Sujets de bac en physique :
discuter sans rien y comprendre
par Benjamin Carton (1)
Le premier exercice, sur six points, porte sur le boson de Higgs-Brout-Englert (du nom des trois physiciens ayant eu l'idée de cette particule, il y a une cinquantaine d'années, alors qu'elle n'avait jamais été observée). Disons-le directement, le nombre de professeurs de physique-chimie au lycée comprenant ce qu'est le boson de Higgs se compte au mieux sur le doigt d'une main. Le sujet du bac propose donc de réfléchir à une notion que les professeurs eux-mêmes ne comprennent pas. Ce n'est pas de leur faute. Le modèle standard de la physique des particules, dans lequel le boson s'inscrit, a été rendu nécessaire pour rendre compte de phénomènes physiques que ni vous ni moi ne connaissons. Ce modèle standard, qui est extrêmement difficile, est étudié à l'université à partir de la cinquième année et dans une spécialité particulièrement exigeante reposant sur la maîtrise de mathématiques très avancées. En gros, c'est pour les super cracks ! Elle n'est bien sûr pas au programme de l'agrégation de physique.
Alors pourquoi un sujet sur le boson de Higgs au baccalauréat ? À lire le sujet, il ne s'agit pas de proposer une épreuve de physique, mais plutôt de français, voire d'herméneutique.
Première question « En quoi l’observation du boson de Higgs permet-elle de compléter la théorie du modèle standard ? ».
L'hypothèse d'un canular s'est présentée à mon esprit. Les élèves ne sachant pas ce qu'est le modèle standard (le modèle standard est la théorie, il n'y a pas de « théorie du modèle standard » au sens où l'on dit « théorie de l'électricité ») ni donc ce qu'est le boson de Higgs, on voit mal comment ils pourraient répondre. Heureusement, des documents sont là pour donner des pistes.
Un extrait du premier texte (2) :
« La découverte du boson de Higgs signe le triomphe de ce qu’on appelle le « modèle standard » de la physique. Grâce au Higgs (comme l’appellent familièrement les physiciens), des voies s’ouvrent, permettant d’explorer la texture de l’espace-temps ou de plonger dans les premiers moments de l’Univers. »
La découverte du boson de Higgs « signe le triomphe de la théorie » mais ne la complète en rien, cela n'aide pas beaucoup. « Explorer la texture de l'espace-temps » ? C'est beau, sans doute l'auteur de ces lignes sait de quoi il parle. Mais pour nous c'est du chinois ou de la poésie surréaliste. « Plonger dans les premiers moments de l'univers » signifiant sans doute « observer des phénomènes qui ont dû se produire dans les premiers moments de l'univers » on ne voit pas comment cela permet directement de compléter une théorie.
Un extrait du second texte :
« Le modèle standard arrive à décrire toutes les particules élémentaires connues et la façon dont elles interagissent les unes avec les autres. Mais notre compréhension de la nature est incomplète. En particulier, le modèle standard ne répond pas à une question simple : pourquoi la plupart des particules élémentaires ont-elles une masse ?
Les physiciens Peter Higgs, Robert Brout et François Englert ont proposé une solution à cette énigme. Leur théorie est que, juste après le Big Bang, aucune particule n’avait de masse. Lorsque l’Univers a refroidi et que la température est tombée en-dessous d’un seuil critique, un champ de force invisible appelé "champ de Higgs" s’est formé en même temps que le boson de Higgs, particule qui lui est associée. L’interaction avec ce champ répandu partout dans le cosmos permet aux particules d’acquérir une masse par l’intermédiaire du boson de Higgs. Plus les particules interagissent avec le champ de Higgs, plus elles deviennent lourdes. Au contraire, les particules qui n’interagissent pas avec ce champ ne possèdent aucune masse. »
Ce second texte dit que le modèle standard ne rend pas compte de la masse des particules. C'est l'introduction du boson de Higgs qui permet cela. Il faut soit comprendre que le modèle standard a évolué entre une première formulation, standard I sans le « Higgs », et une seconde formulation, standard II avec le « Higgs » ; soit se ranger à l'idée que les deux textes sont contradictoires (car l'observation du Higgs ne serait pas le triomphe du modèle standard mais sa réfutation définitive). Mais toujours aucun rapport entre l'observation du boson de Higgs et une complétion de la théorie standard. En effet, c'est justement parce que les physiciens savaient ce qu'ils recherchaient qu’ils ont pu monter leur expérience !
Je ne sais pas ce qu'attendent les correcteurs, mais cette question ne demande aucune connaissance en physique mais plutôt de savoir être malin avec des textes qui ne sont pas scientifiques (bien qu'un des deux ait été écrit par un scientifique) car ambigus et partiellement contradictoires. Ce n'est pas la faute des auteurs qui n'ont pas rédigé ces textes pour un sujet du bac.
Deuxième question : « À quelle période de l’Univers l’observation du boson de Higgs nous ramène-t-elle ? »
La réponse est facile, elle apparaît à deux reprises dans les textes : « juste après le Big Bang » ou « dans les premiers moments de l’Univers ». Mais à cette question ambiguë, cette seule réponse possible est en fait totalement injustifiée. Les textes sont clairs, le boson des Higgs est inséparable de la masse des particules et est apparu dans les premiers moments de l'univers (c'est-à-dire pas dès le début). Ainsi, aujourd'hui encore, nous baignons dans un étang de bosons de Higgs : il n'a pas disparu. L'observation isolée (car c'est cela l'exploit des physiciens !) de bosons de Higgs ne nous ramène donc pas plus aux premiers instants de l'univers qu'au temps de Napoléon. Cela nous y ramène moins en fait car en isolant un boson de Higgs, on ne recrée pas un monde « avant la masse » ou « au moment où la masse est apparue ». L'analogie avec l'archéologie serait ici fausse. Retrouver un outil ou une statue datant de trois mille ans nous ramène bien trois mille ans en arrière car toute la civilisation d'alors y demeure d'une certaine façon. Mais en isolant un boson de Higgs aujourd'hui, quand bien même il est identique à celui d'il y a quinze milliards d'années (ils sont tous identiques), on n'a pas pour autant retrouvé un boson de quinze milliards d'années.
Ces deux premières questions doivent rapporter un demi-point chacune au candidat. L'enjeu n'est pas la note. Mais elles n'ont tout simplement rien à faire dans un sujet du bac. Il ne sert à rien d'interroger les candidats sur des choses qu'ils ne peuvent pas comprendre.
Le reste des questions porte sur la valeur de l'énergie cinétique d'une particule dans le cadre de la relativité restreinte (E=γmc2), qui elle est bien au programme. Pas toute la relativité restreinte, je vous rassure, seulement quelques aspects. Un autre exercice enfin porte sur la théorie de la gravitation de Newton, qui est pleinement au programme, et son application au voyage vers la planète Mars d'un petit robot qui s'appelle Curiosity.
Ce qui est à l’œuvre ici est simple : le baccalauréat veut faire moderne (l'envoi d'engins sur Mars, l'observation récente d'une nouvelle particule). Les grandes institutions scientifiques de vulgarisation comme le palais de la découverte veulent aussi faire moderne en présentant les innovations les plus récentes. Mais la science y est plus souvent présentée comme au service de l'industrie ou de l'exploit que comme véritablement scientifique, c'est-à-dire intelligible. Cette fausse vocation est à l'opposée de celle de Jean Perrin qui a fondé le palais de la découverte il y a 80 ans et qui toute sa vie a fait œuvre d'intelligibilité. Ceux qui souhaitent comprendre la physique peuvent lire à grand profit le seul de ses livres réédité, Les atomes (3).
© Benjamin Carton et Mezetulle, 2013
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Notes [cliquer sur le numéro de la note pour revenir à l'appel de note]
1 - Économiste, ancien professeur de mathématiques en classes préparatoires
2 - Le texte complet, dont nous ne rapportons qu'un extrait, est écrit par un journaliste. Une phrase du physicien Carlo Rovelli y est citée, qui met sur le même plan l'observation du boson de Higgs et la formulation de la loi de la gravitation par Newton. Le Figaro (http://etudiant.lefigaro.fr/orientation/actus-et-conseils/detail/article/un-scientifique-dement-ses-propos-rapportes-dans-un-sujet-du-bac-5924/) nous apprend que ce physicien a cherché en vain à démentir cette phrase, qu'il juge être une bêtise, auprès du journal. Il est scandalisé que le rédacteur du sujet du bac ait pu manquer de culture scientifique élémentaire au point de laisser la citation telle quelle. Comme elle n'apportait rien pour la question nous avons préféré la couper.
3 - Édition Champs, Flammarion avec une préface lumineuse de Pierre-Gilles de Gennes.
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