28 octobre 1970 3 28 /10 /octobre /1970 15:27

Les politiques sont-ils intelligents ? 
par Jean-Michel Muglioni

En ligne le 13 octobre 2011


Jean-Michel Muglioni reprend ici un thème constant de la tradition philosophique : l’inséparabilité de l’affectif et de l’intellectuel. Le développement de l’intelligence est lié à celui des passions. Dans une société qui a pour seule finalité l’argent, il est inévitable que les meilleurs esprits finissent par ne plus rien comprendre à rien, et que les cerveaux les plus adulés témoignent d’une sottise dont le plus humble des hommes aurait honte. Cette sottise n’est pas un accident mais révèle la vraie nature de leur pensée.

Les publicités nous instruisent non sur ce qu’elles vantent mais sur la représentation que leur inventeur a de son public. De même le discours des politiques montre assez bien quelle idée ils ont de leurs électeurs, et généralement leur mépris du peuple. Mais leur prestation est plus encore révélatrice de leur véritable être, alors même qu’elle est destinée à le cacher. Des amis dont je ne doute pas de la culture ni même du jugement m’avaient presque fait croire que le directeur du Fonds Monétaire International, depuis lors accusé de viol et d’incapacité à résister à ses pulsions (comme on dit), était intelligent. Nous avons eu depuis la preuve irréfutable de sa sottise, et d’une sottise incroyable. Qui peut imaginer en effet qu’un homme intelligent abandonne toute autonomie et se laisse enfermer dans le discours de « communicants » ? Qu’eux-mêmes ne puissent que ravaler la politique au degré zéro n’étonne pas. Mais qu’une fois dans l’impasse où plusieurs affaires de mœurs l’ont conduit, un homme sensé croie pouvoir s’en sortir comme on restaure l’image d’une marque de lessive, une telle illusion en dit long sur l’état de son intellect. Rendons grâce aux dieux qui l’ont fait aller en quelques instants du Capitole à la Roche Tarpéienne. Mais que le discours entièrement factice d’un politique ait une vertu révélatrice ne signifie malheureusement pas la fin du règne des images.

J’ai déjà rappelé dans ce blog qu’il faut avec Platon comparer une certaine rhétorique avec un trompe-l’œil qui fait passer l’image d’un lit peinte sur un mur pour un lit réel et la fait vendre, alors que tout le monde sait qu’on ne peut s’y étendre. La communication vend des fantômes et nous coupe du réel de telle sorte que nous ne pouvons plus rien comprendre. Et contrairement à ce que croient trop souvent ceux-là même qui les dénoncent, les fabricants d’images ne sont pas intelligents : de même que peindre un lit sur un mur ne requiert pas qu’on sache comment fabriquer un bon lit, de même la maîtrise de la communication - de la propagande – ne repose pas sur une compréhension de la réalité humaine et politique. Le fourbe paraît d’une intelligence supérieure et séduit, mais il n’est pas intelligent ; que son étrange habileté lui permette d’accéder au pouvoir suprême prouve l’aveuglement de ses complices et non sa clairvoyance.

Ce naufrage de l’intelligence n’est pas un accident. Nous sommes en effet ce que font de nous notre mode de vie, c’est-à-dire d’abord les plaisirs et les peines qui déterminent ce que nous désirons ou ce que nous craignons, et nos vertus intellectuelles dépendent autant de nos mœurs que nos vertus morales : l’intelligence n’est pas la même selon qu’elle est animée par l’amour de la vérité ou sert l’avarice. Elle devient sagesse ou fourberie selon la nature de nos passions et d’abord selon la manière de vivre qui nous est imposée dès l’enfance (1). Ainsi, dans un monde où l’argent est le plus grand des biens, les hommes n’ont pas la même façon d’être et de penser que si autour d’eux la passion dominante est la guerre ou l’industrie : les fils de famille préfèrent la bourse ou les affaires non seulement au métier des armes mais à l’Académie des sciences ou à la magistrature ; les vocations deviennent rares. Et comme l’accroissement des richesses est la seule fin de la politique, les esprits les plus déliés sont inévitablement dévoyés. Quand le cours de la bourse est la première information sur tous les médias, quand la politique se fait ostensiblement à la corbeille, les plus brillants étudiants en mathématiques préfèrent mettre leur talent au service des spéculations financières plutôt que de la recherche, et l’on ne peut trouver de vrais politiques : les plus habiles, les plus admirés, ne comprennent rien à rien, et plus ils sont naturellement doués, moins ils sont capables de penser.

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© Jean-Michel Muglioni et Mezetulle, 2011
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Notes

  1. Il est parfaitement vain d’attendre quelque vertu morale ou intellectuelle dans un monde sans loi où le libre jeu des passions est considéré comme le moteur de la prospérité. Il est même indigne d’exiger de la jeunesse la moindre honnêteté quand l’unique fin qui lui est officiellement proposée est l’enrichissement. On comprend qu’une république organise à l’école une instruction civique et morale. Un Etat dont le principe est l’argent ne peut le faire sans ridicule aux yeux des élèves eux-mêmes. Les maîtres d’école ont perdu toute autorité, à plus forte raison s’ils doivent enseigner la morale. Pour la même raison aucune autorité politique ne peut plus être reconnue.



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