Le redoublement en question
par Guy Desbiens
Guy Desbiens a été représentant des personnels enseignants au HCEE (Haut Conseil de l’évaluation de l’Ecole) de 2004 à 2005. Cette instance, dirigée par Claude Thélot puis par Christian Forestier, était composée essentiellement de représentants officiels de l’institution, inspecteurs généraux de l’Éducation nationale, spécialistes des « sciences de l’éducation », présidents d’université, représentants du Sénat et de l’Assemblée nationale, représentants des systèmes éducatifs étrangers, personnalités diverses, etc. qui étaient entièrement soumis à l’idéologie « pédagogiste » et surtout particulièrement virulents à l’égard du corps enseignant, jugé responsable des échecs des réformes menées au sein de l’institution scolaire ! L’un des « Avis » prétendument « scientifique » élaboré par le HCEE a porté sur le redoublement, jugé « inéquitable, coûteux et inefficace », en fonction d’arguments fallacieux, ce qui provoqua l’indignation de notre collègue. Il décida alors d’écrire au nom des personnels enseignants au Ministre de l’Éducation nationale de l’époque, M. Gilles de Robien, pour présenter un contre-argumentaire, que Mezetulle publie ici. Il rejoint le point de vue exprimé par Tristan Béal dans ses deux articles : Le redoublement est-il nécessairement un mal ? et Redoublement : le chantage de l’inspecteur Huchet à la mode de Caen.
Nous avons pu assister à une véritable campagne de communication, orchestrée par les divers représentants en « Sciences de l’Éducation », pour mettre en cause la valeur du redoublement au sein de notre système scolaire, au moment du « Grand débat sur l’avenir de l’Ecole », du débat parlementaire de la Loi Fillon et plus récemment encore lors de 'examen par le CSE (conseil Supérieur de l’Éducation) des décrets d'application de la ladite loi. Nous avons décidé, en tant que représentant des personnels enseignants au HCEE (Haut Conseil de l’Évaluation de l’École), d’écrire au Ministre de l’Education nationale, pour dénoncer ces diverses pressions et exprimer nos plus vives inquiétudes. Nous résumons ici nos critiques des arguments avancés par ceux qui pensent « démontrer » le caractère prétendument « inefficace », « inéquitable » et « coûteux » du redoublement.
Ces arguments se fondent tous sur un usage déplorable des statistiques et relèvent du sophisme arithmétique. L’Avis n° 14 du HCEE proclame naïvement que « les élèves ayant redoublé ont, en moyenne, des résultats nettement moins bons que ceux qui n’ont pas redoublé »(p.2). En déduire abusivement que le redoublement est inutile, revient à confondre la cause et l’effet. Recommander sa suppression relève de l’escroquerie intellectuelle, puisque ce n’est pas le passage automatique qui serait bénéfique à ces élèves. C’est même la politique de diminution drastique des redoublements, suite à l’instauration des cycles d’étude, qui explique cette corrélation qu’on se plaît à établir entre le redoublement et l’échec scolaire ultérieur. Car seuls les élèves en très grande difficulté sont susceptibles de redoubler aujourd’hui. C’est donc surtout le collège unique qui contribue à créer cet échec, puisque la suppression des filières et de toute sélection précoce maintient de force dans des études longues des élèves qui n’en ont guère les capacités.
Si les « experts » dénoncent surtout le redoublement précoce, ils passent sous silence l’état de déliquescence de l’enseignement primaire en France, qui n’assure plus sa fonction de propédeutique à l’enseignement secondaire. Ce sont les réformes qui ont compromis la transmission des savoirs fondamentaux (dont l’acquisition est nécessaire pour garantir l’accès ultérieur à des connaissances plus approfondies), par des programmes inconséquents (à l’instar de la « méthode globale »), par la réduction des horaires d’enseignement, etc. On peut penser que le rétablissement de programmes cohérents en primaire pourrait fonder une politique de redoublements utiles pour les élèves en difficulté.
La référence à l’enquête PISA, qui prouverait que les pays pratiquant « la promotion automatique » (comme la Finlande) ont de meilleurs résultats scolaires, n’a en fait aucune valeur. En effet, les pays qui ont les plus mauvais résultats mais qui ne pratiquent pas le redoublement (comme le Portugal) ne sont pas mentionnés ! Les comparaisons internationales ne permettent pas d’ériger un modèle de système scolaire, abstraction faite d’autres paramètres déterminants : la culture et les traditions, la taille et la population, le PIB par habitant, etc. Le procédé n’est donc pas rigoureux sur le plan de la méthodologie scientifique.
L’argument des économies représentées par la suppression du redoublement (estimées par le HCEE à « 2 milliards d’euros »), auquel les gestionnaires peuvent être sensibles, est irrecevable sur le plan politique. Car quels en seraient les préjudices dérivés pour le système éducatif ? Le choix des économies budgétaires, à court ou moyen terme, ne peut avoir de sens ici, dès lors qu’il imposerait des mesures désastreuses pour l’organisation structurelle du cursus scolaire.
L’inconséquence de ceux qui préconisent la suppression du redoublement est évidente en tant qu’ils préconisent de lui substituer (par « les moyens dégagés ») des dispositifs de « remédiations », sans doute plus coûteux et plus inutiles ! Voici donc les solutions pour traiter l’échec scolaire : la pédagogie différenciée, le soutien individuel, le travail en équipe. Mais il est en fait proposé d’apprendre ultérieurement aux élèves, ce qu’on s’est interdit de leur enseigner antérieurement au nom de l’innovation pédagogique ! Ces dispositifs de « remédiations » ont donc dû être trouvés à cause … de la suppression du redoublement !
Les arguments avancés sont donc fallacieux ou malhonnêtes. Ce n’est pas essentiellement le redoublement qui nous importe, mais l’incohérence d’un système qui pense trouver des solutions en aggravant les problèmes qu’il génère.
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© Guy Desbiens et Mezetulle, 2011
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