5 juillet 2013 5 05 /07 /juillet /2013 21:32

Bloc-notes actualité
École : l'accord signé avec Total

par Tristan Béal
En ligne le 5 juillet 2013

[Article publié par Respublica le 2 juillet 2013 - le « chapeau » de présentation ci-après est signé par Mezetulle.]

 

On croyait naïvement que la grande réforme des rythmes scolaires, ayant pour fonction de diminuer le temps passé à s'instruire, consacrait le passage de l'école-instruction à l'école-garderie. Le groupe Total, invité à distiller son précieux carburant dans les PEdT (projets éducatifs territoriaux), n'a pas oublié que l'école est aussi un marché. A moins que (c'est ce que disent des mauvaises langues)Total ait décidé de dédommager le contribuable ?

 

 

Une école sous peu totalement happée ? sur l'accord cadre signé entre l'Etat et Total.

 

Depuis 3 à 4 ans maintenant, à la fin de chaque année scolaire, les élèves de CM1 reçoivent un viatique : un livre qu’ils sont censés lire durant l’été puis travailler avec leur maître(sse) en CM2. Si l’on feuillette les pages de ces livres estivaux, on tombe très vite sur le logo de la fondation Total : ce qui ne choque pas (1), l’été étant une période, de par les pérégrinations autoroutières que cette saison induit, où l’on use beaucoup d’essence et où la famille vacancière a maintes occasions de faire le plein de carburant. Autant rouler et lire Total, donc.

 

Toute entreprise comme tout commerçant rêve d’avoir une clientèle absolument captée. Total est en train peut-être de réaliser un tel souhait. Son slogan est : « Vous ne viendrez plus chez nous par hasard ». Mais, à présent, plus besoin de venir à Total, puisque Total vient à nous, et cela dès notre enfance.

 

La réforme des rythmes scolaires libère une petite partie de l’après-midi auparavant passée à se fatiguer en classe (2)  pour donner la possibilité aux enfants de rester à l’école, non plus pour s’y instruire, mais pour prendre part à des activités enrichissantes, sportives et/ou culturelles. C’est ce que l’on appelle les Pedt (projets éducatifs territoriaux), lesquels, dans la circulaire n° 2013-036 du 20-3-2013, sont ainsi définis : « Le projet éducatif territorial (PEDT), mentionné à l'article D. 521-12 du code de l'éducation, formalise une démarche permettant aux collectivités territoriales volontaires de proposer à chaque enfant un parcours éducatif cohérent et de qualité avant, pendant et après l'école, organisant ainsi, dans le respect des compétences de chacun, la complémentarité des temps éducatifs ». Pour l'instant, on ignore quelle sera la teneur exacte de ces activités périscolaires ni si celles-ci seront tout à fait gratuites. Mais heureusement, prenant en compte le porte-monnaie du contribuable (chacun sait en effet que la réforme des rythmes scolaires va accroître les impôts locaux, vu les frais afférents pour les municipalités), Total, apprend-on, a signé un accord avec l'Education nationale lui permettant de consacrer 4 millions d'euros dans le cadre des PEdT. De mauvaises langues diront que l'entreprise rend d'un côté à la collectivité une petite partie de ce qu'elle ravit sans vergogne de l'autre (il se murmure que Total bénéficierait de facilités fiscales lui permettant d’échapper pour une bonne part à l’impôt sur les sociétés en France).

 

Le dossier de presse indique donc que « quatre millions d’euros seront affectés au soutien de structures à but non lucratif, notamment afin d’accompagner la grande réforme des rythmes éducatifs dans le premier degré ». Plus judicieux mais moins insidieux aurait été d'employer non pas le participe passé affectés mais investis. En effet, si le PEdT permet de proposer à chaque enfant un parcours éducatif cohérent et de qualité dès le moment de l'école-instruction (et non pas seulement lors de l'école-garderie), cela signifie que l'école va être sous peu le lieu d'un immense marché. On peut alors se demander si, dans une telle école du commerce débridé, la laïcité, c'est-à-dire la rupture par rapport à tout groupe de pression, sera maintenue, bref s'il y sera possible d'apprendre réellement à être homme et à faire des choix de citoyen raisonnés et non pas à devenir presque inconsciemment un consommateur hésitant entre des marques d'essence...

 

Voir les autres articles de Tristan Béal.

Voir également l'article du Mammouth déchaîné « Totalement vôtre. Peillon finance les projets éducatifs territoriaux grâce au groupe Total ». 

 

Notes

1 - Quoique... (cf. la question écrite http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-112117QE.htm n° 112 117 de Martine Billard)

2 - Cette réforme a pour but affiché de réduire de trois-quarts d'heure par jour le temps de présence des élèves dans la quiétude de la salle de classe pour les livrer au bruit et à l'agitation des centres aérés.

 


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commentaires

A
<br /> Totally d'acc'.<br /> <br /> <br /> Sauf peut-être sur la note de bas d'article : "la quiétude d'une salle de classe"...<br /> <br /> <br /> Non, je ne peux pas regretter la journée de classe de 6 heures : pour l'avoir vécue jusqu'à présent, il n'est pas exact de dire que les après-midis - du moins dans ma classe de Ce2, car<br /> je ne parle que pour moi-  respirent la quiétude et l'étude...<br /> <br /> <br /> J'avoue que c'est un soulagement pour moi de n'avoir plus, dès l'année prochaine, à me battre pour un semblant de calme, d'attention et de travail, parmi des élèves saturés et souvent<br /> survoltés, que deux heures au lieu de 3.<br />
T
<br /> <br /> Mezetulle a reçu la réponse de Tristan Béal :<br /> <br /> <br /> *****************<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Merci pour votre lecture et pour votre remarque, laquelle, hélas ! montre en creux combien certains d'entre nous sont à ce point démoralisés, comme l'on dit, attaqués qu'ils sont tout<br /> ensemble par leur hiérarchie, les parents et les chères têtes blondes à qui ils tentent d'enseigner, qu'ils en viennent à souhaiter d'avoir une classe paradoxale, une classe sans élèves ; et<br /> comment ne pas leur donner raison ?<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Du coup, à la lecture de la fin de votre commentaire, je me suis d'abord dit, sans aucune moquerie, que, si j'avais à enseigner dans ces écoles où le rapport de force prime sur le rapport au<br /> savoir, ce n'est pas seulement de trois-quarts d'heure que j'aurais aimé que la réforme des rythmes scolaires allège chaque jour ma présence devant les élèves...<br /> <br /> <br /> Ensuite, votre soulagement tout personnel à n'avoir plus à contenir vos élèves en fin d'après-midi à partir de septembre prochain m'a fait penser à un conseil des maîtres qui a eu lieu<br /> dernièrement dans mon école. Alors que notre directeur s'enquérait de tous les redoublants de l'année scolaire passée pour savoir si ce redoublement leur<br /> avait été bénéfique, et que, devant les réponses négatives de tous les collègues concernés (peu nombreux, cela va sans dire, le redoublement, comme vous le savez, étant chose rare de nos jours),<br /> mon directeur commençait – de ce j'en ai ressenti, il est vrai – à jubiler intérieurement : « Tu vois<br /> bien : quand on te dit que le redoublement n'a aucune efficacité ! », je me suis adressé à lui et j'ai répondu à ce que je tenais pour une satisfaction muette que l'on pourrait<br /> même aller jusqu'à se demander si la présence à l'école de ces élèves avait une quelconque utilité depuis leur année de CP – bref s'il ne fallait pas<br /> reconnaître que l'école n'était pas faite pour les prétendus cancres et qu'il n'y avait donc aucune raison de les envoyer à l'école (avant même de juger de l'éventuelle pertinence d'un<br /> redoublement), puisque dès le début de leur scolarité ils n'apprennent rien, plutôt : puisque rien n'est fait pour que de tels élèves apprennent et donnent la pleine mesure de leurs<br /> indéniables capacités. Il va sans dire que le directeur n'a rien trouvé à rétorquer à cette attaque injuste, attaque qui relevait plus du procès d'intention que d'un échange argumenté...<br /> Autrement dit, avec la même mauvaise foi, je pourrais dire qu'il serait préférable que nous laissions nos élèves au centre de loisirs dès après la pause méridienne et que du coup nous n'aurions<br /> plus de problème de discipline la fin d'après-midi arrivant.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Mais mieux vaut être honnête et reconnaître qu'il est des classes où toute personne sensée souhaiterait que les nouveaux rythmes scolaires aient réduit les heures d'enseignement à quelques<br /> minutes seulement, vu la violence et la fureur qui s'y déploient dès neuf heures du matin ! A moins de poser qu'il conviendrait non pas que de tels élèves soient moins en classe mais qu'ils<br /> y soient autant voire plus que maintenant mais différemment, autrement dit que l'institution fasse vraiment en sorte qu'ils deviennent des élèves six<br /> heures par jour. Que nous n'arrivions pas à « tenir » nos élèves ne doit pas avoir pour conséquence que nous les remettions plus tôt entre les mains de leurs parents ou de gentils<br /> animateurs, ou bien que nous les abandonnions dès le moindre signe d'énervement postprandial devant tous ces écrans sans âme qui les mangent de l'intérieur, cette impossibilité chez nos élèves à<br /> se concentrer sur le long terme devrait bien plutôt nous forcer à nous interroger sur cette nôtre incapacité et à dévoiler ce dont elle est le bruyant et agité révélateur.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Quand j'ai commencé d'enseigner (en ZEP, comme tout le monde), deux « vieilles » collègues faisaient classe à des élèves de CM2 dont on ne forcerait pas le trait en les qualifiant de<br /> « tueurs ». Certes, il y avait l'air peu amène de ces deux collègues qui devait y être pour quelque chose dans la tenue exemplaire de leur classe, mais leur secret – que je leur avais<br /> tôt demandé, moi dont la pauvre autorité balbutiante était allègrement taillée en pièces par des petits de CP – était le suivant : « Que jamais ils ne cessent d'écrire et qu'ils aient<br /> toujours quelque chose à faire ! »* On était loin, comme vous pouvez le constater, des méthodes actives et participatives chères à tous ces Diafoirus des sciences de l'éduc' qui<br /> phagocytent l'esprit des jeunes collègues quand ils entrent dans la carrière.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Il est vrai aussi que dans l'école, fort bourgeoise, dans laquelle j'enseigne à présent, les fins d'après-midi peuvent être parfois longues et éprouvantes. Et elles le sont (j'en fais<br /> l'expérience amère quand il y a un certain flottement dans la préparation de ma classe) dès qu'un travail structurant ne leur est plus proposé.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> C'est à se demander finalement (et c'est du reste ce que fait une de mes collègues peu sensible aux sirènes des nouvelles pédagogies) s'il ne conviendrait pas mieux de placer les matières d'éveil<br /> et le sport plutôt le matin et passer l'après-midi (avec les fameux derniers trois-quarts d'heure) à faire du français et des mathématiques de manière frontale... Si jamais cette collègue devient<br /> ministre, vous voyez ce qui nous attend !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> * Encore faut-il qu'ils acceptent déjà de prendre un stylo, un cahier et de rester les fesses sur leur chaise, me rétorquerez-vous à juste titre. On en revient toujours ainsi à ce petit échange<br /> entre Socrate et Polémarque au début de La République : « – Vous m'avez l'air, Socrate, [Glaucon et toi,] de prendre le chemin de la ville pour vous en retourner. – Ce n'est<br /> pas mal deviné. – Eh bien ! Tu vois combien nous sommes. – Oui, sans doute. – Alors ou bien vous serez plus forts que nous tous, ou vous allez rester ici. – N'y a-t-il pas une autre<br /> alternative, qui serait de vous convaincre qu'il faut nous laisser partir ? – Seriez-vous de force à convaincre des gens qui ne veulent pas entendre ? [...] Alors mettez vous dans la<br /> tête qu'on ne vous écoutera pas. » Où l'on voit que si notre force, à nous instituteurs, n'est plus en certaines circonstances que la force du biceps, c'est que nous n'avons plus derrière<br /> nous l'institution pour asseoir notre autorité symbolique : pareillement lâchés, nous ne pouvons que nous en remettre à nous-mêmes ou à la bienveillance de ceux à qui nous sommes censés<br /> faire classe...<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> Comme par hasard, Total s'intéresse de très prés au Festival d'Avignon:<br /> <br /> <br /> http://www.festivalier.net/2013/07/total-congo-festival-avignon/<br />
I
<br /> Merci Mr Béal pour cette information et cette dénonciation avec laquelle je suis en accord total. Ni le marché ni le territoire ne doivent entrer à l'école de la République. L'ave,ir s'annonce<br /> difficile cependant pour tous les défenseurs de l'école de l'instruction. Le projet de refondation de l'école ayant été accepté majoritairement par l'assemblée et le sénat. La résistence ne peut<br /> que s'organiser dans les garanties à obtenir au moment de la mise en oeuvre. Plutôt une augmentation des impôts qu'une participation de Total. Telle est la situation. Sachant que l'école de<br /> peut qu'être détruite, et non pas refondée, dans les principes de l'ouverture et des territoires.<br />

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