29 avril 2013 1 29 /04 /avril /2013 21:01

Bloc-notes actualité

Les recettes de la cuisine pédago officielle
et la destruction de l'école : Jean Robelin récidive !

En ligne le 29 avril  2013


Dans un long entretien avec Esteban Piard pour le magazine Ragemag, Jean Robelin prolonge la tribune qu'il a publiée le 10 mars dans l'Humanité au sujet de l'école et dont Mezetulle a fait récemment état (1). Et une fois de plus, c'est un régal de le lire.

Quelques extraits de ce discours bien senti, juste pour vous mettre l'eau à la bouche.


Sur la politique scolaire de la gauche
La gauche est coupable d’avoir retiré toute autorité aux enseignants, en les coinçant entre une administration dont on exige qu’elle ne punisse pas, et des associations consuméristes de parents d’élèves qui s’arrogent le pouvoir de juger les enseignants, de leur apprendre leur métier. Moins on entend parler d’un établissement, mieux son chef est considéré, c’est l’inverse de la prime au rendement : la prime au silence. Donc pas de vagues. La gauche est coupable d’avoir dessaisi les enseignants de leur métier en leur imposant les recettes de la cuisine pédago officielle.[...] Le problème du PS n’est pas de concevoir une école du peuple, c’est de satisfaire les exigences de formation immédiate de la main-d’œuvre pour les entreprises, définies dans les documents de la Communauté européenne et dans ceux de l’OCDE. De ce point de vue, son programme n’est pas différent de celui de la droite. Apprendre à apprendre, c’est tout simplement remplacer la culture — c’est-à-dire la façon dont les individus se font eux-mêmes — par des procédures extérieures, des méthodes sans contenu qui correspondent à la transformation du travail intellectuel ou semi-intellectuel dans les entreprises, en application de procédures mécanisables, en particulier par l’informatisation des processus de travail… Ces procédures sont ce qui rend les individus substituables, avec comme conséquence qu’on peut plus facilement les virer parce qu’on peut les remplacer.

Sur la dévalorisation et de désespoir des professeurs
L’école vit dans les résistances à l’idéologie officielle, dans les efforts que font de nombreux enseignants, mus par une sorte de stoïcisme du désespoir, pour continuer à diffuser la culture. Mais c’est à ceux-là que l’on reproche de ne pas appliquer des âneries auxquelles on renonce deux ans après leur mise en place, parce qu’elles ont montré leur sottise. J’en connais, de ces enseignants excellents, sacqués dans les inspections, parce qu’ils refusaient les travaux personnels encadrés, les livrets d’incompétence et autres sornettes. [...]Lisez les discussions d’enseignants sur le Net, vous y verrez le poids du désespoir qui atteint la profession. Croyez-vous que des gens qui ont la possibilité d’échapper à l’enseignement, en particulier dans les matières scientifiques, feront cinq ans d’études ou plus, pour aller se faire cracher dessus dans une ZEP, le tout pour un salaire de début équivalent à 1,3 SMIC ?

Sur le « baratin pédagogiste »
[...] dans mon expérience professionnelle, les profs pédagogistes rencontrés étaient des gens qui généralement mendiaient l’amour de leurs élèves, ce qui n’est ni une bonne façon d’éduquer, ni un signe d’équilibre personnel. Et ce que j’ai constaté, c’est que les pédagogistes sont de mauvais pédagogues. Ce qu’il y a derrière tout cela, c’est qu’on veut des similis mamans, des doubles de la famille, et tant pis pour le savoir. C’est l’école garderie qui est en marche.[...] Ce qu’on appelle le conservatisme des enseignants, c’est leur refus de se transformer en baby-sitters. Il est clair aussi que l’école n’a pas à suivre le mouvement de la société. Un parent d’élève disait un jour à ma femme : « les enfants sont désormais des enfants de la pub, il faut leur enseigner comme à des enfants de la pub. » Si on veut fabriquer des chiens de Pavlov théoriques, faisons cela. L’école a des fonctions propres : enseigner pour éduquer.

Sur l'université
La coupure entre enseignement et recherche devient un gouffre, favorisant les comportements de mépris pour l’enseignement de la part des profs. Les notes sont bradées, parce que la concurrence entre les disciplines oblige à tout faire pour garder les étudiants et éviter leur fuite vers les disciplines « conciliantes ». C’est le sens de l’ « offre de savoir ». Le savoir n’est pas une offre répondant une demande, il crée son désir quand on est plongé dedans.

Et la péroraison :
Il est important en ce moment de libérer la parole des acteurs, des enseignants eux-mêmes, trop longtemps étouffés sous la chape du discours officiel relayé par les partis et les syndicats. Or les réactions, y compris les courriels qui me sont adressés, à la tribune que j’ai écrite, et que L’Humanité a publié au grand étonnement de ses lecteurs, celles à d’autres articles comme le mien, montrent combien ce discours officiel est en décalage avec le terrain, combien il est artificiel. Que Peillon soumette son baratin pédagogiste à un référendum chez les enseignants, je parie qu’il prendra une raclée, malgré le soutien de la machinerie étatique. Car sa concertation sur l’école était, comme toutes les initiatives de ce genre, une mascarade.

1 - Voir l'article du Bloc-notes Jean Robelin, la gauche et l'éducation, où l'on trouvera le lien vers le texte de la tribune publiée sur le site de l'Humanité.

 

Lire l'intégralité de l'entretien sur le site de Ragemag  : Jean Robelin « C'est l'école garderie qui est en marche »

 

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commentaires

T
<br /> Merci pour cet article intéressant. Je retiens en particulier cette phrase "apprendre à apprendre, c'est tout cimplement remplacer la culture par des méthodes sans contenu qui correspondent à la<br /> transformation du travail... dans les entreprises... ce qui rend les individus substituables..." Cette analyse me rappelle un article de Laurent Fedi ("devenir autonome ou compétent") du Magazine<br /> Littéraire (avril 2012) dans lequel on peut lire "L'entrée par compétences... s'impose maintenant à l'ensemble du systèrme éducatif avec une orientation bien précise : développer une capacité de<br /> recyclage permanent dans un monde dominé par la mondialisation économique et technologique". L'auteur appelle cela "la fabrique scolaire de l'homme compétent-coopératif". Il est intéressant de<br /> rappeler que l'injonction apprendre à apprendre était le mot d'ordre de l'éducation nouvelle vers 1900. Aujourd'hui, il s'agit d'amener les individus à se recycler tout au long de la vie, comme<br /> si l'école préparait à sa propre disparition. On lira sur le même thème le livre de Laurent Fedi intitulié "La Chouette et l'encrier". Robelin  me semble également lucide sur le projet du<br /> ministre Peillon.<br /> <br /> <br /> T D.<br />
F
<br /> Merci pour cet excellent article que je me suis empressé de "faire passer".<br />
D
<br /> Il me semble cependant que dans une dissertation, on exige une réflexion sur des concepts abstraits, en s'appuyant sur des auteurs classiques, des connaissances historiques, etc.<br /> <br /> <br /> Ce qu'un employeur attend, dans la plupart des cas, c'est simplement la capacité à s'exprimer clairement, avec concision et en n'omettant pas d'informations utiles. Ce n'est pas une qualité si<br /> répandue.<br /> <br /> <br /> Prenez par exemple les notes de service et autres informations venant de l'administration universitaire : combien sont peu claires, utilisent des sigles non définis, etc.<br />
M
<br /> <br /> Le genre de la dissertation, dont je parlais, n'est pas limité au traitement d'objets abstraits ou aux seules références de littérature classique. Et lorsqu'on s'est exercé à le pratiquer, on<br /> peut l'appliquer ou du moins s'en inspirer pour traiter des objets différents de ceux qu'on a pu traiter dans le cadre de l'enseignement scolaire proprement dit.<br /> <br /> <br /> <br /> Mais effectivement, vous avez raison : pour s'exprimer clairement par écrit en rassemblant des informations pertinentes, on n'est pas obligé de maîtriser à fond la technique de la dissertation ;<br /> simplement ceux qui la maîtrisent le font plus aisément. Et, là encore vous avez raison, ce n'est pas si fréquent... : on revient à l'un des sujets soulevés par le coup de gueule de Robelin !<br /> <br /> <br /> <br /> Nombre de notes diffusées par nombre de services universitaires relèvent d'un autre genre dont je ne connais pas le nom - consistant à être compliqué lorsqu'on peut être simple, obscur lorsqu'on<br /> peut être clair, confus lorsqu'on peut être distinct, souvent en exigeant des informations inutiles. C'est un genre administratif très répandu et qui n'est pas propre à l'administration<br /> universitaire. Sans doute demande-t-il une certaine dextérité.<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> Je ne suis pas convaincu que l'école actuelle forme effectivement aux besoins des employeurs, lesquels considèrent d'ailleurs avec suspicion certains diplômes de l'enseignement supérieur (témoin<br /> ces entreprises d'informatique qui conduisent leurs propres tests express de programmation pour écarter les candidats ne maîtrisant pas les bases). Il me semble qu'une proportion non négligeable<br /> d'étudiants, y compris dans les filières littéraires, sont incapables d'écrire un rapport clair et synthétique dans un français correct...<br />
M
<br /> <br /> Oui, je crois que les employeurs seraient plutôt contents de pouvoir recruter des candidats dotés d'une solide instruction de base, capables d'écrire correctement...<br /> <br /> <br /> Au fait, ce qu'on appelle ici "rapport de synthèse clair écrit dans un français correct" - une exposition raisonnée d'arguments, de faits et d'expériences à l'issue de laquelle on propose une<br /> conclusion fondée -, eh bien on l'appelle ailleurs "dissertation" - mais chut, il ne faut pas le dire : c'est mal vu et c'est tellement ringard !<br /> <br /> <br /> <br />

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