CAPES : inquiétante raréfaction des candidats
par Marian Balastre (1)
Même en cette période de fort chômage, les candidats au métier de professeur se raréfient considérablement. Et parmi ceux qui se présentent, beaucoup ne sont pas au niveau du concours. Pourtant, n'est-ce pas la planque idéale pour intellos fainéants avec sécurité d'emploi, à l'abri de toute tracasserie, de toute violence, sans aucun stress, exerçant une autorité indiscutée sur les collégiens et lycéens, et pas si mal payée que ça vu les vacances et les 18h de travail hebdo (mais que font-ils le reste du temps ?).
Marian Balastre commente des chiffres inquiétants. Le jury du CAPES de Lettres Classiques lui-même s'alarme et a l'audace d'avancer une idée très étonnante : ce métier ne jouit d'aucune considération. Vraiment, vous croyez, après tant de réformes, de rénovations et d'innovations pédagogiques destinées à plonger le monde scolaire (pardon, il fallait écrire : le système éducatif) dans le bonheur ?
Cette année encore, les jurys n'ont pas pourvu tous les postes offerts, très certainement à cause du niveau insuffisant des candidats et de leur raréfaction. Ces deux phénomènes étant liés à la baisse du niveau scolaire des élèves, elle-même causée par la destruction de l'enseignement des contenus disciplinaires depuis plusieurs décennies.
Jusqu'en 2010, tous les postes offerts étaient pourvus. En 2011, 4 055 postes ont été pourvus sur 4 881, au CAPES externe.
Au CAPES externe de lettres modernes en 2012, la troisième section du concours la plus importante, 681 postes ont été pourvus sur 733. En LC, 75 postes seulement ont été pourvus sur 170 (en 2011, 77 admis) ! En anglais, le jury n'a pas recruté plus de 659 certifiés sur 790 postes à pourvoir. En allemand, 184 sur 230. Le plus grand écart numérique se réitère en mathématiques, dont le jury n'a pris que 652 admis sur les 950 postes offerts (en 2011, 574 pour 950).
Cette dernière discipline présente une évolution particulièrement symptomatique : en 1999, pour 945 postes, 7332 candidats venaient passer les épreuves; en 2012, pour un nombre presque égal de postes (950), il y avait seulement 1285 candidats présents aux épreuves. Où vont les étudiants en mathématiques, s'ils ne viennent plus au CAPES ? On peut se douter, sans même faire de recherche, qu'ils vont dans les filières de l’ingénierie, et globalement des entreprises privées qui monnaient sans doute mieux que le statut de professeur le travail intellectuel que représente l'expertise scientifique, et qui propose un emploi sérieux en comparaison de la garderie éducative à laquelle on affecte ceux qui se destinaient à être professeurs.
Alors que partout on prétendait que la baisse du nombre de candidats aux CAPES externes entre 2010 et 2011 (de 22 074 à 12 491) était liée à la mastérisation, les nouveaux candidats devant passer une année universitaire de plus pour accéder au concours (BAC + 5), le niveau du nombre des candidats présents aux épreuves du concours ne s'est pas vraiment rétabli, puisque de 2011 à 2012, il est passé de 12 491 à 12 940... une augmentation dérisoire qui dément totalement l'hypothèse d'une baisse uniquement due à la mise en place du calendrier de la mastérisation, et qui aurait donc dû être enrayée en 2012 (nous aurions dû même assister à une remontée importante puisqu'au nombre de candidats qui n'ont pas pu se présenter en 2011, s'ajoutait celui des nouveaux candidats en âge de passer le concours, on pouvait donc s'attendre à plus de 22 000 candidats en 2012). Au contraire, la mastérisation a manifestement accentué la raréfaction, ou la "fuite des cerveaux" vers d'autres débouchés et l'abandon de la filière enseignante. Pour rappel, il y avait, en 2004, 37 538 candidats présents au CAPES externe, ce qui constitue à peu près une division par trois du vivier en 8 ans seulement, alors même que le nombre d'élèves du secondaire augmente à cause du "baby-boom" des années 2000.
Cette situation est le résultat global et significatif de plusieurs dégradations de l'institution :
- Elle n'est plus attrayante socialement, être professeur n'étant plus un métier prestigieux, ni bien rémunéré.
- Les candidats eux-mêmes n'ont plus, soit le niveau, soit l'attrait pour la transmission d'une discipline académique; en échange, l'idéologie pédagogiste de la gestion éducative des compétences des élèves, qui se développe actuellement pour pallier la ruine du modèle transmissif, n'attire évidemment pas les "cerveaux", les étudiants cultivés et ambitieux intellectuellement.
- Les conditions de travail des enseignants, notamment des jeunes professeurs, sont, de notoriété publique, très difficiles : affectations dans des établissements ZEP, agrégés affectés en collège, jeunes lauréats ne trouvant pas de poste fixe pendant des années mais devant rester remplaçant, un barème de mutation fondé sur la situation personnelle et non le niveau du concours et des diplômes du professeur (un professeur, qui, mastérisation mise à part, possède un master 1, 2, ou un doctorat, par rapport aux autres professeurs qui n'ont que la licence et le CAPES, c'est à dire le niveau minimal, n'a aucun avantage d'affectation ou de salaire par rapport aux autres).
- Phénomène symbolique, les normaliens, qui autrefois, passaient le CAPES dont ils étaient dispensés des épreuves écrites, sont aujourd'hui très rétifs à passer même l'agrégation, à moins d'être certains, une fois admis, d'échapper au secondaire, enfer dans lequel ils ne voudraient tomber pour rien au monde, préférant évidemment le statut, par exemple, d'ATER à l'université, et ce même s'il est, en général, bien moins rémunéré que le traitement normal d'un professeur du secondaire. Une grande partie des normaliens devenus des intellectuels reconnus avait commencé sa carrière, voire l'avait terminée, dans l'enseignement secondaire : Bergson, le philosophe Alain, Julien Gracq, etc. Ce cas de figure, qui assurait culturellement le lien républicain entre le sommet de la méritocratie (l'ENS), et l'enseignement de base du secondaire, est désormais révolu.
Extraits intéressants du rapport de jury du CAPES externe de Lettres classiques de 2011 :
Premier paradoxe : alors que le nombre des postes mis au concours du CAPES ne cesse d’augmenter (185 contre 170 l’an dernier), le nombre des candidats inscrits ne cesse de diminuer, et dans des proportions considérables (297 contre 384 l’an dernier). Encore plus inquiétant : sur 297 inscrits, seuls 111 ont finalement composé, soit un peu plus de 37% des inscrits – c’est-à-dire que plus de 60% des inscrits ont renoncé à venir passer les épreuves du concours auquel ils se destinaient.[...] Pourquoi ces abandons catastrophiques ? Un président ne peut prétendre fournir toutes les explications possibles et définitives. Mais un président universitaire n’a pas à chercher bien loin quelques causes des plus évidentes : la série des réformes, mal accueillies par la communauté universitaire, on s’en souvient, qui ont touché le Master, le calendrier des concours et la formation des maîtres.[...]Plus généralement, dans la société française de 2011, mener à bien une vocation d’enseignant est fort méritoire, quand on voit ce que sont la condition économique des enseignants, les difficultés rencontrées dans la pratique de leur métier et le peu de considération qui s’attache à leur fonction. De telles remarques concernent tout citoyen et ont trait à l’organisation de la vie de la cité – ce que Platon et Aristote appelaient du beau mot de politique.[...]Nous avons besoin et nous aurons besoin de professeurs de Lettres classiques, quelle que soit leur répartition entre les académies et à l’intérieur des académies. Dans une société où l’image remplace la réalité, où l’émotion remplace la raison, où l’affirmation péremptoire, la publicité ou les astuces de la communication remplacent l’argumentation, où la mauvaise foi, le mensonge, voire le bourrage de crâne triomphants remplacent la réflexion et l’exercice de l’esprit critique, les cultures antique et classique offrent des richesses incommensurables pour la formation d’esprits libres ; outre sa beauté, la littérature antique transmet une expérience historique qu’il ne faut pas perdre – ce que les premiers humanistes européens appelaient bonae litterae ou litterae humaniores. [...]Enfin, à vue humaine, il ne faut pas espérer qu’un enseignant du second degré gagne autant qu’un trader ou soit aussi considéré qu’un ingénieur ou qu’un cadre commercial ! Et pourtant, vieux professeur qui aura aimé passionnément son métier dans le second degré et dans le supérieur, j’encourage les jeunes intellectuels qui se sentent un don, une vocation même, à se lancer, malgré les présentes difficultés, dans cette voie.
Beau panégyrique du métier de professeur, avec le succès qu'on peut lire dans le statistiques de 2012... (encore moins d'admis en LC en 2012 qu'en 2011, malgré le rétablissement annoncé du nombre de candidats).
© Marian Balastre, 2012
1 - Professeur agrégé de lettres modernes, membre du comité de l'Association des Professeurs de Lettres.
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