1 juin 1970 1 01 /06 /juin /1970 17:55

Vivons sans espérer !
par Jean-Michel Muglioni

En ligne le 1er mars  2008


Croire à une transcendance est aujourd'hui fort bien vu. Loin de s'opposer aux "idéologies" du XXe siècle, cette célébration du "retour du religieux" n'en est jamais que le revers: idéologies et transcendance sont deux versions symétriques d'une fétichisation des désirs que fédère le terme "espérance". Or l'espérance est le corrélat de la crainte: en substituant le salut au bonheur, toutes deux rendent les hommes à la fois vulnérables et féroces.
Il est bon de rappeler, comme le fait ici Jean-Michel Muglioni, que, tout comme la crainte, l'espérance n'est pas une vertu.

L’illusion eschatologique
Dans la confusion ordinaire des débats publics, le retour du religieux et la fin des idéologies sont généralement liés. Le naufrage des régimes communistes, qui promettaient un monde meilleur, a provoqué le retour de la croyance en l’au-delà. Il arrive même qu’on s’en réjouisse, parce que les crimes du siècle dernier viendraient d’une politique athée. Qu’enfin cette espérance en une autre vie parle à nouveau dans le cœur des hommes, et nous éviterons le pire ! On appelle dans cette affaire « idéologies » les illusions eschatologiques. Et il est vrai qu’on promettait des lendemains qui chantent, allant jusqu’à nier qu’il y ait une nature, pour soutenir que tout en l’homme et hors de l’homme peut être transformé : c’était croire en la régénération de l’humanité sur terre. Aussi peut-il paraître étrange d’opposer l’espérance en l’au-delà à ce vain espoir qui n’en était que la sécularisation. Il y a quelque chose de religieux dans toute eschatologie, qui, même athée, conçoit une révolution telle qu’après ne soit plus en rien comme avant.

Stoïciens et chrétiens
Sans doute peut-on sauver l’espérance : certaines grandes âmes, seules devant Dieu, espèrent sans fanatisme. Mais dès qu’une foule espère, et l’Eglise est aussi une foule, tout est perdu, un orateur promet, l’ébranle et la conduit où il veut. Le Proche Orient s’en souvient encore, les croisades ont fait couler des ruisseaux de sang. Les stoïciens considéraient l’espérance comme un vice et non comme une vertu. L’attitude des premiers chrétiens les a confortés dans cette certitude. Marc Aurèle y voit certes une preuve que nous sommes capables de résister à la douleur et à la crainte de la mort : un fou par erreur ou un chrétien par opiniâtreté peuvent ne pas craindre la douleur et sembler plus sages que le sage « dans le taureau de Phalaris » (1). Le sage y demeure maître de lui-même par un jugement vrai.

Consentir au monde
Les hommes sont malheureux parce que, les événements étant contraires à leurs désirs, ils ne savent pas changer leurs désirs quand ils ne peuvent changer l’événement. Comme ils jugent des choses selon leurs craintes et leurs espérances et non selon la raison, ils sont sans cesse déçus par le cours du monde. Juger selon la raison, qui est en nous une part du souffle divin, c’est juger selon la nature que ce souffle anime. Car la raison est la pensée en tant qu’elle connaît les choses telles qu’elles sont. Le jugement formé dans l’intériorité de la conscience est en plein accord avec l’ordre rationnel du monde. Se rappeler à soi-même que la sagesse consiste dans la souveraineté de son jugement et se rappeler que la vie du sage est conforme à la nature, et donc en harmonie avec le cours du monde, c’est la même chose. La vraie sagesse requiert que nous n’espérions rigoureusement rien, que nous n’attendions rien des événements ni de Dieu, et que nous apprenions à vouloir le monde tel qu’il est. La prière au monde de l’empereur Marc Aurèle n’est pas une requête, elle ne fait que chanter la beauté du monde.

Tout me convient qui te convient, ô monde ! Rien n’est pour moi trop précoce ou trop tardif qui soit à point pour toi. Tout ce que produisent tes saisons, ô nature, est pour moi un fruit ; tout vient de toi, tout est en toi, tout revient à toi. Tel a dit : « Chère cité de Cécrops ! » (2); ne diras-tu pas, toi : « Chère cité de Zeus » (3)?

Connaissant la loi de l’univers, l’empereur romain se sait citoyen du monde, et consent à n’être que ce qu’il est, un instant du devenir universel :

Ce petit instant de la vie, le traverser en se conformant à la nature, partir de bonne humeur, comme tombe une olive mûre, qui bénit la terre qui l’a portée et rend grâce à l’arbre qui l’a fait pousser.(4)

Poésie rustique, paradoxale comme le voulait Platon : sans regrets, sans lamentations, sans dramatisation de la mort. Elle inverse le sens des symboles et refuse la séduction des chants désespérés. Sa beauté revigore. On ne pleure pas la mort d’une olive. Ainsi encore, chez Marc Aurèle, les roses ne symbolisent pas notre fragilité, qu’il faudrait pleurer, mais la beauté du monde qu’il faut louer. Que serait une rose immortelle ? Faut-il, insensé, ne vouloir ni les épines de la rose, ni l’hiver, ou regretter que les olives meurent et que le lait des figues brûle la peau des hommes ? La même illusion fait considérer la brièveté de la vie comme un argument contre la providence. Notre malheur n’est pas de n’être qu’une partie éphémère du monde, mais d’être partiaux : nous jugeons du tout sans savoir que la partie n’existe et n’a de sens que par le tout. Concevant et chantant au contraire la vie de l’univers, nous pouvons aimer notre propre vie : l’aimer tout entière, aimer aussi la quitter, et non pas vivre comme un fruit qui se plaindrait de devoir tomber après avoir mûri. Seuls les fous s’interrogent avec angoisse sur la mort. Le sage sait se situer dans le monde et parce qu’il s’élève à la contemplation du tout, il se réjouit d’être mortel et de ne vivre qu’un jour. Marc Aurèle se donne à penser la vérité des mythes païens, la poésie du paganisme, paysanne. Tel est aussi le sens du cycle toujours recommencé des saisons, éternel retour : il n’y a pas d’au-delà.

Bonheur et non salut
L’affirmation stoïcienne du destin, c’est-dire de la nécessité de tout ce qui est, est libératrice, parce qu’elle nous ôte toute espérance. Et par là elle ne fait pas du monde l’enfer de Dante, à l’entrée duquel est inscrit : Lasciate ogni speranza, voi che’entrate ! (5) Mais l’âme raisonnable qui nous anime, partie du souffle divin, cessera d’être séparée de lui avec la mort. Sagesse de l’immanence et non de la transcendance. Sagesse et non obsession du salut personnel. Ainsi, avec Marc-Aurèle et les stoïciens, nous avons tout le contraire d’une religion de l’espérance ou d’une philosophie de l’histoire : ces hommes seulement hommes et pleinement hommes savaient se tenir droit sans rien attendre des événements ni du ciel, sans rien attendre de meilleur ni pour demain, ni pour l’éternité. Et le sage vivait donc heureux comme les dieux.
Pour les chrétiens, quel orgueil ! Or l’espérance ne risque-t-elle pas de se métamorphoser en nihilisme ? S’il est trop orgueilleux de dire son bonheur divin, espérer en un monde meilleur, c’est tenir ce monde-ci pour inacceptable : il faut s’en sauver ! L’idée de salut est étrangère à la philosophie antique parce qu’elle accepte le monde : l’homme y est chez lui et n’espère pas un autre monde, et pour cette raison il y remplit simplement sa fonction. Le refus du monde fait l’impatience révolutionnaire et nihiliste. On assassine pour réaliser la justice en ce monde, ou pour le détruire parce qu’il est injuste. Pendant des siècles au contraire les stoïciens ont concouru à la bonne marche de l’administration de l’empire, chacun jouant son rôle là où le destin l’avait placé. Sans espérance.

© Jean-Michel Muglioni et Mezetulle,  2008

Cet article a une suite, publiée le 1er avril 08 :
Pourquoi s'attaquer aux stoïciens ?
Voir les autres articles du même auteur.

Notes
1 - Instrument de torture.
2 -  Athènes
3 - Marc Aurèle, Pensées pour moi-même, IV 23, traduction Emile Bréhier, Les stoïciens, Pléiade.
4 - Ibid. IV, 48
5 - Laissez toute espérance, vous qui entrez !


Annexe. Rappelons-nous deux pages célèbres:

Montaigne, Essais, III, Chapitre X, De ménager sa volonté.

La plupart de nos vacations sont farcesques. « Le monde entier joue la comédie (Pétrone) ». Il faut jouer dûment notre rôle, mais comme rôle d’un personnage emprunté. Du masque et de l’apparence il ne faut pas faire une essence réelle, ni de l’étranger le propre. Nous ne savons pas distinguer la peau de la chemise. C’est assez de s’enfariner le visage, sans s’enfariner la poitrine. J’en vois qui se transforment et se transsubtantient en autant de nouvelles figures et de nouveaux êtres qu’ils entreprennent de charges, et qui se prélatent jusques au foie et aux intestins, et entraînent leur office jusques en leur garde-robe. Je ne puis leur apprendre à distinguer les bonnetades qui les regardent de celles qui regardent leur commission ou leur suite, ou leur mule. « Ils s’abandonnent tellement à la fortune qu’ils en oublient jusqu’à la nature » (Quinte-Curce). Ils enflent et grossissent leur âme et leur discours naturel à la hauteur de leur siège magistral. Le Maire et Montaigne ont toujours été deux, d’une séparation bien claire. Pour être avocat ou financier, il n’en faut pas méconnaître la fourbe qu’il y a en de telles vacations. Un honnête homme n’est pas comptable du vice ou sottise de son métier, et ne doit pourtant en refuser l’exercice ; c’est l’usage de son pays, et il y a du profit. Il faut vivre le monde et s’en prévaloir [= en tirer avantage] tel qu’on le trouve. Mais le jugement d’un Empereur doit être au-dessus de son empire, et le voir et considérer comme accident étranger ; et lui, doit savoir jouir de soi à part et se communiquer comme Jacques et Pierre, au moins à soi-même.


Montesquieu Considérations sur les causes de la grandeur des romains et de leur décadence.
XVI, De l’état de l’empire, depuis Antonin jusqu’à Probus.

Dans ces temps-là, la secte des stoïciens s’étendait et s’accréditait dans l’empire. Il semblait que la nature humaine eût fait un effort pour produire d’elle-même cette secte admirable, qui était comme ces plantes que la terre fait naître dans des lieux que le ciel n’a jamais vu.
Les Romains lui durent leurs meilleurs empereurs. Rien n’est capable de faire oublier le premier Antonin, que Marc-Aurèle qu’il adopta. On sent, en soi-même, un plaisir secret lorsqu’on parle de cet empereur ; on ne peut lire sa vie sans une espèce d’attendrissement : tel est l’effet qu’elle produit, qu’on a meilleure opinion de soi-même, parce qu’on a meilleure opinion des hommes.

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commentaires

C
Puisque l'un des participants au débat a fait référence à mon travail, je me permets de signaler que j'ai en effet publié deux livres sur ces questions (Traité du désespoir et de la béatitude, PUF, 1984, Le bonheur, désespérément, éd. Pleins Feux, 2000, rééd. Librio), et un article sur la même question dans le stoïcisme ("La volonté contre l'espérance : à propos des stoïciens)", dans mon livre Une éducation philosophique, PUF, 1989, p. 189 à 218. Pour le reste, il est vrai que, sans être épicurien, je me sens plus proche d'Epicure que des stoïciens. Pourquoi ? Parce que le stoïcisme suppose un ordre du monde, ordre à la fois finalisé et providentiel, par quoi le stoïcisme reste une religion. Cela dit c'est aussi, Jean-Michel Muglioni a raison, l'ukne des plus grandes écoles philosophiques de tous les temps, qui est aussi une école de courage et de volonté. C'est le paradoxe du stoïcisme : leur fatalisme débouche sur une philosophie de l'action.
J
<br /> Réponse de Jean-Michel Muglioni reçue par Mezetulle. A signaler également, sur la question du cosmopolitisme stoïcien et antique en général, l’article de J.-M Muglioni « La découverte<br /> cosmopolitique de l’universel » dans Le<br /> Philosophoire n° 31 (printemps 2009).<br /> *****************<br /> <br /> La remarque : le stoïcisme suppose un ordre du monde, ordre à la fois finalisé et providentiel, par quoi le stoïcisme reste une religion me suggère la réflexion suivante – dont on<br /> voudra bien excuser la brièveté.<br /> <br /> Toute doctrine de la finalité est-elle religieuse, et en quel sens y a-t-il quelque chose de religieux dans le stoïcisme ?<br /> <br /> Ne pas comprendre que le sens puisse surgir du hasard et donc admettre la finalité, est-ce « religieux » ? Car qui comprendra que le hasard puisse faire sortir d’une urne les lettres<br /> qui composent les vers de l’Enéide ou même seulement son premier vers ? Il y a là une question théorique assez difficile. Tout se réduit-il à une combinaison de particules ?<br /> <br /> Il est vrai que la doctrine stoïcienne de la providence et de la finalité externe va jusqu’à attribuer aux puces la fonction de nous réveiller d’un sommeil trop long, et que la reprise stoïcienne<br /> des croyances populaires donne une grande importance à l’astrologie. Mais ne s’agissait-il pas aussi de mettre en œuvre une méthode allégorique pour sauver la religion populaire, et exprimer ainsi<br /> la vérité du paganisme ?<br /> <br /> Selon une remarque profonde de Bréhier, dans son Chrysippe, la critique rationaliste des sophistes rejette toute notion « naturelle » des dieux : les croyances religieuses<br /> ne sont que convention, les dieux sont des fictions et finalement il n’y a de religion que de la cité. Si une telle critique sociologique peut justifier une politique traditionaliste qui nous<br /> enferme dans une communauté, au contraire le dieu du rationalisme stoïcien est l’âme du cosmos : il est cosmopolitique et non communautaire. Marc Aurèle ne confond pas Rome et le monde.<br /> <br /> Le lien divin de l’homme au monde fonde le lien humain : s’élever par la cosmologie à la pensée du tout, c’est devenir citoyen du monde. La raison, en tant qu’elle est capable de comprendre la<br /> rationalité du monde, signifie d’abord la parenté et même la parité de l’homme et du divin, d’où il résulte qu’étant semblables au dieu, les hommes sont entre eux des semblables. Tel est le<br /> fondement de l’unité du genre humain et de la caritas humani generi, amour du genre humain. Cicéron disait que la religio relie, et, nous le voyons, d’un lien universel.<br /> <br /> Il y a donc religion et religion, et l’on retrouvera quelque chose de l’idée stoïcienne dans la religion positiviste de l’humanité. Par exemple encore, le monde a une âme, qu’on peut appeler Zeus,<br /> et l’âme du sage en est une parcelle qui s’y confondra à nouveau à sa mort : il n’y a pas de salut personnel. Si religion il y a, elle est strictement philosophique. Et soutenant que le cours<br /> du monde s’achève par une conflagration universelle et recommence identique à lui-même cette cosmologie finaliste signifie qu’il n’y a pas d’au-delà. Le consentement stoïcien à la rationalité et à<br /> la beauté du monde est certes le contraire du oui nietzschéen à la cruauté et au tragique de la vie.<br /> <br /> <br />
M
La crédulité est un vice, comme disposition à juger selon ses désirs plutôt que sa raison. Mais la foi est la disposition à juger que ce que l'on sait devoir faire est possible, malgré les apparences du contraire. Ne peut-on pas distinguer de même deux façons opposées d'espérer ?  L'espoir que refuse le stoïcien consiste à s'imaginer le monde selon ses désirs plutôt que sa raison. Il conduit au désespoir, car l'avenir n'est jamais comme on se l'imagine, donc au refus du monde. Mais celui qui se résout à faire ce que la raison demande, celui qui reste à son poste, est aussi porté à espérer : comment entreprendre une action difficile sans penser que le monde s'y prête, contre les apparences ? Le fou est poussé à agir parce qu'il espère, le sage espère parce qu'il est résolu à agir. Comment par exemple enseigner quelque chose à un élève si l'on n'a pas espoir qu'il comprendra ? Une telle espérance ne déçoit pas, car elle n'est suspendue à aucun événement particulier. C'est une confiance globale dans le monde, que le paganisme de Marc Aurèle exprime fort bien. La volonté de remplir la fonction que le cours des choses nous assigne a-t-elle un sens sans cette téléologie morale ? Si tout est hasard ou nécessité, comment comprendre l'idée de "fonction" ? De même parler de beauté du monde serait alors problématique. Ne peut-on pas ainsi sauver l'espérance avec les deux autres grandes vertus chrétiennes, comme le tente Alain dans plusieurs de ses propos ?
J
<br /> Réponse de Jean-Michel Muglioni, reçue par Mezetulle.<br /> ************<br /> Ce commentaire est fort juste. Son auteur sait qu’Alain prolonge l’idée kantienne de foi rationnelle ou raisonnable, mais je ne veux pas développer ce point.<br /> Qu’il me soit permis de soutenir que le stoïcien est plus rigoureux que le chrétien : il entreprend une action difficile sans penser que le monde s'y prête, et contre les apparences mêmes.<br /> La physique stoïcienne est une téléologie morale panthéiste : la nature est animée par un principe divin qui lui est immanent, ce qui signifie que le monde est tel qu’il doit être et s’accorde<br /> donc avec l’exigence morale. Mais il s’agit du monde comme totalité. Car que ce qui arrive de contraire à nos désirs les plus justifiés soit un moment nécessaire de la vie du Grand Tout, nous ne le<br /> savons qu’en général : nous ignorons comment les événements singuliers s’inscrivent dans l’ordre universel. Qu’il y ait ainsi finalité et non pas seulement nécessité est un dogme et non une<br /> espérance. Le bonheur du sage dépend de sa compréhension de la beauté du monde, c’est-à-dire à la philosophie, mais non d’une foi. N’est- ce pas fort loin du souci chrétien du salut<br /> personnel ? La béatitude des saints suppose un autre monde, dont le sage stoïcien n’a pas besoin, et c’est là peut-être sa plus grande force : sa philosophie est l’expression de la<br /> moralité dans sa pureté, sans même l’espérance que sauve Alain.<br /> Si le vrai sens du finalisme des stoïciens est strictement philosophique, il n’empêche que la formulation : « le sage espère parce qu'il est résolu à agir » – il faut ajouter le sage<br /> chrétien – est juste. Il y a moins de différence entre le chrétien et le stoïcien qu’entre le chrétien dont la foi prolonge la certitude morale et celui dont la certitude morale se réduit à la<br /> crainte de l’enfer ou qui croit que sans la toute puissance divine, la moralité serait sans fondement. Le philosophe qui sauve les vertus que sont l’espérance, la foi et la charité n’était donc pas<br /> visé par mon papier polémique contre les politiques qui font de la superstition un moyen de gouvernement et de la transcendance un argument électoral.<br /> <br /> <br />
L
Voici un commentaire bien tardif, mais je suis néophyte et je découvre ce blog de haute volée philosophique."Vivons sans espérer": c'est aussi la leçon d'André Comte-Sponville, qui lui est plutôt épicurien. J'accepterais volontiers cette sagesse comme point de départ. Mais le point de vue épicurien me paraît finalement un peu... désespérant (c'est-à-dire qu'il mène à l'absurde, à l'"à quoi bon?", j'exprime et détaille mes réactions à la philosophie d'André Comte-Sponville dans mon blog), et le point de vue stoïcien trop religieux et pas assez trogique.Il a ceux qui se fondent sur l'ordre (nécessité), dont la vision est plutôt religieuse, et ceux qui se fondent sur le désordre (hasard), dont la vision est tragique. Serait-il possible de trouver une attitude conciliant les inconciliables, sans que l'un des deux termes prenne le pas sur l'autre?
M
<br /> Merci pour votre contribution.<br /> Vous trouverez peut-être de quoi faire votre miel en lisant les échanges ci-dessus, et aussi en allant voir l'autre article de J.M. Muglioni relatif au sujet "Pourquoi s'attaquer aux Stoïciens ?"<br /> (lien dans le commentaire précédent n° 6)<br /> <br /> <br />
M
Je me permets de signaler aux lecteurs que J.-M. Muglioni vient de donner une suite à cet article avec un texte d'éclaircissement sur le stoïcisme. Certaines questions posées ici peuvent éventuellement y trouver une réponse.Voir l'article <br /> Pourquoi s'attaquer aux stoïciens ? sur ce blog.
B
Je vous remercie de votre réponse que je viens de lire. En fait, à part les lectures, je n'ai fait philo qu'au lycée et je ne suis que thésard... en mathématiques. Donc merci de votre réponse qui m'apprend beaucoup. Elle soulève bien des questions mais ce n'est pas la place ici comme vous le signalez. Sincèrement
J
On a le sentiment que l'on en reste toujours à un jugement sur des attitudes ou plus exactement sur le valeur de certaines valeurs ( Acception du monde versus Espérance). L'espérance chrétienne ne dispense pas du rapport au réel tel qu'il est. Mais le point de discussion n'est pas là. Il y a une philosophie moderne qui, au moins depuis Nietzsche, ne cesse de poser la question de la valeur des valeurs. Etienne Gilson le dit clairement dans le Réalisme méthodique", nous devons refuser de nous laisser aller sur ce terrain. Il s'agit pour nous, à la fois catholique et philosophe, de revenir sur la question de l'être, de l'être qui préexiste à la pensée humaine et ne résulte pas d'elle, à la façon géniale mais fausse de Descartes. Parlons de l'être et non de la valeur de telle ou telle attitude. D'ailleurs saint Paul,nous le dit : au-dessus, de l'espérance chrétienne, il y a la charité sans laquelle l'espérance ne vaut rien. Ramener la discussion sur l'être et la charité, voilà qui nous ramène au coeur de ce réel dont votre très bon article suggère que nous voulons lui échapper.Jean François Rémond
J
De la part de Jean-Michel Muglioni, une réponse aux commentaires précédents. ******** Mon propos - vivre sans espérer- rappelait que les stoïciens - depuis la constitution de l’empire d’Alexandre au IV° siècle av. JC. jusqu’à la chute de l’empire romain - remplirent autant qu’il leur fut possible leur fonction politique ou publique, plus que les philosophes des autres écoles antiques, excepté les sceptiques : or ils professaient une doctrine excluant outre la transcendance, toute croyance en l’au-delà. Je pourrais ajouter : ils furent hommes d’action en vertu de cette doctrine. C’était un propos polémique qui voulait seulement montrer quel degré d’inculture il faut pour opposer l’espoir de l’au-delà aux philosophies de l’histoire, elles-mêmes tenues pour responsables des massacres des derniers siècles, quel degré d’inculture il faut pour faire comme si toute religion était une religion de l’au-delà. D’autant que c’est nier que le paganisme soit une religion, et enlever à la plus grande part de l’humanité le droit de considérer sa religion comme une religion. Les deux commentaires du blog Démocrite n’ont pas porté sur mon propos mais sur l’interprétation de l’histoire de la philosophie et sur la question du tragique. Les lecteurs de Mezetulle pourront donc en tirer cette leçon qu’ils ne doivent se fier qu’aux textes mêmes des philosophes, puisque ceux qui les évoquent, comme mes contradicteurs et moi-même, en ont chacun une interprétation radicalement différente. Ceux-ci ont en effet immédiatement senti que j’avais une idée de la philosophie et de son histoire fort différente de la leur. De son côté l’intervention de Jean François Rémond oblige à juste titre à poser  d’abord la question du rapport des valeurs et de l’être. Lecteurs, lisez donc vous-mêmes Marc Aurèle et n’attribuez à un auteur quelconque que ce que votre propre lecture littérale permet de lui attribuer. Je dirai seulement que je n’ai jamais pu considérer que la philosophie était idéologique de Socrate à Nietzsche, qui le premier nous sortirait de l’illusion. Et je l’avoue, je ne vois pas ce que peut vouloir dire d’un point de vue nietzschéen la notion d’idéologie. Mais il est important que tout le monde sache qu’il n’y a pas une interprétation obligée des textes – pourvu que chacun justifie ce qu’il en dit à partir de leur lettre. C’est pourquoi je n’accuse pas mes contradicteurs d’être prisonniers d’une idéologie quelconque mais signale seulement que ces questions relèvent d’un débat théorique qui ne peut trouver place (stricto sensu) dans un simple blog.
D
  Merci pour votre réponse et merci à Catherine Kintzler pour la publication de ces échanges passionnants. Réduire Nietzsche à une forme de réactivité contextuelle (pur produit de l'époque) me paraît fort peu convaincant et singulièrement caricatural, cette "réaction désespérée d'un esprit...soumis à la pression insupportable ...de son temps" ! Pour minorer une pensée, il suffit de la contextualiser, en en faisant le symptôme d'une époque (fin du 19è siècle) passée ; argument reposant d'une part sur une "psychologisation intempestive" de l'auteur du Gai savoir et d'autre part sur une forme implicite d'historicisme réactif (hegelien ?)  puisque Nietzsche ne serait que le penseur de son temps, le penseur d'un moment donc un penseur évidemment dépassé ! Outre que cet argument puisse être appliqué à n'importe quel philosophe et en l'espèce, au stoïcisme naissant dans un contexte d'effondrement des empires, je vois dans cette rhétorique un moyen de se débarrasser de l'effort nietzschéen d'exhumation de la sagesse tragique des antésocratiques, c'est-à-dire, en réalité, un refus manifeste du tragique. Nietzsche raisonne en grec, mais en grec d'avant Socrate et Platon qui se sont chargés de nier la béance et l'irréductibilité du réel grâce à la représentation. Les stoïciens se sont engouffrés dans cette veine tout comme l'occident chrétien qui s'est empressé de cultiver la fascination pour l'autre monde, le monde de la transcendance divine et de l'au-delà mais aussi le monde bien sécurisant de l'ordre et de la nécessité universelle pour les penseurs du Portique. Si la forme change, le contenu repose sur le même déni. On comprend pourquoi les idéologies se nourrissent les unes des autres. L'antichrétien a besoin du chrétien pour fonder son ordre, mais toutes les idéologies se rejoignent en un point : l'affirmation de l'ordre et de la nécessité et le refus du hasard, c'est-à-dire du tragique. Voir les analyses fulgurantes de Clément Rosset dans La logique du pire.Le tragique n'a rien à voir avec la représentation ! Pascal l'a d'ailleurs bien compris lui qui est pris de vertige et d'effroi devant le réel. Mais Pascal comble la faille dans le délire extatique, en ce 23 novembre 1654 quand il jette sur un papier (Mémorial) sa terreur froide qui le convertira définitivement au Christianisme. Il a senti le réel et l'impuissance de la raison mais, face à l'irreprésentable, s'est jeté dans la foi, dans la nécessité du Sauveur qui referme l'intuition et la recouvre définitivement.Le renversement fort commun de toute idéologie (dont le stoïcisme) est de faire croire que le réel est saisissable et qu'il  suffirait de renverser la représentation. Ainsi, le tour serait joué et il n'y aurait qu'à créer l'adéquate pensée, celle qui colle au réel et le saisit dans son intimité retrouvée, celle qui recoud la faille ! Tel est le délire de la raison et de l'ordre, telle est la folie de la conscience abstraite, tel est le refus inavoué de la création et de la mort ! Quoi de plus sécurisant que le délire du fou, c'est-à-dire sa représentation ! La fonction du délire est d'abord et avant tout d'éviter l'effondrement psychique (tout comme d'ailleurs la fonction du langage et sa rationalité supposée), dernier rempart contre l'irruption du réel qu'aucune représentation ne peut contenir ni circonscrire. La cohérence formelle et rationnelle de tout délire n'est plus à démontrer."Tu perds ton fils qui est mort à la guerre, ne te lamente pas, accepte l'ordre des choses, telle une divinité". Que quelqu'un vienne vous voir et tienne ce discours sérieusement alors que vous venez de perdre un fils ou une fille, qu'en penserez-vous ? Cet homme est fou et son discours dans sa totale rationalité se brise lui-même sur le roc de sa certitude car son discours est inhumain et dé-réalisé. C'est le discours fermé du psychotique, clos sur lui-même, emmuré dans sa nécessité interne. Pour le stoïcien, le deuil n'a pas de dimension psychique, la relation à l'autre n'implique aucune forme d'investissement, ni aucun corps  ; il est un pur acte de raison, à l'image de la nécessité universelle. La comédie du stoïcisme nous explique Nietzsche est dans cette feinte de l'indifférence. Le sage n'aurait pas de pulsion, pas de chair, a-t-il seulement un corps qui éprouve, vit, désire et se situe sur le grand échiquier des motivations et des préférences ? Que fait-il du plaisir et de la sensation ? L'ataraxie stoïcienne est dans cette adéquation de la représentation et du réel dédoublé. Mais quoi de plus sécurisant que de dédoubler le réel (comme tout délirant d'ailleurs) sur le mode d'une exemplaire et universelle rationalité. Et c'est là la faille du stoïcisme ! C'est là aussi "l'imposture" qui fait irruption dans le discours et prétend saisir l'être ou l'essence dans une adéquation dont la perfection normative ne peut que laisser perplexe. Réduire la souffrance à sa seule représentation c'est oublier la part sombre de l'homme, les forces de destruction de l'organisme et sa vitalité cachée. C'est nier le caractère irreprésentable de la souffrance et de la mort, c'est rejeter aux oubliettes "la branloire pérenne" (Montaigne) si encombrante dans son insaisissable vacuité. Certes, Epicure reprend aussi cette argumentation notamment en ce qui concerne le rapport à la mort et aux dieux mais sur un socle radicalement distinct, socle qui présuppose la reconnaissance du tragique et non sa négation, c'est-à-dire du réel (impermanent, mobile et hasardeux). Pas de morale ou d'éthique épicurienne sans cette physique de la matérialité passagère et du vide, de la précarité de l'ordre et du vivant : rien ne demeure. Calquer son existence sur la nécessité présuppose que la représentation puisse être à l'image du réel (ordonné, stable et intelligible), belle stratégie pour réfuter le hasard qui fait la destruction et parfois la créativité de la nature.Le clinamen ne vise pas seulement à sauver la liberté et à faire tenir debout le système de Démocrite. Il ne s'agit pas d'une astuce pour combler un manque théorique. Le clinamen peut se comprendre comme la transposition du tourbillon démocritéen (dans un souci de transmission des thèses atomistiques), transposition du Tout de la nature, ce "il y a" dont parle Marcel Conche, à l'atome comme élémentaire condition du Tout. Voilà qui ruine d'emblée la certitude causale et la possibilité de la vérité ["La vérité est dans l'abîme" Démocrite](voir les analyses de Marcel Conche sur  la métaphysique du hasard chez Démocrite et les fragments recencés par Dumont) ["Cause et effet, insensés que nous sommes" dira Nietzsche]. C'est là une différence majeure avec le stoïcisme. Nulle finalité en effet et je vous rejoins évidemment sur ce plan mais aussi et surtout reconnaissance du hasard, de l'irreprésentable, de la béance originelle qui marquent à la fois la finitude humaine, son irréductible impuissance et son essentielle pauvreté. Et c'est de cette reconnaissance que peut naître sans doute une sagesse véritablement humaine et pas seulement théorique ou délirante.Vivons sans espérer, oui, mais sans illusion.
D
Merci pour cet article  éclairant :  cependant où voyez-vous ce monde et cette nature réglée, cette implacable nécessité universelle qui telle un destin se déploie sans faillir ? Où trouvez-vous cette belle et heureuse rationalité de la nature ? Si un tel monde était  manifeste, nous serions tous stoiciens. Aussi renoncer à l'espoir pour le remplacer par la nécessité universelle implique de la même façon un acte de foi, la foi en une immanence réglée, en un ordre définitif, séduisant certes, mais exprimant d'abord et avant tout le refus du tragique, le refus du hasard et le refus de l'homme vivant.  Et sur ce plan, rien ne sépare le stoicisme du christianisme (la sympathie de nombreux chrétiens pour le stoicisme n'est d'ailleurs pas étonnante, puisqu'on remplace une idole par une autre, l'immanence n'étant pas en soi un argument critique).  Et quoi de plus sécurisant que l'ordre, à commencer par l'ordre du cosmos ou de la nature.  Le besoin irrépressible d'ordre et de sens est de nature religieuse faisait remarquer Freud. A bien y regarder, ce désir d'ordre ne dissimulerait-il pas une secrète espérance et à creuser davantage, comme le fait Nietzsche, une vaste comédie qui cherche à "imposer à la nature la tyrannie de l'esprit "? Il n'y a plus, avec les stoiciens, qu'à  "espérer" que cette nécessité soit belle et bien le réel.Relisons Lucrèce pour lequel, l'ordre n'est qu'un cas particulier du désordre et dans ce cas, plus d'acte de foi, plus d'espérance . Alors, le "pari stoicien" (c'est-à-dire son implicite religieux) et le besoin de sens s'effacent au profit d'une sagesse authentiquement tragique, possiblement humaine car dé-sespérée, comme l'est le réel.
J
Réponse de Jean-Michel Muglioni. N.B. On pourra se référer bien sûr aussi au blog de Démocrite qui a publié un article sur le texte de J.M. Muglioni. J’accorde que le stoïcisme est fondamentalement un refus du tragique, mais je n’accorde pas que ce soit un refus de la vie : c’est un refus délibéré de penser que la vie est tragique. Le tragique ne vient pas de la vie mais de ce qu’en font les fous ; il est uniquement dans les représentations et pour cette raison convient au théâtre. Quel est l’unique fondement du stoïcisme ? L’affirmation théorique selon laquelle le tragique de l’événement ne tient pas à l’événement mais au jugement que nous portons sur lui. Cette question théorique reste à débattre, certes, et il n’est pas sûr que sur ce point épicuriens et stoïciens soient très éloignés les uns de autres. Je dirai seulement ici qu’il appartient à l’essence du christianisme de penser la vie comme tragique : Hegel ne s’y est pas mépris. Nietzsche est comme toujours prisonnier de ce qu’il combat. Je dis « question théorique » et non psychologique, comme le veulent Freud ou Nietzsche. L’écriture de Nietzsche peut être interprétée comme la réaction désespérée d’un esprit exigeant soumis à la pression insupportable qu’exerçaient l’idéologie et la religion en effet épouvantables de son temps. Mais c’est sans doute une faute philosophique majeure sur le plan théorique que de réduire l’exigence religieuse à de la psychologie et à l’incapacité d’assumer le tragique de l’existence. D’autant plus que la philosophie a justement poursuivi et accompli la tragédie grecque, qui, comme le montre particulièrement les Euménides, est faite pour conjurer le tragique de la vie telle qu’il procède non pas de la nature des choses mais de nos erreurs et de nos illusions. La foi n’est pas davantage un pari : c’est au libertin que Pascal propose un pari, et sa rhétorique est contestable. Où l’on voit qu’une simple remarque engage l’interprétation de toute la tradition philosophique et le sens même de la rationalité. Mais qui s’étonnera qu’entre deux analyses philosophiques il puisse y avoir une opposition radicale sur l’idée même de la pensée et de la tradition philosophique ? Marc Aurèle chargea Hérode Atticus d’organiser à Athènes l’enseignement philosophique : il accorda à chacune des sectes platonicienne, péripatéticienne, stoïcienne et épicurienne une allocation égale. L’exemple stoïcien m’a paru mieux convenir à mon propos polémique sur le rapport de la politique et de la religion entendue comme religion de la transcendance, que l’épicurien, même si je suis prêt à accorder que le refus épicurien de la politique est la vraie sagesse. Mais les stoïciens ont fait leur travail de politiques et de fonctionnaires partout où les circonstances - le destin - le leur imposaient. Ils n’allaient pas du haut d’un promontoire regarder avec douceur le spectacle de la bêtise humaine. Et il ne me semble pas qu’il faille opposer le hasard épicurien à la nécessité stoïcienne, puisqu’après tout le monde d’atomes qui s’entrechoquent n’est que nécessité, mais à la finalité. Et en effet il y a là une opposition irréductible, une antinomie philosophique essentielle (non pas hasard ou nécessité, mais hasard ou finalité). Il serait aussi vain d’accuser par principe la téléologie d’être une foi gratuite, qui cache une crainte de la vie, que de vouloir que le matérialisme soit immoral. D’autant que le clinamen n’est pas seulement par hasard resté dans l’histoire de la philosophie comme l’exemple d’un coup de pouce rendu nécessaire pour faire marcher un système sans cela impossible. Mais j’admire la sagesse épicurienne et même la rigueur théorique du matérialisme antique, qui nous garantit lui aussi contre les philosophies de l’histoire et de l’espérance. Il serait absurde de lui faire à la manière de Nietzsche un procès en ascétisme ou en incapacité de supporter le tragique de la vie sous prétexte qu’en effet les épicuriens vivaient de peu et n’eurent pas part aux honneurs et aux richesses contrairement à certains stoïciens : Sénèque renvoie souvent Lucilius à la sagesse d’Epicure.
B
Juste un petit détail, on évoque beaucoup l'empereur-philosophe Marc Aurèle. Mais est-ce que sa rigueur morale -réelle- en fait un bon politique? Il est permis d'en douter vu la plupart de ses décisions politiques comme l'investiture de son fils. Il me semble discerner dans la citation de Montesquieu le rêve platonicien selon lequel seul les philosophes peuvent et doivent diriger la Cité. Enfin, il ne faut pas oublier la très forte tonalité religieuse des philosophies antiques (cf la thèse en cours de Vesperini).
J
Jean-Michel Muglioni m'envoie sa réponse :Merci de me donner l’occasion de mieux m’expliquerLa religion antique est d'abord une religion de la cité. Il n'y est pas question d'espérance et de transcendance au sens que le christianisme donnera à ces termes, introduisant une nouvelle idée de la religion, qui est d'abord apparue comme un facteur de dissolution de l'empire et l’a été réellement. Cet aspect du christianisme est analysé avec une certaine sévérité par Rousseau dans l’avant dernier chapitre du Contrat social - qui est très difficile. La page que j’ai citée de Montesquieu est elle-même assez polémique : elle vise l'idée chrétienne qu'il faut une révélation et une régénération pour que la nature humaine soit capable de quelque vrai bien. On sait que l’Eglise n’appréciait guère l’auteur de L’esprit des lois : elle ne s’est pas trompée sur la puissance subversive d’un tel rationalisme politique.Il y a dans le stoïcisme une certaine religiosité et les quelques lignes de Marc Aurèle que j'ai citées ont été choisies justement pour montrer qu’il peut y avoir à la fois religiosité et refus de l’espérance. Ce serait une erreur de « christianiser » cette « tonalité religieuse » des sagesses antiques. Ce contre sens est certes appelé par l’usage, parfois remarquable, que les chrétiens ont fait des philosophes antiques. Mais Pascal écrivant « Platon, pour disposer au christianisme », ou les pères de l’Eglise reprenant la théodicée stoïcienne en dénaturent sciemment le sens. De même le Phédon de Platon a été très souvent interprété comme prouvant l’immortalité de l’âme au sens chrétien de cette expression, ce qui me paraît plus que discutable.Nous avons une seule fois dans l'histoire un exemple d'empereur philosophe. Mais en quel sens ? Ce qu'admirent Montesquieu et Montaigne en lui, c'est qu'il ait pu demeurer philosophe malgré le pouvoir : que le pouvoir ne l'ait pas rendu fou. Ils admirent moins sa politique que sa sagesse. Et si Marc Aurèle n'a été ni un saint, ni un politique capable d’inverser la décadence romaine (la succession de Commode était parfaitement connue et de Montaigne et de Montesquieu), il a réellement su ne pas « césariser » (VI 30). L’histoire telle qu’elle est faite aujourd’hui appelle parfois objectivité le ressentiment à l'égard de ce qu’autrefois on considérait comme de grands hommes. C’est ainsi que Hugo est remis à sa place et Napoléon III justifié.Il faut relire la pensée IX 29 où Marc Aurèle se dit à lui-même qu’il ne doit pas espérer la République de Platon, et Montesquieu le savait, qui lui non plus n’espérait rien de tel. Mais Platon lui-même a-t-il jamais proposé comme un programme politique une cité, qui, il le fait dire plusieurs fois à Socrate, n’existe qu’en paroles ? On peut lire là-dessus une colère de Kant contre l’interprétation commune de la République comme d’une chimère absurde, dans la Critique de la raison pure (AK III 246 A 313 B 370). Certes, Kant n’est pas Platon, mais il nous invite à relire les textes dans un esprit réellement philosophique.Autre exemple : Platon dit qu’une cité ne peut être bien gouvernée si parviennent au pouvoir ceux qui l’ont désiré avec le plus d’acharnement. Le philosophe platonicien (Platon considère que Socrate a été philosophe, mais il ne se dit jamais philosophe) se reconnaît à son refus du pouvoir. Et dès lors il est possible de comprendre que Platon ne rêve pas, mais nous montre pourquoi la politique est ce qu’elle est et sera toujours ce qu’elle est : rien n’est moins utopique, rien n’est plus « réaliste » que l’analyse platonicienne des passions humaines et particulièrement de la passion du pouvoir.

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