20 avril 2006 4 20 /04 /avril /2006 22:07

Bloc-notes
"Fumer tue", vivre tue aussi !

Lu dans le numéro 438 de Respublica ce beau et réconfortant petit texte de Marie Perret sur l'ordre moral anti-fumeurs :
[Vous pouvez lire cet article sur le nouveau site Mezetulle.fr]

[...]
Je me souviens de ce jour où mes élèves de Fleury-Mérogis (quartier des hommes) m'ont offert, pour me remercier des cours de philosophie, un paquet de Marlboro. Je me souviens de l'odeur enveloppante du tabac de la pipe de mon premier analyste (feu mon premier analyste, devrais-je dire, puisque les meilleurs fumeurs partent toujours les premiers) dont les scansions étaient accompagnées d'une petite toux éructante, et combien séduisante. Je me souviens de ma première cigarette, fumée lors d'un camp de guides de France dans le dos de la cheftaine, qui avait le goût caramélisé de l'Amsterdamer à rouler.
Je me souviens de la chanson de Brigitte Fontaine :"je fume sans trève et sans répit, je fume, à m'en relever la nuit, je fume par amour de la vie..."
Je me souviens de la cigarette fichée à perpétuité dans la bouche de Jean-Paul Sartre, et que des bonnes âmes évinisées ont pris soin de faire disparaître de l'affiche officielle éditée lors du centenaire de sa naissance. Je me souviens de cette âme forte, et pleine de mauvais esprit, qui fume une fois par an un bon cigare lors de la journée anti-tabac. Je me souviens de cet été où j'avais remplacé ma paille par des gitanes maïs et où j'avais lu le séminaire III de Lacan, qui est imprégné, pour l'éternité, de l'odeur entêtante du tabac brun.

Ce monde n'existe plus : je l'ai compris il y a deux ans lorsqu'un collègue, qui me voyait fumer, m'a dit que j'étais doublement vicieuse, puisque j'étais non seulement suicidaire mais aussi criminelle. Et puis, a-t-il ajouté, quel exemple pour les "jeunes"! Mea culpa, mais dieu n'est-il pas un fumeur de Havanes ?
Les fumeurs seront désormais parqués dans des aquariums où ils pourront s'adonner dans la honte à leur vice, bien entre eux et bien séparés du reste de l'humanité.
Car le discours de l'ordre moral a une vertu rassembleuse : qui peut nier que le tabac tue ? Pire : qui peut nier que le tabagisme passif tue d'innocentes victimes ? La cigarette est un excellent cheval de bataille pour faire oublier le CPE : en voilà une cause propre à attirer l'assentiment populaire !

Fumer tue, c'est vrai. Mais vivre, au fond, tue aussi !
Marie Perret


A lire ou à relire, Roland Dubillard : Confessions d'un fumeur de tabac français (Gallimard, 1974).

N.B. Mezetulle ne fume plus depuis 30 ans mais a en horreur l'obsession du "clean" et du bien-être (surtout que rien ne se passe, que personne ne dépasse!), et se permet d'ajouter aux évocations faites par Marie : la cigarette après l'amour, après le bain de mer, à la sortie de la bibliothèque, la cigarette de la dernière minute chantée par Carla Bruni, et pour finir (moment sublime et délicieusement aporétique puisque c'est pour y parvenir, ménageant son souffle, que Mezetulle a cessé de fumer) la cigarette montagnarde au point culminant, celle qu'on exhale "à la face des mers, à la face des monts" et "par delà les confins des sphères étoilées" - "toute l'âme résumée"!

Lire sur le Bloc-notes "Fumer tue (suite) : une loi trop bavarde"


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Sur le Bloc-notes le 20 avril 06

 

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commentaires

J
Voici à quoi cela ressemble une cave à cigares, l'idéal c'est de conserver les cigares à environ 70% de taux d'humidité.<br />  
P
C'est quoi une cave à cigares ?
C
Une cave à cigares est un coffret plus ou moins grand destiné à conserver les cigares à une température et à un taux d'humidité requis pour qu'ils ne sèchent pas et qu'ils conservent leur arôme. Pour les détails techniques, on doit pouvoir trouver des descriptions de fabricants sur le web, je suppose...
P
Encore un débat sur les fumeurs. Fils d'un fumeur de cigares, je n'y ai jamais touché mais je dois reconnaitre que j'appréciais l'odeur des cigares que mon père fumait. Quand il sortait un havane de sa cave à cigares je m'en réjouissais mais personnellement je n'ai jamais fumé. Fumer tue on le dit, alors on a le droit de se mettre en danger en toute connaissance de cause mais on n'a pas le droit de mettre en danger les autres.
A
Je vous recommande le premier chapitre de "Rome, la pluie" (A quoi bon la littérature), et sa belle envolée à la gloire de la cigarette, de la fumée qui embrume et éveille les esprits.
C
Alice, il s'agit bien du livre de Robert Harrison Rome, la pluie (Flammarion) ?Merci pour la référence, on va aller lire ça.
M
Point de vue d’une non-fumeuse Comment une non-fumeuse gênée par les fumeurs peut se positionner entre la bien-pensance actuelle et la préservation de ses poumons ? Entre la liberté individuelle de l’un et la liberté individuelle de l’autre, entre les pressions de la société et le sentiment de rébellion ? Mais je peux affirmer haut et fort que fumer pue ! On pourrait d’ailleurs ajouter sur les paquets de cigarettes " Fumer Pue et Tue ! " Je ne suis d’ailleurs pas la seule à le remarquer. Ainsi cette histoire vraie qui m’est arrivée voici quelques années : dans un wagon non-fumeur plutôt désert d’un train grande ligne, une odeur bien caractéristique me chatouille les narines… à quelques places de moi un homme ose fumer tranquillement ! (je dis tranquillement car maintenant, cela fait presque pitié de voir les fumeurs pétris de culpabilité tirer une taf !) Je m’approche donc de ce provocateur invétéré en lui faisant remarquer (avec courtoisie) qu’il se trouve dans un wagon non-fumeur. Et que me répond le monsieur ? Ah je sais bien mais je préfère être ici car dans les wagons fumeurs ça sent trop mauvais ! Comme je le comprenais. Nous avons trouvé un compromis : il a continué à s’adonner à son vice dans l’espace des portes donnant sur les voies (ce qui confirme bien que les fumeurs aiment braver les dangers !). Comment faire pour gérer tout ça ? Au restaurant par exemple, on arrive à plusieurs, on nous demande " fumeur – non-fumeur ? " Des réponses contradictoires fusent ! On se place alors en fonction du sentiment d’amitié qui habite le non-fumeur à supporter la fumée ou qui habite le fumeur à s’abstenir de fumer, car tout de même, entre amis, on aime partager un repas, si possible, ensemble ! Quel bon test pour savoir le niveau d’amitié que l’on peut se porter ! A chaque clan de gérer tant bien que mal cette mutuelle ségrégation. Cependant, je m’associe (avec tout mon souffle) à Marie Perret pour dénoncer cet ordre moral qui se sert de la fumée pour cacher les vrais problèmes. On peut d’ailleurs craindre que parmi ces gardiens de vertu certains pensent que fumer tue mais pas assez vite. Une riposte armée serait plus efficace. Une cigarette – Une balle ! La cigarette du condamné prendrait ici tout son sens. Mais alors quid des multinationales du tabac ? Il faut penser à l’économie que diable ! Alors ? Encore une ? Marthe
L
criminel, le prof qui fume ????oui car c'est souvent le même que celui qui n'accepte pas son role de "moule à crétins" ....je me souviens de profs de droite , vraiment de droite , qui pensaient que l'important , c'était d'outiller leur élèves avec des clefs de 12 en état de marche , pour arriver à voir ce que le monde avait dans le ventre ... ils fumaient .... ou pas d'ailleurs ....de nos jours, les profs fument plus, ont peur des gosses, et sont tous vaguement actionnaires d'EDF et de France télécom .... même si beaucoup sont resté de gôche ....
G
Pour le monde de la pensée mécanique, Dieu est un fumeur de havanes et vivre tue. Mais le monde de la pensée mécanique n'est qu'un monde empli de tombeaux non profanés par la vie, où des hordes de consommateurs robotiquement organiques stérilisent le réel en le transformant en abstraction frigide et morne. L'esprit du paradoxe ne règne pas sur ces prairies livides et sanguinaires, contrée imaginale dans laquelle s'agitent des cadavres prétentieux à la recherche d'un illusoire devenir, marmonnant des imprécations moralisatrices en se prenant pour des dieux. Alors qu'importe la vie et la mort des caveaux, vie et mort ne sont que concepts formels, dérivés d'hallucinations anxiogènes, délires sclérosants d'un processus automatique, inventions hypnotiques pour aliénés consanguins. C'est dans la stérilité du mécanique que s'évaporent les orchidées mauves  de la jouissance d'être,  c'est dans l'insensé merveilleux que réapparaît la qualité d'une humanité non desséchée par l'absence d'irrigation du processus amoureux.
J
J'ignorais ce détail concernant l'effacement de sur les photos des cigarettes de Sartre. Sans pousser le "bouchon" trop loin, c'est de la falsification de l'histoire. Et, ça, c'est TRES dangereux!
C
J'ai trouvé celui-ci amusant  :0029: et je n'ai pas pu résister...
N
Bonjour<br /> Le texte de Marie Perret ainsi que votre réaction sont certes esthétiques mais sont complètement détachées de la réalité vécue par la majorité de fumeurs passifs.<br /> On peut trouver sympa la clope du vieux Lucky Lucke, apprécier de fumer un havane en buvant un vieux rhum tout en écoutant "commandante Che guevara" sans pour autant accepter de subir les réunions de travail irrespirables, les plats de restaurants au goùt vicié par celui du tabac froid du voisin et le coùt social du traitement des maladies des fumeurs chroniques.<br /> La loi Evin aurait été parfaite si elle avait été respectée, ce qui a été rarement le cas. Entre fumeurs et non-fumeurs, les premiers imposent le plus souvent leur goût aux second.<br /> Le droit de fumer doit être préservé comme celui de respirer un air sans goudrons et de ne pas puer le tabac froid des autres.<br /> Bravo tout de même pour le reste de votre oeuvre<br /> NO<br />  <br />  
C
Nicolas, vous avez parfaitement vu le parti-pris littéraire et esthétique, mais ce n'est pas sans conséquence : c'est aussi "moral".  Nos deux textes sont explicitement pris dans l'antinomie et avouent, chacun à sa manière, que fumer est dangereux. Mais justement, il ne faut pas que l'antinomie (fumer est dangereux / je peux fumer même si c'est dangereux et il y a un usage poétique du tabac) disparaisse, qu'elle soit totalement abolie. Il y a une conception de l'ordre moral qui nie toute morale et qui finalement, au nom de la santé de l'humanité, nie les humanités. Avoir effacé la cigarette de Sartre sur les photos est proprement monstrueux, c'est un déni d'identité. Pire: c'est un mensonge pieux.Cette conception veut rendre impossible ce qui est dangereux. Vous ne la partagez pas, c'est très clair à la lecture de votre commentaire. Alors, d'accord avec vous pour interdire de fumer de façon explicite et délimitée dans l'espace. Mais ce qui est en question aujourd'hui n'est plus de l'ordre du simple interdit : c'est de l'ordre de la forclusion - rendre l'acte de fumer impensable. Cela rendrait impensable une partie assez précieuse ( et pas seulement sympathique, car Sartre et Malraux et Valéry ne sont pas réductibles à Lucky Luke - d'ailleurs ils ne portent pas des noms de cigarette, eux !) de la culture littéraire.J'ai dit dans ma réaction au texte de Marie que je ne fume plus depuis 30 ans : je fais donc partie des non-fumeurs et je connais autant que vous (peut-être même depuis plus longtemps que vous ?) la réalité vécue par les fumeurs passifs. Mais je ne voudrais pas qu'on en vienne à une culpabilisation générale des fumeurs, à une persécution engagée, comme dans certains pays, sur le simple fait d'avoir un cendrier sur son bureau ou un cigare dans son sac. Voilà pourquoi, chaque 31 mai, je me promène le cigare au bec (pas forcément, et même surtout pas, allumé). Exercice formel et abstrait de la liberté ? Oui, car c'est ce qui témoigne de l'état de la liberté.

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