2 janvier 1971 6 02 /01 /janvier /1971 18:15

Je veux payer des impôts !

par Jean-Michel Muglioni

En ligne le 4 mars  2014. P.S. n°2 ajouté le 6 mars à la suite d'un commentaire impubliable.

Nous sommes harcelés par le discours ambiant sur le « ras-le-bol fiscal » et le « coût du travail ». Jean-Michel Muglioni explique ici pourquoi il refuse ce consensus antirépublicain et démagogique.

 

Sommaire de l'article :

1 - Un décompte contestable des prélèvements obligatoires, charges, impôts…

2 - Un autre décompte

3 - Le travail est social

4 - Conséquences fiscales

5 - Je serais considérablement plus pauvre sans ce système de prélèvements obligatoires

6 - Ce qu’on sait des  États Unis d’Amérique
7 - L’aveu

8 - L’inégalité providentielle ?
9 - Capital social

10 - La fin du travail

P.S. La guerre

P.S.2 -  Et la dette ?

 

1 - Un décompte contestable des prélèvements obligatoires, charges, impôts…

J’ai vu un député se plaindre de ce qu’en France on travaille un jour sur deux pour l’État. Il est vrai que comptant d’un côté tous les revenus (ceux du travail et du capital) et de l’autre tous les prélèvements obligatoires (pour l'ensemble des revenus d'activité), la comptabilité nationale trouve cette proportion. Mais, pour ne prendre qu’un exemple, sont comptés aussi dans ces prélèvements obligatoires les impôts des retraités, alors que leur revenu n’est pas un revenu du travail ou du capital. Ces chiffres, comme toutes les données statistiques, n’ont aucun sens si l’on ne sait pas comment ils ont été établis. Nos politiques en font un usage rhétorique, pour impressionner l’électeur par leur caractère apparemment scientifique. Mais le sens qu’ils veulent bien leur donner révèle le fond de leur pensée.


2 - Un autre décompte des prélèvements obligatoires, charges, impôts, etc.

Dans mon exemple, sont comptées des charges qui ne portent pas sur des revenus d’activité : je pourrais accuser ce député de grossir la part de l’État ! Bien au contraire, il faut lui reprocher d’oublier tout ce que chacun paye en impôts et en charges de toute sorte : nous - j’entends nous, salariés - travaillons pour beaucoup plus d’un jour sur deux pour l’État, c’est-à-dire pour la collectivité. Mais il faut s’en réjouir au lieu de s’en plaindre.
Et en effet, un salarié paie des impôts directs et indirects, diverses charges, celles qu’il paie pour sa garde d’enfants (la part de son salaire versée directement à L’URSSAF) ; il paie, sur ce qu’il donne aux musiciens qu’il va écouter, leurs propres charges, puisqu’elles sont comprises dans le coût du spectacle ; il paie les charges liées à la société qui lui livre l’eau ou le gaz, celles qui s’ajoutent au coût des travaux qu’il fait dans sa maison, etc. Car c’est le client qui paie les charges et non le commerçant ou l’entreprise. Chacun pourra ajouter une multitude d’exemples. J’en conclus qu’il travaille plus d’un jour sur deux pour l’État, si du moins on admet la façon de parler du député. Ainsi la part de loin la plus la plus importante de l’argent gagné par un salarié part en prélèvements obligatoires, impôts et charges, etc. Mais je milite pour qu’elle soit encore plus importante. Serais-je masochiste ? [ Haut de la page ]


3 - Le travail est social

Professeur, j’ai travaillé toute ma vie pour les enfants des autres : mais qui travaille pour soi-même ? Le médecin ne se soigne lui-même que par accident, il travaille lui aussi pour les autres. Comme on l’apprend en classe de philosophie, le travail est social par nature : sa finalité n’est pas le salaire mais le bien commun. Chacun par son travail coopère à la vie de la société tout entière, et c’est la société, c’est-à-dire le travail des autres, qui lui assure de vivre humainement et non son propre travail (sinon par accident, je le répète comme dans l’exemple du médecin). Ainsi je n’ai pas construit mon immeuble, ni le métro, je n’ai pas cultivé le champ qui produit les légumes que je mange, je ne suis pour rien dans l’arrivée chez moi de l’électricité, etc. Il convient de se rappeler souvent à soi-même l’élémentaire : ma santé et ma sécurité, mes conditions matérielles d’existence, et tout ce qui me permet de m’instruire et de vivre non pas comme une bête mais comme un homme, tout cela est produit par le travail des autres, et la part apportée par mon propre travail, que je sois professeur, médecin, artisan, commerçant, ouvrier ou chef d’entreprise, est infime si je la compare à celle que je reçois du travail des autres. Auguste Comte remarquait même que la dette des vivants envers les morts s’accroît chaque jour, puisque chaque jour notre part du travail est de plus en plus petite relativement à celle des générations passées.


4 - Conséquences fiscales

Quelle conséquence tirer de la nature sociale du travail ? Il n’est pas choquant « qu’en France on travaille un jour sur deux pour l’État », mais il est choquant que les plus hauts salaires ou les plus hauts revenus contribuent au bien commun proportionnellement moins que les plus bas, c’est-à-dire qu’une trop grande part des produits de leur travail ou du capital soit réservée à leur enrichissement personnel, au détriment de la société. On le voit, le député choqué par le poids des impôts et des charges a oublié le sens du travail : il croit que le travail a pour finalité l’enrichissement personnel. S’est-il donc fait élire pour disposer d’une indemnité parlementaire ? Les ânes ont la carotte pour seul mobile. [ Haut de la page ]


5 - Je serais considérablement plus pauvre sans ce système de prélèvements obligatoires

Imaginons donc qu’un salarié reçoive son salaire sans que les charges, qui aujourd’hui lui sont liées, soient réglées par quiconque ; supprimons les charges salariales ou patronales (distinction nominale et non réelle, qui ne change rien à la nature du problème posé par le rapport des salaires ou des revenus avec les prélèvements obligatoires). Rêvons qu’il n’y ait plus de cotisation obligatoire pour la sécurité sociale, ni pour la retraite ; mieux, réduisons ou supprimons l’impôt sur le revenu. Qu’en résulte-t-il ? Ce salarié se réjouira peut-être un instant à la lecture de sa feuille de paie : mais il lui faudra payer le médecin, l’hôpital, l’école ou l’université pour ses enfants, le trottoir devant chez lui, la route qui le mène à son travail, l’éclairage urbain, la police, etc. La liste pourrait prendre quelques pages. Peut-être alors lui-même et son patron regretteront-ils le temps des charges et des impôts. Ce rêve est un cauchemar.


6 - Ce qu’on sait des  États Unis d’Amérique

On sait que les prélèvements obligatoires aux  États-Unis sont plus faibles qu'en France : l’américain travaille donc beaucoup moins d’un jour sur deux pour l’État. Mais la part de ces prélèvements dévolue aux dépenses de l'État (État étant cette fois entendu en un sens plus restrictif) représente la même proportion qu’en France. Ces prélèvements, en effet, ne financent pas les dépenses de santé, de retraite, les allocations familiales, etc., de sorte que chacun doit s’assurer lui-même et cotiser pour sa retraite. Et si l'on compte les dépenses des ménages américains dans les assurances santé, plan de retraite et charities (dons pour des associations qui viennent en aide à des personnes démunies et remplissent le rôle que l'État joue en France), on arrive à des montants très importants qui sont là aussi de l'ordre de la moitié des revenus d'activité. Mais, contrairement à ce qui se passe en France, où pourtant il y a de graves inégalités en matière de santé, il en résulte que la répartition de la qualité des soins est extrêmement injuste, puisqu’elle dépend de la répartition des taux de salaires. Si donc un professeur français devenait citoyen américain et devait payer sur son salaire l’école de ses enfants, une assurance sociale privée, une caisse de retraite privée, bref tout ce qu’en France il ne paie pas lui-même et voit prélevé automatiquement et obligatoirement, serait-il plus riche ? Il faudrait pour cela qu’il dispose d’un salaire supérieur non pas seulement à son salaire français net, mais supérieur à son salaire brut augmenté des charges patronales. [ Haut de la page ]


7 - L’aveu

Si maintenant on m’objecte que l’argent public ne sert pas le bien commun, je veux bien le croire : il faut donc en faire un autre usage et non pas nous raconter que payer moins d’impôts et de charges guérirait le mal, ou qu’il y a trop de charges en France pour les entreprises. Si l’on prétend baisser les charges pour baisser le coût du travail et gagner en compétitivité, qu’au moins on ne mente pas : qu’on l’avoue, on refuse que la collectivité prenne en charge la santé publique, la retraite, etc. ; qu’on l’avoue, on veut baisser les salaires. Je ne doute pas que même en France, impôts et charges finiront par baisser, mais au profit de qui ? Qui paiera le médecin, l’hôpital, l’école, etc. ? Ceux qui le pourront. Cette politique est pratiquée dans toute l’Europe sous le nom de réforme structurelle. Elle repose sur l’idée que la seule manière de faire marcher l’économie est d’appauvrir les moins riches. Dans ce domaine comme dans les autres, dire la vérité suffirait pour changer la politique.


8 - L’inégalité providentielle ?

De ces notions élémentaires peuvent se tirer quelques conclusions. L’usage qui est fait aujourd’hui de l’expression d’État-providence est rigoureusement idéologique : ce n’est plus que l’expression de l’intérêt des détenteurs des revenus du capital. L’État en effet n’est pas et n’a jamais été une providence, sinon lorsqu’un despote s’en servait pour acheter ses gardes et sa cour : car ce qu’on appelle l’État providence n’a jamais distribué que ce qu’il prélevait sur les salaires et les autres revenus (si l’on fait abstraction des entreprises nationalisées). De la même façon, les dépenses de la sécurité sociale ne sont jamais payées que par les assurés sociaux. Mais aujourd’hui, dans toute l’Europe, les politiques ne veulent plus de ces institutions sociales. Ils veulent abandonner l’économie à la providence, prise cette fois en son vrai sens, celle qui depuis toujours fait qu’il y a des misérables et des puissants : ils veulent que chacun, selon son degré de richesse ou de pauvreté, paie l’instruction de ses enfants et s’assure auprès d’assurances privées pour sa santé et pour sa vieillesse. Le fondement de la prétendue crise n’est pas économique mais politique : il est dans la représentation que les hommes ont de ce qui est le meilleur et dans la volonté qu’ils ont d’y parvenir. Ils ne veulent plus que la loi impose à tous de contribuer à la vie de la collectivité. Les peuples sont assez veules pour se laisser déposséder des conquêtes de leurs ainés. [ Haut de la page ]


9 - Capital social

J’ai parlé de l’intérêt des détenteurs des revenus du capital. Par là je ne visais pas les capitalistes en tant qu’ils possèdent ce capital. Le capital est en effet fondamentalement social : il est social en tant que tel, c’est-à-dire en tant que richesse investie permettant la marche de l’industrie et non les dépenses personnelles du capitaliste. A ce titre les capitaux privés sont collectifs, ce sont des fortunes personnelles qui servent l’intérêt général, sans que l’État ait besoin de s’en emparer. Au contraire, on le sait, là où l’on a prétendu rendre l’État propriétaire des moyens de production et mettre fin au capitalisme, les richesses se sont trouvées aux mains d’une bande de brigands incapables d’en faire un bon usage, et la fin du régime dit communiste n’y a rien changé. La question n’est donc pas de savoir qui possède les capitaux, mais ce qu’on en fait et quels impôts frappent leurs revenus. Et puisque ce que le capital rapporte à son propriétaire dépend du travail (car en dernière analyse un revenu financier qui s’accroît miraculeusement détruit le travail), de même qu’il est absurde de vouloir déposséder les riches, il est absurde de demander aux salariés de remercier « l’entreprise » pour le travail qu’elle leur donne, comme le veut le discours ambiant. Sans le travail que serait-elle ? Où l’on voit que la notion même de coût du travail est idéologique au même titre que celle d’appropriation des moyens de production. Mais on me dira que je ne suis pas économiste…


10 - La fin du travail

Quand l’opinion générale considère que la finalité du travail est l’enrichissement personnel, quand ce qu’on appelle la « valeur travail » est en réalité l’argent et que l’argent est la seule valeur, comme l’indique assez bien l’inflation du terme de valeur, qui appartient au vocabulaire de la bourse et non plus, comme chez Corneille, de la chevalerie, rien alors ne peut limiter les revenus du capital et la désocialisation des capitaux a pour conséquence la désindustrialisation du pays. Une société où les cours de la bourse sont la première des informations à la radio consacre l’hégémonie du pouvoir de l’argent et non la volonté d’entreprendre. Imaginons au contraire qu’autant de fois qu’on communique ces chiffres, on fasse savoir tout ce que les charges et les impôts paient. Qu’on apprenne à nos enfants, aux élèves et aux étudiants, quelle est la vraie nature du travail, au lieu de leur dire qu’il faut travailler pour gagner sa vie et disposer du plus d’argent possible : on n’entendrait plus la complainte des charges et la régulation de l’économie irait alors de soi. Les apôtres de l’argent se croient entourés de fainéants assistés. Je m’étonne au contraire que leur mépris du travail ne produise pas une paresse universelle, nouvelle sorte de grève générale. Il suffit d’un peu de réflexion en effet pour voir que ce qu’ils appellent valeur ne vaut rien : la paresse est plus noble que l’ardeur des ânes à courir après la carotte. Un homme libre est en droit, c’est même son devoir, de refuser d’être un mercenaire. Mais peut-être ai-je pris Diogène trop au sérieux, qui racontait que son père était faux-monnayeur, c’est-à-dire que les valeurs qu’on nous inculque sont frelatées.


 

 

P.S. La guerre
On m’objectera que la France n’est pas seule dans le monde et qu’il est nécessaire de baisser le coût du travail (c’est-à-dire les salaires, car l’accroissement de la productivité par les techniques nouvelles ne suffit pas et de toute façon procède elle-même du travail) pour remporter des marchés et rester une grande puissance. Qu’on dise donc clairement, publiquement, que la compétition économique mondialisée est une nouvelle guerre mondiale. Que le commerce mondial a pour fin le pouvoir et non pas l’échange. Que cette guerre universelle impose des sacrifices, lesquels, et pour quelle victoire, car pourquoi cette guerre s’arrêterait-elle un jour ? Quel conseil national de la résistance restaurera un jour la république ? L’Europe n’est pas la paix : cette course à la baisse des coûts du travail, c'est-à-dire des salaires, cette guerre économique y oppose tous les peuples. Il y a un siècle, les mêmes qui envoyèrent leurs fils au massacre refusaient le principe de l’impôt ; ils durent finalement l’admettre et payer la guerre. Aujourd’hui, leur doctrine économique, qui justifie la remise en cause des progrès sociaux, garantit-elle la paix ? [ Haut de la page ]


 

 

P.S. n° 2 Et la dette ? (ajouté le 6 mars 2014)

 

Mes réflexions sur le sort des salariés me valent un premier commentaire que je ne laisse pas publier. Il faudrait pour qu’un billet d’humeur soit recevable que son auteur se soit au moins donné la peine de le rédiger.


Les commentaires qui sont adressés aux journaux par internet sont très modérément modérés et témoignent généralement d’une incapacité à lire les articles auxquels ils prétendent répondre : on balaye son écran du regard au lieu de lire et de relire, on se précipite sur son clavier, parfois à des heures impossibles, au milieu d’une insomnie, et d’un clic de souris on envoie quelques caractères à des milliers de lecteurs. C’est un café du commerce mondialisé. L’avantage du vieux café du commerce est que les propos qu’on y tient ne s’adressent qu’aux présents, qui peuvent répondre, et surtout, les éclats de voix et les stupidités ne sont pas stockés pour l’éternité. Ainsi dans les entreprises, les établissements publics, entre collègues ou encore entre copropriétaires, cette précipitation à taper et à envoyer des messages a des effets dévastateurs : on s’injurie par écrit, ce qui laisse des traces, et l’on finit parfois par ne plus pouvoir se parler. Une bonne altercation entre voisins ou entre collègues peut être oubliée ; lorsqu’elle a lieu par messagerie interposée, il arrive que ce soit la guerre. La nouvelle machine, qui permet à Mezetulle de participer au débat public, a ses inconvénients, et c’est la raison pour laquelle la modération y est drastique.


Mon commentateur commence donc par m’accuser en un français douteux d’être un habile sophiste. Je cite : « Ce  Professeur? [sic] est remarquablement habile à aligner des syllogismes qui font une soupe imbuvable ». Visiblement il ne sait pas ce que signifie le terme de syllogisme : c’est le « professeur » qui le dit ! Et que signifie ici « Professeur ? » ? Est-ce une injure - car j’ai constaté que pour beaucoup, c’en était une - ou veut-on dire, par ce point d’interrogation, que j’en ai usurpé le titre ? Mais serais-je un clochard sans diplôme, je suis en droit de tenir un discours sur l’économie. Le seul argument du commentaire que je ne publie pas est que je dis (sans « modestie ») le contraire de ce que disent « les économistes sérieux » pour lesquels, je cite tout de même, « la dépense publique en France (donc le total des prélèvements que nous subissons) est de dix points plus élevée que dans la plupart des pays au niveau de développement comparable ». J’ai corrigé les fautes que la précipitation a laissé passer. Mais suis-je assez naïf pour ne pas m’être aperçu de ce désaccord, et n’est-il pas justement la raison pour laquelle j’ai proposé mes analyses ? Qui décerne en la matière un brevet de sérieux ? Chaque citoyen doit-il se ranger à l’avis des économistes décrétés on ne sait par qui ni comment « sérieux », sans examiner leurs thèses ? Et est-il vrai que les économistes sérieux sont tous d’accord sur ces questions, et sur ce chiffre ?


Il est vrai que mon article n’a pas fait état de la dette publique française dont on nous rebat les oreilles. Il est vrai aussi que certains économistes dont je ne doute pas du sérieux la jugent trop importante. Je soutiens avec d’autres économistes que les Français peuvent la supporter et même la rembourser si on le veut, et cela sans la faire payer par les salariés. Le remboursement de la dette ou son accroissement est une question politique et non économique. Les propos de même nature que ceux de mon commentateur me feraient regretter le temps où les rois refusaient de rembourser les banquiers qui leur avait prêté de l’or. Mais, sans doute par faiblesse ou inconséquence, je ne suis pas nostalgique de ces temps de violence. C’est même la raison pour laquelle je mets en garde contre le discours ambiant qui veut donner mauvaise conscience aux salariés et aux citoyens en général, afin de les faire payer : car vouloir baisser les taxes, c’est en réalité taxer, mais sans le dire. Violence sournoise que nous subissons tous de la part des « économistes sérieux » qu’on m’oppose.


Le chiffre avancé pour la dette (« de dix points plus élevée que dans la plupart des pays au niveau de développement comparable ») est faux, et quand même il serait vrai, il ne prouve rien. Car l’essentiel de ce qu’on appelle les dépenses publiques est fait des transferts aux ménages, qui permettent de financer de la dépense privée. Il se pourrait donc que le souci en apparence sérieux de la dette signifie seulement la volonté d’appauvrir les ménages : c’était ma thèse. En outre, quel économiste peut définir le bon niveau de dépense publique ? Ainsi l’économiste Laffer dit que, lorsque le taux d’imposition n’est pas très élevé et qu’on l’augmente, on augmente les recettes de l’État ; mais que, passé un certain taux d’imposition, trop d’impôt tue l’impôt. Si en effet, et c’est là son argument, on taxe toute activité à cent pour cent, les gens préfèrent mourir de faim plutôt que travailler. Mais quel est le taux d’imposition à ne pas dépasser ? L’argument ne le dit pas. Ainsi on a connu aux États Unis d’Amérique des taux supérieurs à 80 pour 100 sans ruiner le pays. C’était dans les années 1960. D’où vient qu’un tel taux est considéré aujourd’hui comme insupportable, sinon, comme je l’ai dit, d’un changement non pas dans des mécanismes économiques indépendants de la volonté comme les lois de la nature, mais d’un changement dans les esprits ?


La question que je pose est donc la suivante : est-il vrai ou non qu’aujourd’hui la politique économique consiste à baisser les charges et les impôts, ce qui n’est efficace que si elle réduit le revenu (ou le pouvoir d’achat) de tous ceux qui bénéficient des transferts publics (retraités, familles, malades, chômeurs, etc.) ? Leur appauvrissement est la condition d’efficacité de cette politique aujourd’hui admise en France par tous les partis de gouvernement. On sait déjà que cet appauvrissement est effectif là où cette politique a été mise en œuvre sans avoir jamais montré pour autant en quoi elle était efficace, sinon pour les plus riches.

 

© Jean-Michel Muglioni et Mezetulle, 2014

 

Voir les autres articles de Jean-Michel Muglioni en ligne sur Mezetulle.

Voir aussi sur des sujets voisins : Le coût du travail (J.-M. Muglioni), Suicides au travail : le tournant gestionnaire (M. Verlhac) ; La centralité du travail (E. Fuchs sur un livre de M. Verlhac).

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commentaires

B
<br /> Merci monsieur Muglioni pour cet article revigorant. En retour (on paie avec la monnaie qu'on a) : une p'tite chanson. La vidéo est un brin potache, mais quelques couplets du texte sont sans<br /> doute susceptibles de vous plaire<br /> <br /> <br /> http://www.youtube.com/watch?v=AsQ5P7zK2zU<br /> <br /> <br /> Cordialement<br />

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