Bloc-notes nouveauté sur Mezetulle
L'école hors d'elle
La finalité de l’école est l’instruction : tel est le point de départ du nouvel article de Jean-Michel Muglioni Instruire d'abord ! Que se produit-il quand cette finalité cesse d’être le principe de l’école? Quelles conséquences nécessaires résultent du seul fait que cette finalité se trouve subordonnée à d’autres ? L'examen de ces questions permet de voir ce qu’est l’école, c’est-à-dire ce qu’elle a toujours été là où il y a des maîtres ou des professeurs ayant la volonté d’instruire. Et pourtant, elle l’a rarement été parce que, depuis fort longtemps, on renvoie l'école à son extérieur : on la met hors d'elle.
Extraits de l'article :
« La pédagogie n’est pas une affaire de psychologie ou de sociologie ; elle ne relève pas d’une science ; elle est la morale de l’enseignement, l’éthique ou la déontologie du professeur : ne pas s’en prendre à celui qui ne sait pas encore ou qui va moins vite que les autres - ou plus vite. La relation du maître à l’élève est une relation humaine au sens le plus fort du terme, c’est-à-dire entre deux esprits. Je m’oppose au pédagogisme pour sauver la pédagogie qu’il rend prisonnière du jeu des passions : je veux la sauver d’une psychologisation qui transforme le savoir en moyen « d’interagir », comme on dit, c’est-à-dire en pouvoir. »
[...]
« Une exigence morale dans son fond - libérer l’homme - appelle une politique de l’école, une politique d’instruction publique : il faut choisir entre la contrainte du milieu, origine des motivations, et un ordre d'artifices et de contraintes qui se revendique comme tel, à savoir l’institution scolaire : la fonction institutionnelle de l’école est de délivrer l’homme de la société. Entre subordonner l’école à la société - donc la détruire -, et instituer une véritable école, il faut choisir. »
Lire l'article de Jean-Michel Muglioni Instruire d'abord ! sur ce blog.
Annexe
J'ai reçu ce texte de Tristan Béal. Plus qu'un commentaire, c'est une réflexion liée au titre de cet article avec un exemple édifiant. J'en remercie vivement l'auteur.
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Tristan Béal 17 juin 2013
L'école hors d'elle, madame Kintzler, quelle belle expression !
L'école hors d'elle, c'est l'école qui n'est plus chez elle, qui n'est plus qu'un double d'elle-même, un double impuissant, presque schizophrène, une école où l'on éprouve des difficultés à partager une interprétation de la réalité scolaire avec les autres, avec à la clé des comportements et des discours bizarres, parfois délirants.
En effet, cette expression me fait penser à ce que m'a raconté une amie institutrice au sujet du dernier conseil des maîtres qui s'est tenu dans son école (anecdote qui pourrait valoir aussi bien pour mon école que pour toutes celles de France). C'était fin avril et il leur fallait décider pour quels élèves ses collègues et elle pensaient qu'il serait opportun de redoubler leur année afin de prévenir administrativement les familles et leur donner le temps (quinze jours) d'accepter ou de refuser cette leur proposition. Chacun fut donc amené à se prononcer. Le discours de la plupart des collègues était le suivant : Cet(te) élève gagnerait certainement à refaire son année vu ses lacunes, mais je doute que la famille accepte ce conseil, et je ne me vois pas aller jusqu'à la commission de redoublement au risque de n'être pas soutenu(e) dans ma décision. Pour d'autres, l'impossibilité tenait à leur niveau de classe : normalement ne peut demander le redoublement qu'un(e) maître(sse) enseignant en fin de cycle, c'est-à-dire en CE 1 et CM 2. Partant, rares ils furent à se montrer suffisamment courageux et conséquents : ils pensaient que tel élève devait redoubler mais ils s'interdisaient de l'affirmer. Arrive le tour d'un tout jeune professeur des écoles de CM1 ; le directeur lui demande qui il compte faire redoubler, et l'interpellé de répondre avec bon sens : Mais je ne peux, je ne suis pas en fin de cycle, bien que j'aie des candidats potentiels. Le directeur, derechef, lui repose la même question. Et le collègue campe ferme sur sa première réponse sensée : A quoi bon me le demander puisque cela m'est interdit ?
La voilà l'école hors d'elle, c'est l'école de ce que Orwell, dans 1984, appelait la double pensée : « En pleine conscience et avec une absolue bonne foi, émettre des mensonges soigneusement agencés. Retenir simultanément deux opinions qui s’annulent alors qu’on les sait contradictoires et croire à toutes deux. Employer la logique contre la logique. (...) Oublier tout ce qu’il est nécessaire d’oublier, puis le rappeler à sa mémoire quand on en a besoin, pour l’oublier plus rapidement encore. Surtout, appliquer le même processus au processus lui-même. Là était l’ultime subtilité. Persuader consciemment l’inconscient, puis devenir ensuite inconscient de l’acte d’hypnose que l’on vient de perpétrer. La compréhension même du mot “double pensée” impliquait l’emploi de la double pensée ». Nous, instituteurs d'une école hors d'elle, savons ce qui est le mieux pour nos élèves, mais nous ne pouvons agir selon ce que nous pensons, et nous voilà impuissants et prêts même à nous convaincre que nous n'avons jamais pensé cela et que ce que nous tenons pour juste en même temps il nous faut le refuser. Tels Winston Smith abruti d'alcool et brisé moralement à la fin du roman, nous acceptons non pas que 2+2=5 mais qu'un élève, qui ne peut pas poursuivre sereinement sa scolarité et qui donc va souffrir, doive pourtant passer de classe en classe vaille que vaille. Que ressentirait un architecte à qui l'on dirait qu'il doit construire sa maison sur des bases qu'il sait impossibles de jouer leur rôle de fondements ?
Lire les autres textes de T. Béal publiés par Mezetulle.
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