieuses, sociales, économiques, familiales) durant le temps de l'étude. Seule l'école a cette vertu auguste[7] ; et jamais les TAP, quand bien même seraient-ils de qualité, ne pourront hausser les enfants à cette humanité qu'ils attendent tant. Il n'y a là aucun mépris, cette condamnation n'est pas matérielle (il est tout à fait possible, peut-être, de trouver en ce moment dans une commune de France un TAP qui pourrait être qualifié d'auguste), elle est de principe : c'est une trahison, c'est avoir abandonné toute idée d'intérêt public, que de ne s'occuper que des enfants de sa municipalité – et d'en tirer gloire. Les services municipaux sont en train de faire la chasse aux parents qui renâclent à inscrire leurs enfants aux TAP. Mais peut-être que ces parents récalcitrants sont comme leurs édiles : eux aussi ont faite leur l'acceptation de la débâcle de l'Éducation nationale et, au lieu de croire en l'éducation municipale, croient en l'éducation familiale et par leurs propres moyens essaient d'élever leurs enfants.

Que Mme Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, « cite pour son exemplarité » le projet éducatif de cette ville montre tout simplement que la « municipalisation » du temps scolaire n'est pas un épiphénomène de la réforme des rythmes scolaires, mais sa conséquence inévitable et principale : l'État félicite ces communes qui prennent son relais en matière d'instruction[8]. On peut craindre que l'on ne s'arrête pas là et que ce ne soit pas seulement le temps de l'école qui soit « municipalisé », mais aussi le recrutement des maîtres et les programmes.

 

La réforme des rythmes scolaires voulue par notre gouvernement socialiste est donc une complète réussite. Non seulement un gouvernement qui aurait dû (vu son qualificatif) avoir souci des déshérités de l'école condamne les enfants du peuple à un moindre scolaire, non seulement l'instruction publique côtoie un divertissement municipal qui sous peu la phagocytera et aura raison d'elle, non seulement l'école n'est plus un lieu de profonde altérité (où, par une distance prise par rapport à soi via le long détour des œuvres et de la langue du temps passé, on comprend mieux le présent) mais un lieu de vie ouvert sur le monde, un lieu où l'on ne s'élève plus mais où l'on s'affale sur sa table parce que l'on est fatigué d'aller de TAP en TAP (ces temps périscolaires se caractérisant par un changement incessant d'activités et flattant la pente actuelle de la jeunesse à la déconcentration), non seulement donc l'école voulue par les socialistes est une école de marchands de sommeil[9], comme aurait dit Alain, mais en plus cette réforme interdit toute lutte nationale. À présent les luttes sont locales ; de plus en plus, si aucun sursaut n'a lieu, le seul interlocuteur des enseignants et des parents sera la municipalité, c'est-à-dire un interlocuteur protéiforme (il y a tout de même plus de 36 000 communes en France), et non plus l'État, qui pour pesant et tentaculaire qu'il soit a le mérite d'être un. La réforme des rythmes scolaires risque donc d'entraîner un éclatement de cette République que l'on continue pourtant de dire indivisible et laïque. Les réactionnaires ont donc de quoi se réjouir...



Notes

[1]    Il convient de rappeler que les activités périscolaires (les fameux TAP) sont facultatives. Une commune peut seulement être en droit d'exiger l'assiduité des enfants inscrits. La lecture du courrier retranscrit ici est sans ambiguïté : ce qui est reproché aux familles c'est de ne pas inscrire leurs enfants et non que la participation de ceux-ci y soit occasionnelle.

[2]    On notera l’abondance des majuscules, phénomène courant dans les courriers officiels mais néanmoins significatif [NDLR].

[3]    D'où le caractère « expérimental » de cette « démarche » : le décret n'autorise une telle démarche que pour une durée de trois ans.

[4]    Un tel choix a également une finalité sociale : la Mairie annonce qu'elle va pouvoir « pérénniser » l'emploi des animateurs s'occupant des TAP, au lieu d'avoir recours à des vacations pour une heure par jour.

[5]    On pourrait rétorquer à juste titre que des élus municipaux n'ont à s'occuper que de politique municipale et que ce n'est pas leur rôle de s'opposer aux dysfonctionnements de l'État, voire d'aller à l'encontre des décisions de celui-ci. Il se trouve que cette commune refuse d'appliquer le décret obligeant les municipalités à mettre en place un service minimum d'accueil lors d'une grève d'enseignants. La réforme des rythmes scolaires est également un décret...

[6]    Le titre de l'article traitant des TAP dans le magazine municipal est : « Ça [les TAP] fait grandir ».

[7]    Du latin augere, augmenter.

[8]    Cette "municipalisation" de l'école de la République a pour signe la confusion du scolaire et du périscolaire : un même lieu, l'école, abrite un temps d'étude et un temps de délassement, au grand désarroi des élèves. Cette confusion, on la retrouve dans la lettre et le magazine municipal : les activités périscolaires « s'inscrivent dans le cadre horaire hebdomadaire de l'emploi du temps de votre enfant », écrit le maire honoraire ; mais de quel emploi du temps s'agit-il ? Le scolaire, le périscolaire ? Ou celui, global, du temps éducatif de l'enfant ? Dans le magazine : « ... la Ville a choisi de regrouper toutes ces périodes [de TAP] en une après-midi, de même durée que les après-midi traditionnels [sic] de cours ».

[9]    Un sommeil physiologique puis intellectuel et moral, car les enfants n'en peuvent plus, ils sont épuisés, toujours à courir d'un lieu l'autre. On est bien loin du quadriptyque ministériel : « Un plus grand respect des rythmes de l'enfant. Des élèves plus attentifs pour mieux apprendre à lire, écrire, compter. Des enfants moins fatigués et plus épanouis. Une meilleure articulation des temps scolaire et périscolaire ». De plus l'instauration des TAP a pour conséquence que les activités de certains enfants se voient décalées dans la journée, voire la soirée : un enfant allant au conservatoire le mercredi matin peut s'y rendre maintenant le lundi soir de 19 heures à 20 heures.



  © Tristan Béal et Mezetulle, 2014

 

Voir les autres articles de Tristan Béal en ligne sur Mezetulle.

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commentaires

M
<br /> juste une remarque: ceux qui ont mis en place le Hollande et ses soutiens socialistes, écologistes, front de gauche ...devraient commencer à se sentir particulièrement fangeux, non? Sont-ils<br /> capables aujourd'hui "d'autocritique" ? Parce que, ce qui se produit pour l'Ecole, se produit aussi pour tout "le reste" , y compris "la santé ", ce n'est que la "marchandisation" de la société<br /> qu'impose la mondialisation financière, économique, immigrationniste, destructrice des nations par construction européenne interposée, c'est dit en toutes lettres dans les traités ( de Maastricht<br /> à Lisbonne en passant par Amsterdam) et les protocoles (type Lisbonne 2000 pour l'école et la formation ou Barcelone pour les services publics et les "retraites") ...<br />
M
<br /> La loi Jospin de 1989  ouvrait  déjà les portes à la municipalisation du temps scolaire :<br /> - par  la pédagogie de projets :  projets souvent pompeux ,  déjà séduits par l'extra scolaire  et  financés par des collectivités locales,<br /> - par le découpage - très contestable - en 3  cycles :  encouragés par l'inspection , des maîtres s'autorisaient à  privilégier leurs projets locaux  au détriment des<br /> programmes nationaux , reportant certains apprentissages  fondamentaux  à l'année suivante du cycle , arguant  que la  structure en cycles primait sur  la classe et <br /> que seul comptait le niveau acquis en fin de cycle . <br /> Cette  brèche  n'a  cessé  depuis de s'élargir . En  louant et récompensant  ceux qui s'y  engouffraient - pas toujours pour les meilleurs  motifs - <br /> et en dénigrant  voire sanctionnant  ceux qui persistaient à s'en tenir à instruire ,  l'inspection - vecteur de l'école libérale  implantée sur les décombres de l'école<br /> républicaine qu'elle a torpillée - s'est échinée  à créer  une béance  désormais  difficilement  suturale  comme l'atteste l'article du Monde sur  l'école de<br /> Monticello ( Corse)  qui  applique dévotement  les nouveaux rythmes scolaires  . <br /> Martine Hello<br /> Rennes<br />
T
<br /> En écho au commentaire n°2 : http://csdm.ca/csdm/structure-et-comites/conseil-detablissement/.<br />
P
<br /> Bonjour.<br /> <br /> <br /> J'approuve pleinement ce que vous dites, Monsieur Bréal.<br /> <br /> <br /> Permettez-moi d'y ajouter cet élément de "tourisme éducatif" : de 1997 à 1999, j'ai vécu à Montréal (Québec, Canada), où mes enfants furent scolarisés.<br /> <br /> <br /> Nous avons dû renoncer à les inscrire à l'école publique : ceux qui en sortent sont inaptes à intégrer l'enseignement supérieur, à plus de 90%.<br /> <br /> <br /> La vie scolaire (ceci dans le primaire mais aussi le secondaire) y est gérée par des commissions où les parents sont surreprésentés. Au-delà des questions de cantine, ou de choix d'activités<br /> diverses, ce sont véritablement les programmes qui sont déterminés par ces commissions scolaires. Un établissement peut fort bien renoncer à l'enseignement de la grammaire, si celle-ci est jugée<br /> traumatisante pour les élèves (et elle l'est souvent...). Et on pourra préférer des programmes apprenant à développer l'estime de soi ou tout autre enseignement chargé de développer les<br /> "aptitudes cognitives" et la "capacité à être" (à l'époque, la programmation neuro-linguistique était à la mode, et était souvent mobilisée dans ces "enseignements").<br /> <br /> <br /> Bien entendu, l'émiettement en multiples commissions est le gage que sur un territoire, nul point de vue autre que le point de vue consumériste à court terme ne l'emporte. Le Ministère a renoncé<br /> à imposer des programmes, ou même des "socles de connaissances" qui puissent servir de référence.<br /> <br /> <br /> La municipalisation de la vie des établissements commence en France par les activités péri-scolaires. Elle ne s'arrêtera pas à ce stade, si on n'y met pas le hola : merci d'y contribuer.<br />
M
<br /> j'approuve entièrement votre article et je partage votre analyse.<br /> <br /> <br /> deux questions me tourmentent qui sans doute devraient aussi être abordées:<br /> <br /> <br /> 1° L'institution des TAP signifient aussi, ce qui est sans doute sous entendu dans votre propos, mais ne va pas sans dire que les activités artistiques et sportives ( même si je n'aime pas<br /> forcément ce mot) ne sont plus assurée par l'Ecole en tant que telles. Est-ce bien le cas? Je sais bien que ces activités n'étaient sans doute pas forcément bien assurées mais justement,<br /> l'avancée de l'école n'était-elle pas qu'elles le fussent et que les enfants qui ne pouvaient ou ne voulaient pas aller dans une école de musique, une école d'art ou une association sportive<br /> puissent néanmoins être instruits des rudiments, des éléments de discipines qu'on classe trop vite dans les "loisirs"? Le renvoi de ces activités aux sphères   extérieures à l'école ne<br /> marque-t-il pas un échec de l'accès à des pans essentiels de ce qui constitue des individus éclairés et maîtres d'eux-même? Qu'il y ait des conservatoires, des écoles d'art ou des associations<br /> sportives qui remplissent leurs missions est une chose, mais que l'école se défausse sur eux de la nécessaire instruction en ces matières en est une autre.<br /> <br /> <br /> 2° Ma seconde remarque porte sur la parole syndicale: je ne vois point que la critique des syndicats aient porté sur ces points et j'en suis effarée. Les instituteurs eussent-ils eu des<br /> associations de spécialistes comme en ont les professeurs du secondaire  n'aurait sans doute rien changé tant celles-ci demeurent muettes sur les enjeux similaires qui sont en cause dans<br /> l'enseignment secondaire. Ce n'est pas une raison. La dépolitisation actuelle est bien désastreuse qui fait que des organisations qui devraient naturellement défendre l'instruction (il est vrai<br /> que défendre l'instruction c'est défendre ses représentants naturels) demeurent muettes sur la chose.Que nous est-il permis d'espérer donc si les dérives actuelles sont si bien acceptées?<br /> <br /> <br /> Continuez votre travail d'éclairement... Amicalement MV<br />
T
<br /> <br /> Mezetulle a reçu une réponse de Tristan Béal :<br /> <br /> <br /> ************<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Madame,<br /> <br /> <br /> Je vous remercie de votre commentaire : il va me permettre d'être plus explicite.<br /> <br /> <br /> Votre première remarque pointe une crainte que certains maîtres d'école éprouvent : que des disciplines, qui jusque-là étaient la prérogative de l'école, soient prises en charge par les<br /> municipalités, avec l'inégalité territoriale que cela implique. Soyons honnêtes, cette captation municipale de certaines compétences éducatives existait bien avant la réforme des rythmes<br /> scolaires : selon la commune où vous enseignez, vous pouvez faire vous-même le sport, le chant ou le dessin, ou bien avoir des « intervenants » qui le font à votre place. La<br /> grande différence, toutefois, avec cette réforme, c'est qu'elle se double d'une refonte des programmes du primaire. Je me permets de vous renvoyer à un article qui est paru sur le site de<br /> ReSPUBLICA, dans lequel j'ai tenté de montrer que nous autres instituteurs donnions la main à la destruction de notre propre travail. Nous nous plaignons de ne pouvoir jamais<br /> « boucler » nos programmes, incapacité accrue par la perte de deux heures hebdomadaires d'enseignement depuis la suppression du samedi travaillé par M. Darcos. Quand le Ministère<br /> nous consulte pour nous demander notre avis sur les « programmes Darcos », nous disons que ceux-ci sont trop lourds et qu'il faudrait les alléger ; nous n'insistons pas<br /> suffisamment sur le fait que le retour à 26 heures d'enseignement, voire plus, serait tout aussi bénéfique qu'un tel allègement. Quand, en plus, on lit sur le site du Ministère que la réforme<br /> des rythmes scolaires va rendre les « élèves plus attentifs pour mieux apprendre à lire, écrire, compter », on voit bien là le champ éducatif fondre comme peau de chagrin : on<br /> se resserre sur le fondamental. Et, incontestablement, un tel renvoi de ces activités (sport, dessin,<br /> chant) aux sphères extérieures à l'école marque un échec de l'accès à des pans essentiels de ce qui constitue des individus<br /> éclairés et maîtres d'eux-mêmes, comme vous l'écrivez à juste titre. Ce qui est cocasse, c'est que la commune dont je parle dans l'article se félicite d'atteindre, par les moyens que<br /> l'on sait (la menace), 98% d'enfants inscrits au TAP ; or ceux qui s'occupent des TAP et qui accueillent les enfants commencent à se rendre compte que les enfants « façon TAP »<br /> n'ont rien à voir avec des élèves ou les enfants qui habituellement se rendent au conservatoire (par exemple), autrement dit ils mesurent qu'il est bien difficile d'attendre de ces enfants du<br /> délassement municipal la même concentration que les maîtres exigent des élèves (et qui est déjà bien difficile à obtenir parfois). Il va donc falloir que cette municipalité – et ce sera tout<br /> à son honneur (cela dit sans aucune ironie) – ne fléchisse pas et qu'elle se montre bien courageuse pour faire des enfants des TAP des Monet ou bien des Chostakovitch malgré eux.Quant à votre<br /> deuxième remarque, celle touchant l'impéritie des syndicats, il faut se rappeler que le SNUipp, principal syndicat du primaire, ne s'est lancé – et encore – que fort tard dans la bataille<br /> contre la réforme des rythmes scolaires. Ce syndicat a accompagné et soutenu – et pas simplement malgré lui – la réforme. De même que la principale fédération des parents d'élèves, la FCPE.<br /> Tous les syndicats du primaire ne collaborent pas pareillement avec le gouvernement : certains ont tiré très vite la sonnette d'alarme et ont su dévider toutes les conséquences<br /> inhérentes à cette réforme. Mais nous n'avons pas jugé opportun de les écouter. L'instituteur est comme le citoyen actuel de nos démocraties inertes : il se dit qu'il ne saurait faire en<br /> sorte que ce que l'on veut lui imposer malgré lui n'ait pas lieu. A quoi bon donc lutter ? A quoi bon « leur » laisser une ou plusieurs journées de salaire ? De toute<br /> façon, notre métier a été réduit à presque rien : nous ne sommes plus que les gardiens d'un zoo pédagogique où bientôt le savoir sera une espèce en voie de disparition. Je l'ai déjà<br /> écrit ici : nous n'avons plus de fierté et, la plupart du temps, nous faisons le gros dos et attendons. Tant que nous ne serons pas les agents municipaux d'une éducation complètement<br /> territorialisée, nous nous dirons que la situation n'est pas aussi grave que ce que certains veulent nous faire accroire. Il n'empêche : nous remarquons maintenant combien il est<br /> difficile d'enseigner l'après-midi ; nous ne pouvons faire autrement que reconnaître que les élèves sont épuisés, qu'ils arrivent encore moins à se concentrer qu'auparavant, quoi qu'en<br /> disent tous les articles élogieux que l'on peut lire sur le site du Ministère vantant les bienfaits de cette réforme. Vous demandez s'il est permis d'espérer, je ne sais quoi répondre. D'autant plus que notre faculté à nous adapter est telle que nous autres instituteurs<br /> sommes finalement ceux qui tiront le mieux notre épingle du jeu : un collègue qui arrive à se passer des études surveillées et qui se contente de son salaire sans chercher des extras<br /> peut quitter son école en milieu d'après-midi, ce que peu de travailleurs peuvent faire ; il peut ainsi, s'il est parent, aller rapidement chercher son enfant et lui éviter de rester aux<br /> activités périscolaires jusqu'à sept heures du soir : les enfants d'instituteurs, eux, ont les bons côtés de cette réforme. Tout cela vaut bien la perte de la journée du mercredi !<br /> Bref, pour le dire tout crûment, cette réforme des rythmes scolaires est une réussite : les parents peuvent compter sur la municipalité pour divertir leurs enfants jusqu'au<br /> crépuscule ; les plus fortunés peuvent s'offrir les services d'une « nounou » ou bien quitter le public et inscrire leur progéniture dans le privé, lequel n'est pas tenu de<br /> mettre en place la réforme des rythmes scolaires ; les instituteurs sont ceux qui vont encore passer pour des privilégiés en matière de temps libre. Et quand les programmes ne seront<br /> plus nationaux mais municipaux, quand les instituteurs seront embauchés sur leur capacité à s'impliquer, comme l'on dit, dans le projet municipal, c'est-à-dire à s'adapter à ce que la Ville<br /> attend d'eux, quand donc la laïcité, qui est rupture par rapport à toutes les sphères d'influence, ne sera plus qu'un mot écrit sur une Charte affichée sur les murs des écoles, quand ne<br /> resteront dans le public que les enfants des déshérités, quand on ne parlera plus d'éducation nationale et encore moins d'instruction publique, nous nous demanderons ce que nous avons laissé<br /> passer pour en être arrivés là... De même qu'après le film La Journée de la jupe on ne peut plus nier la situation<br /> de nos collèges et ne pas s'effarer devant l'immonde, l'absence de monde commun, qui s'annonce, de même quel événement doit-il arriver pour que nos yeux se décillent ? Le commentaire de<br /> Pierre Chourreu a cette vertu : sa peinture de ce qui se passe dans les écoles publiques de Montréal est des plus instructives.<br /> <br /> <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br />

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