21 octobre 1970 3 21 /10 /octobre /1970 09:32

Histoires de dette 
par Jean-Michel Muglioni

En ligne le 21 juillet 2011 [vous pouvez retrouver cet article sur le nouveau site Mezetulle.fr]


Les propos des économistes accrédités dans les médias et dans l'entourage des politiques au sujet de la dette grecque ont inspiré à Jean-Michel Muglioni une « sainte colère ». Le fonctionnement qu'il dénonce n'est que trop vrai, il mérite qu'on s'en indigne, et qu'on songe à s'en défendre. Pourquoi les banques prêtent-elles à des débiteurs qu'elles savent incapables de rembourser ? Parce qu'elles savent aussi que « nous devrons tous, salariés et pensionnés, remettre de l'argent dans leurs caisses, selon l'usage ».

Lecteur, je te demande de bien vouloir excuser le ton de ce propos : il faut que je me remette, sans autre violence que celle des mots, d’une colère contre moi-même qui m’a pris quelque temps après avoir entendu parler à la radio un de nos penseurs politico-médiatiques patentés. Il y avait quelque chose de séduisant dans le ton modéré de ce brave homme qui, parlant de la dette grecque et de l’absence de politique européenne, du « manque absolu de volonté politique dans la zone Euro », nous prévenait que si la Grèce fait faillite, quelques banques françaises et allemandes la suivraient et que nous nous trouverions devant une crise financière comparable à celle qui a exigé il y a deux ans que les Etats, c’est-à-dire les contribuables, renflouent les caisses des spéculateurs. Mon modéré faisait appel à la solidarité européenne (ce qui m’a plu) mais il mettait sur le même plan que cette nécessité la responsabilité des Grecs, qui ont trop emprunté et qui, disait-il, n’y étaient pas contraints. Eh bien je suis furieux de n’avoir pas jeté mon poste par la fenêtre à ce moment-là et d’avoir implicitement approuvé.

Les Américains qui ont emprunté pour se loger, il y a quelques années, et qui n’ont pu honorer leurs traites, n’étaient sans doute pas contraints de le faire. Mais les banques qui leur ont donné de l’argent elles aussi étaient-elles contraintes de le faire ? Les banques françaises et allemandes qui ont accordé tant d’emprunts aux Grecs l’ont-elles fait sous la menace ? Oui, les particuliers qui s’endettent sont responsables de leur choix ! Mais les prêteurs, eux, sont coupables. On me dit que les emprunteurs étaient corrompus ? Mais qui l’ignorait, et qui ignore dans les affaires particulières que le ménage pauvre qui s’endette pour un écran plat n’a pas de quoi payer ni même parfois de quoi comprendre ce qui lui arrive ? Les banques n’avaient pas à donner de l’argent aux gouvernements grecs, et si leurs dirigeants ignoraient que la Grèce ne pouvaient rembourser, il faut les révoquer. L'Europe se comporte avec les Grecs comme Shylock. On prête pour pouvoir ensuite disposer de l'endetté et lui découper une livre de chair. Après cela il est aisé aux riches de traiter les plus pauvres de cochons! Mais il faut être riche pour savoir emprunter sans se ruiner. Quand nos banques françaises et allemandes vont s'écrouler parce que la Grèce ne pourra pas payer (sa dette s'accroît chaque jour), nous devrons tous, salariés et pensionnés d'Europe, remettre de l'argent dans les caisses des bandits. Selon l'usage.

La Grèce, il y a environ 30 ans, ne proposait pas dans ses épiceries les mêmes denrées que nos supermarchés ; depuis son insertion dans la zone Eeuro, du cercle polaire, en Finlande, à la Crète, le voyageur n’est plus dépaysé. Belle unification de l’Europe ! Il fallait que le marché européen s’accroisse de quelques consommateurs. Les Grecs furent séduits par cette abondance, et la corruption fut bienvenue, qui permettait à ceux d’entre eux dont le salaire officiel était insuffisant, de consommer comme les autres Européens : n’était-ce pas justice ? Comme leur Etat ne peut plus rembourser le crédit qui lui a été octroyé par les banques allemandes, françaises, etc., l’Europe les contraint à brader les entreprises publiques et à en licencier le personnel, pour trouver des fonds : on vend les services publics pour nourrir les usuriers du Nord. Qu’ainsi le pays ne puisse plus fonctionner et que la récession qui en résulte inévitablement coûte plus cher que la dette, peu importe, pourvu que ces rapaces s’enrichissent.

Je ne n’ai aucune compétence pour parler d’économie. Mais un ignorant rirait de la physique si les techniques qu’elle permet de mettre en œuvre échouaient à peu près toutes. Aussi peut-on douter du sérieux de la science économique, du moins de celle dont les politiques et les médias nous abreuvent. Quelques vérités élémentaires sont pourtant à la portée du profane. Le surendettement, qu’il touche les particuliers ou les Etats, est un jeu qui se joue au moins à deux : la famille qui emprunte jusqu’à s’étrangler parce qu’elle est dans la misère ou parce qu’elle ne résiste pas aux séductions du marché, et les banques qui lui prêtent ce qu’elle réclame. Le marché est fait pour que les plus pauvres se ruinent : chacun est submergé de publicités de banques ou d’officines de crédit lui proposant de l’argent en apparence gratuit qu’il faut une certaine vertu ou une certaine compétence pour refuser. Quand les argentiers du Nord traitent de porcs les pays du Sud, quand l’Allemagne qu’on dit riche donne des leçons aux pays méditerranéens, veut-on que les Latins repartent en guerre contre les barbares ?

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© Jean-Michel Muglioni et Mezetulle, 2011

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