26 juin 1970
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De quel côté du mur sommes-nous tombés?
par Jean-Michel Muglioni
Nous voilà rassurés : nos enfants n'apprennent rien de nocif en lisant un manuel scolaire, rien en tout cas qui puisse nuire à la sacro-sainte société. A la différence du soleil, le politiquement correct bombarde les deux côtés du mur : pour se mettre à l'ombre, il faudrait échapper à l'école.
1981. Le socialisme a pris le pouvoir en France.
Communiqué de la télévision pseudotel : une commission a été chargée d’examiner les manuels scolaires d’économie suspects de dispenser une idéologie capitaliste. Tollé général : le nouveau pouvoir veut endoctriner les élèves, le totalitarisme est à nos portes. Dans les milieux bien informés on envisage de se mettre à l’abri des chars rouges aux Etats Unis d’Amérique ou en Argentine, où règnent des généraux.
2008. On sait maintenant que le communiqué précédent est un faux : le mur de Berlin est tombé. Les socialistes ne sont même plus dans l’opposition. La presse connue pour son sérieux a signalé une commission chargée d’examiner les manuels scolaires d’économie suspects de dispenser une idéologie hostile aux entreprises. Est-il même besoin d’ouvrir ces ouvrages pour vérifier les conclusions de cette commission ? Elle vient de révéler qu’ils sont trop critiques à l’égard de la société de consommation. L’école ayant pour tâche de fabriquer des producteurs et des consommateurs efficaces, il ne s’agit pas cette fois d’endoctriner les élèves mais de les préparer à vivre dans l’entreprise.
Pseudotel annonce que dans la France en émoi, outrée, scandalisée, révulsée, dans la France frondeuse et ingouvernable, où les journalistes sont tous de gauche, au pays des révoltes et des révolutions, cette nouvelle a fait l’effet d’une bombe. Des millions de citoyens en colère sillonnent tous les jours les rues. Ils dénoncent l’endoctrinement dont leurs enfants seront l’objet officiellement. Les professeurs, en tête des manifestations, défendent leur liberté. Une telle mesure, disent les slogans, remet en cause le principe de la laïcité et de l’obligation scolaire : est-on en effet obligé en quoi que ce soit d’envoyer ses enfants dans une école quand les gouvernants y imposent d’enseigner ce qu’il faut penser du régime économique en vigueur ?
C’est ainsi que dans l’avenir, pour être un esprit libre, il faudra avoir la chance d’échapper à l’école. Et cette fois, il n’y a pas de salut aux Amériques, car le mur de Berlin est vraiment tombé.
P.S. Pseudotel nous informe en urgence qu’un groupe rationaliste barre la rue de Grenelle parce qu’aucune commission n’a remis en cause les manuels de mathématiques qui ont remplacé la notion de démonstration par celle de devinette. Tout espoir n’est pas interdit.
© Jean-Michel Muglioni, 2008
par Jean-Michel Muglioni
En ligne le 13 juillet 2008
Nous voilà rassurés : nos enfants n'apprennent rien de nocif en lisant un manuel scolaire, rien en tout cas qui puisse nuire à la sacro-sainte société. A la différence du soleil, le politiquement correct bombarde les deux côtés du mur : pour se mettre à l'ombre, il faudrait échapper à l'école.
1981. Le socialisme a pris le pouvoir en France.
Communiqué de la télévision pseudotel : une commission a été chargée d’examiner les manuels scolaires d’économie suspects de dispenser une idéologie capitaliste. Tollé général : le nouveau pouvoir veut endoctriner les élèves, le totalitarisme est à nos portes. Dans les milieux bien informés on envisage de se mettre à l’abri des chars rouges aux Etats Unis d’Amérique ou en Argentine, où règnent des généraux.
2008. On sait maintenant que le communiqué précédent est un faux : le mur de Berlin est tombé. Les socialistes ne sont même plus dans l’opposition. La presse connue pour son sérieux a signalé une commission chargée d’examiner les manuels scolaires d’économie suspects de dispenser une idéologie hostile aux entreprises. Est-il même besoin d’ouvrir ces ouvrages pour vérifier les conclusions de cette commission ? Elle vient de révéler qu’ils sont trop critiques à l’égard de la société de consommation. L’école ayant pour tâche de fabriquer des producteurs et des consommateurs efficaces, il ne s’agit pas cette fois d’endoctriner les élèves mais de les préparer à vivre dans l’entreprise.
Pseudotel annonce que dans la France en émoi, outrée, scandalisée, révulsée, dans la France frondeuse et ingouvernable, où les journalistes sont tous de gauche, au pays des révoltes et des révolutions, cette nouvelle a fait l’effet d’une bombe. Des millions de citoyens en colère sillonnent tous les jours les rues. Ils dénoncent l’endoctrinement dont leurs enfants seront l’objet officiellement. Les professeurs, en tête des manifestations, défendent leur liberté. Une telle mesure, disent les slogans, remet en cause le principe de la laïcité et de l’obligation scolaire : est-on en effet obligé en quoi que ce soit d’envoyer ses enfants dans une école quand les gouvernants y imposent d’enseigner ce qu’il faut penser du régime économique en vigueur ?
C’est ainsi que dans l’avenir, pour être un esprit libre, il faudra avoir la chance d’échapper à l’école. Et cette fois, il n’y a pas de salut aux Amériques, car le mur de Berlin est vraiment tombé.
P.S. Pseudotel nous informe en urgence qu’un groupe rationaliste barre la rue de Grenelle parce qu’aucune commission n’a remis en cause les manuels de mathématiques qui ont remplacé la notion de démonstration par celle de devinette. Tout espoir n’est pas interdit.
© Jean-Michel Muglioni, 2008