22 septembre 2011 4 22 /09 /septembre /2011 09:28

Bloc-notes actualité
Lawrence Brewer et Troy Davis ont été mis à mort.

Il ne faut pas condamner à mort un Noir innocent ;
il ne faut pas non plus condamner à mort un Blanc coupable - parce qu'il ne faut condamner personne à mort.

En ligne le 22 septembre 2011


L'exécution de Troy Davis le 22 septembre soulève, à juste titre, l'indignation. Son cas est exemplaire : malgré les doutes nombreux qui pèsent sur la thèse de sa culpabilité, la sentence a été non seulement prononcée mais encore exécutée. D'un côté le doute, de l'autre une certitude (dont on peut penser "raisonnablement" qu'elle est mal fondée) dont les effets sont meurtriers et irréversibles - dont les effets sont irréversibles parce que meurtriers. Le problème de la peine de mort est ainsi concentré de manière exemplaire et tragique. Mais un autre cas d'exécution capitale, contemporain de celui de Troy Davis, est peu, sinon pas du tout, commenté : celui de Lawrence Brewer. On l'apprend de manière subreptice, comme si ce cas était honteux et indigne d'une campagne contre la peine de mort.

En écoutant France-Info ce matin, et en lisant l'article en ligne du Monde daté du 22 septembre à 6h08 , j'apprends, tout à la fin, qu'une autre exécution capitale a eu lieu au Texas quelques heures avant celle de Troy Davis : celle d'un membre du Ku-Klux-Klan, Lauwrence Brewer, condamné pour meurtre raciste. Une ligne ou deux pour la mort d'un homme, de sang-froid, sur sentence. Sans commentaire. Comme si cette exécution-là était sinon excusable, du moins compréhensible - ce que ne dit ni l'article, ni l'information parlée de France-info : juste un cas, dont on ne fait pas cas.


Cet autre cas, dont on fait si peu de cas, n'est probablement pas exemplaire - on ne parle pas de doute sur la culpabilité, et puis il s'agit d'un raciste blanc, qui, selon mes informations, a torturé sa victime et n'a pas regretté ses actes... : on pouvait bien y aller, non ? Or c'est ici qu'il faut rester ferme sur la condamnation de la peine de mort, ici, précisément dans ce genre de cas.


Je rappellerai une fois de plus le raisonnement de Condorcet.
Le principe de la peine de mort est condamnable car la peine est par sa nature même absolue et définitive, irréversible. Or une décision dont les effets sont absolus et irréversibles devrait être prise en vertu d'une procédure assurant une certitude absolue, sans aucun risque d'erreur même infime.
On me répondra que dans un cas (qui est très probablement celui de L. Brewer) où on a une entière certitude sur la culpabilité, on peut prendre une décision de cette nature... Mais Condorcet répondrait que la loi est générale : c'est donc la procédure (et non son application particulière à tel ou tel cas) qui doit donner une assurance de certitude absolue, pour tous les cas, existants et à venir. C'est pourquoi, si le cas de Troy Davis est exemplaire, celui de Lawrence Brewer est emblématique : ce qui rend la peine de mort condamnable en son principe n'est pas l'erreur commise sur tel ou tel, c'est qu'aucune procédure ne peut garantir qu'on ne commettra pas d'erreur. Il faut donc récuser la peine de mort parce que le risque d'erreur, fût-il infime, est nécessairement présent, parce qu'aucune procédure ne peut assurer qu'aucune erreur ne sera commise.


A Frédéric II, qui en 1785 faisait remarquer à Condorcet que la peine de mort peut se justifier dans les cas de meurtre horrible, Condorcet répondait que ce sont précisement ces cas qui emportent des risques d'erreur supplémentaires. Et de toute façon, toute possibilité d'erreur, à partir du moment où elle est redevable à la procédure même de la décision et non à la nature des choses, est une injustice. A fortiori lorsqu'on prononce la mort.

 

On ne doit pas condamner à mort un Noir innocent : cela est évident. Mais il faut dire aussi pourquoi on ne peut pas non plus condamner à mort un Blanc coupable, car pour le condamner on recourt à une procédure qui comporte nécessairement et généralement un risque d'erreur : le condamner c'est exposer chacun à ce risque. Cet article s'adresse aux adversaires de la peine de mort : il est bon et salutaire de s'émouvoir de l'exécution d'un Noir innocent ; mais c'est une faute de ne pas s'alarmer de l'exécution d'un meurtrier blanc tortionnaire et raciste.

 

Lire l'article sur Rue89.com, avec de nombreux commentaires.

 

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commentaires

J
<br /> <br /> Il faut comprendre certaine chose aux USA la plupart des soutiens à Troy Davis ne sont pas que des<br /> abolitionnistes, mais des gens qui s'opposent à ce qu'une sentence ait été proclamée sous pas mal de vices de procédure et que tout porte à croire qu'il est innocent.<br /> <br /> <br /> Entre autres, c'est quoi le fait de souligner la couleur de peau des 2 protagonistes ? C’est malhonnête d'essayer de faire croire que les noirs ont un traitement de faveur par rapport aux blancs,<br /> vous n'êtes sans doute pas aux courants que Hanz Skinner, un blanc condamné lui aussi et qui clame sont innocence a le même soutient que Troy Davis.<br /> <br /> <br /> Vous accusiez les abolitionnistes de manque de cohérence, pour moi ce n'est pas le cas.<br /> <br /> <br /> Les pro-peines de mort accusent les abolitionnistes de se mettre du coté des assassins et non des victimes, donc il est logique d'enlever toute ambiguïté en mettant en avant le risque qu'un<br /> innocent puisse mourir que de faire des clubs de soutient en faveur des pires criminelles sadiques<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> <br /> Les remarques que vous faites ont été également formulées par des commentateurs sur le site Rue89.com où l'article a été mis en ligne.<br /> <br /> <br /> Le reproche suivant m'est fait. "Il est inutile et même maladroit de parler de Noir et de Blanc : le problème n'est pas la couleur, mais il est que ce sont des êtres humains". C'est exactement ce<br /> que je dis. Mais pour l'établir, je ne me borne pas à une généralité : je pense qu'il fallait justement aborder ce qui différencie ces deux condamnés et remarquer qu'on ne parle pas de l'un des<br /> deux parce qu'il serait "imprésentable" ou "indéfendable".<br /> Il est facile de se déclarer contre la peine de mort lorsque celle-ci frappe un innocent, et qu'on peut supposer de plus qu'elle a été prononcée pour des motifs racistes inavoués (en l'occurrence<br /> envers un Noir). Il est en revanche plus difficile de le faire lorsqu'elle frappe un tortionnaire auteur avéré de crime raciste (en l'occurrence un Blanc membre du KKK). Mutatis<br /> mutandis, c'est que répondait Condorcet à Frédéric II : vous êtes contre la peine de mort "sauf pour certains cas, particulièrement odieux". Autrement dit, il existe une forme bienpensante<br /> de l'abolitionnisme et tout se passe comme si le cas de Lawrence Brewer embarrassait cet abolitionnisme bienpensant, parce qu'il est un Blanc raciste et tortionnaire : on est contre la peine de<br /> mort "sauf pour les KKK blancs racistes tortionnaires, sauf pour les assassins d'enfants, sauf pour... " sauf pour... ce que la bienpensance de l'époque nous dicte.<br /> <br /> <br /> Je n'ai jamais laissé entendre que les Noirs auraient un traitement de faveur ; j'ai souligné que le cas de Lawrence Brewer permet d'aller jusqu'au bout de la thèse abolitionniste, que je<br /> soutiens : s'opposer à la peine de mort, c'est s'y opposer dans tous les cas y compris ceux que nous pourrions considérer comme "odieux" (c'est ce que répondait Condorcet à Frédéric II).<br /> <br /> <br /> A noter que l'argument de Mme Le Pen, lorsqu'elle réclame un référendum sur le rétablissement de la peine de mort, est exactement le même (il y a des crimes odieux... donc...) : la bienpensance<br /> n'épargne pas non plus ceux qui prétendent la combattre.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Quant à Hank Skinner, je me permets de vous signaler que j'ai également pris position dans un article en ligne sur ce blog : http://www.mezetulle.net/article-la-peine-de-mort-au-nom-de-la-democratie-45324143.html<br /> <br /> <br /> <br />
K
<br /> <br /> L'affaire Brewer n'est pas dissociable de l'affaire King. John King était le complice de Brewer dans le meurtre de Byrd. King était un petit voleur blanc qui fut incarcéré et pendant ce temps,<br /> violé et torturé pendant des mois par des co-détenus noirs, avec la complicité des gardiens noirs. Son calvaire prit fin quand il rencontra Brewer qui était en prison pour deal. Brewer n'avait<br /> pas eu le moindre pb avec les Noirs car membre de la "Fraternité", un groupe  blanc qui protègent leurs frères de race du racisme noir omniprésent. En sortant de prison, ils s'étaient promis<br /> de venger leur "brother" de la façon la plus conne qui soit, celle de ceux qu'ils considèrent comme des "singes". Brewer a été condamné à mort, comme King, pas encore exécuté alors qu'il veut<br /> mourir (il a le SIDA et des lésions anales irréservibles l'ayant rendu incontinent). Le troisième larron a pris perpet' dans des conditions d'incarcération très dures (mais moins que celles de<br /> King jadis : il est seul dans sa cellule...).<br /> <br /> <br /> <br />
I
<br /> <br /> Oui, ce pays dit "civilisé" démontre à quel point les génomes de la violence et de la barbarie sont inscrits dans sa Constitution.<br /> <br /> Si on ne peut qu'être d'accord avec Condorcet, il y a quand même bien d'autres arguments qui permettent de faire le choix d'être contre la peine de mort. Celui qui me touche en particulier, c'est<br /> la responsabilité partagée de la société dans les "monstres" qu'elle crée... On ne devrait pouvoir condamner à mort que des bac + 5, qui eux n'ont vraiment aucune "excuse"... Je plaisante bien<br /> sûr... quoique...<br /> <br /> <br /> <br />

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