La musique comme fiction et comme monde
par Catherine Kintzler (en ligne 6 déc. 2005)
article publié par la revue électronique Demeter (version intégrale en ligne et en PDF)
Résumé :
« Manières de créer des sons » – oui, il y en a sans doute une infinité – mais créer des sons, c’est toujours mettre en place un dispositif d’écoute qui laisse quelque part un parasite, pour que les mondes musicaux s’enlèvent sur l’univers audible et qu’apparaisse une partition. La problématique du bruit et du son n’est donc pas impertinente, et il n’y a rien d’étonnant à ce qu’elle continue à alimenter les commentaires souvent malveillants qui accompagnent à toutes les époques les musiques nouvellement constituées. C’est pourquoi le moment constituant du musical est toujours le plus intéressant, et aussi le plus périlleux. Le moment constituant est celui où le monde musical est le plus près de s’abîmer dans l’univers du hors-musical auquel il s’arrache : il se tient au plus près du parasite, au bord du gouffre de ce qui doit malgré tout lui manquer. La différence entre la « soupe » et la musique est, semble-t-il, liée à la capacité de la musique à se faire entendre comme étant à la fois menacée et dynamisée par son moment constituant, à ne jamais se faire entendre dans l’oubli de celui-ci et dans le confort du constitué. Aussi, nombre de musiciens ont-ils tenté de regarder en face les soleils du hors-musical, de se pencher sur l’abîme d’un tout musical où la musique vient s’abolir. Créer des sons, c’est donc au moins faire douter de la musique, ce n’est qu’à cette condition qu’on peut en être sûr – la certitude de la musique, comme celle des idées vraies est de celles qui demandent à être établies et non à être imposées. La « haine de la musique » se justifie par la tentation impérieuse de la totalité musicale. Aussi une musique qui comble l’oreille est-elle aussi assourdissante qu’un « coup de sifflet ».
Voir sur ce blog l'article "Se rincer l'oreille" sur la musique acousmatique.