16 avril 1970 4 16 /04 /avril /1970 00:04

Redeker mort ou vivant ?
raisons philosophiques d'un soutien sans réserve
par Catherine Kintzler    (en ligne le 7 octobre 2006)       Télécharger la version PDF

Mezetulle a signé la pétition lancée par Respublica "contre la barbarie, soutien sans réserve à Robert Redeker". Voici les raisons philosophiques de ce soutien sans réserve. Cela suppose qu'on réponde à l'objection du cercle : n'est-il pas paradoxal de suspendre la critique pour pouvoir défendre l'esprit critique ?

(Voir aussi le 2e article sur ce blog : La double fatwa: de l'islamo-"progressisme" comme dispositif de pensée.)


De bonnes âmes et même des esprits distingués, devant la question du soutien à apporter à Robert Redeker, aujourd’hui menacé de mort pour avoir écrit un article sur l'islam qui a déplu à certains, s’interrogent sur la portée d’un soutien « sans réserve » et reculent devant ce qu’ils considèrent comme un forçage, une sorte de chantage intellectuel. Ils soulèvent, à juste titre, un problème. Faut-il, au prétexte du soutien à un homme menacé dans sa vie et sa liberté, faire taire toute critique quant au contenu du texte qui a valu un « contrat » sur sa tête ? N’est-il pas pour le moins paradoxal de suspendre la critique pour pouvoir défendre l’esprit critique ? Il y aurait même là une suspension pour motif moral : on arrête de discuter tant que R. Redeker est sous le coup de ces menaces, ce qui revient à suspendre ce dont il se réclame précisément, la liberté d'opinion et de critique. Ce scrupule souligne une sorte de cercle dans la position du « soutien sans réserve » : faire taire la critique pour que la critique existe.

J’attire donc l’attention de ceux qui, comme moi, souscrivent à un « soutien sans réserve » : on ne peut le faire que si on s’attache à briser ce cercle. Et pour briser ce cercle, il ne suffit pas de prononcer une maxime morale « on ne tire pas sur un homme à terre », ou plutôt il faut établir que cette maxime est en l’occurrence un principe rationnel, philosophique et politique et non un bon sentiment pouvant se retourner en bâillon.
Je tenterai de le faire en trois points.


1 - Ne pas traiter un vivant comme s'il était mort

L'état de nature est effectivement une suspension de la pensée. Il est de fait aujourd’hui imposé à R. Redeker. C'est insupportable (ce sur quoi tout le monde est d'accord et qui anime tous les soutiens, qu’ils soient ou non sans réserve). On ajoutera à cela que c'est insupportable de continuer à l'exercer tout particulièrement pour s'en prendre au contenu de son discours, auquel il n'a plus accès dans les conditions où il l'a proféré. L'espace critique dont il a voulu jouir, et dont nous avons besoin pour lire son texte, est suspendu.
Or l’argument de la suspension de l’espace critique, ainsi présenté, est insuffisant. Il faut aller plus loin. Il faut aller au-delà de ce qui peut apparaître comme une rhétorique morale.
Ce qui est insupportable me semble tenir plus précisément à la question du statut des auteurs dans cet espace critique. Morts ou vivants ? ce n'est pas du tout la même chose. En effet, on ne peut se prévaloir en général de l'exclusion d'un auteur de l'espace critique vivant pour dire « suspendons la critique puisqu'il ne peut pas répondre », car à ce compte, les morts seraient au-dessus de toute critique. Il faut donc distinguer ici les morts et les vivants. C'est pour les vivants que l'argument de l'absence et de la réduction au silence vaut pleinement. Poursuivre la critique maintenant sur le contenu du texte de RR alors qu'il est tenu hors de l'espace critique vivant, c'est le traiter comme s'il était mort, c'est écrire, en positif et en négatif, son oraison funèbre en le faisant basculer dans l'espace critique que nous réservons aux morts. C'est une manière de le tuer, c’est une manière d’obéir aux fanatiques islamistes.


2 - Soutenir les musulmans laïques

La question devient alors politique : comment travailler à rétablir cet espace critique et à faire revenir Robert Redeker dans le monde vivant de la discussion ?
L'objectif est de faire cesser les menaces, de faire lever l'appel au meurtre. Or à mon avis la seule stratégie efficace, outre les soutiens sous forme de pétition, etc., c'est de favoriser une division publique et réfléchie au sein des musulmans et des personnes de culture musulmane. C'est que les musulmans laïques et de façon générale les personnes de culture musulmane attachées à la laïcité se lèvent et disent : « ça suffit, nous sommes laïques, il n'y a pas à nos yeux de délit de blasphème, la critique contre l'islam est possible, y compris sous des formes qui peuvent être perçues comme choquantes. » Je crois que cela seul est capable de faire reculer les fascistes verts partout et les islamogauchistes ici (1).
Or à la lumière de cette analyse, le schéma « je soutiens, mais il n'aurait pas dû… ; je soutiens, bien qu’il dise des âneries... » se retourne en soutien de ceux qui ne veulent pas cette division des musulmans et qui approuvent les mesures de censure et d'autocensure qui progressent un peu partout dans le monde, et en soutien du communautarisme en général. C'est pourquoi je pense que le soutien à Robert Redeker doit être « sans réserve », de même que le soutien aux caricaturistes devait être « sans réserve ». Ce « sans réserve » s'applique aussi à ce qui peut être perçu comme « âneries », et qui est précisément la mesure de l'effectivité du droit de libre opinion, c'est une condition de possibilité de l'espace critique en général, que nous devons travailler à restaurer.

Il faut souligner du reste que l'activité critique ne déclenche aucun tollé lorsqu'elle vise d'autres textes considérés comme sacrés, comme la Bible. Serai-je visée par un contrat sur ma vie si je dis que Josué est un chef de guerre féroce, que Jephté est un imbécile d’avoir promis un sacrifice à son dieu, et que le « sacrifice d’Abraham » est l’indice d’une foi aveugle qui peut devenir dangereuse ? A-t-on vu un seul gauchiste bien-pensant jouer les vertus outragées au sortir d'un film de Scorsese ? Bien au contraire, il manifestera contre l’intégrisme catholique qui veut l’interdire ! Il semble qu'il y ait là deux poids et deux mesures : devant le fascisme brun on est très ferme, mais le fascisme vert a droit à toutes les indulgences (« l'islam est la religion des pauvres »). C'est l'essence même de l'islamogauchisme : antifasciste tant que le fascisme se présente sous sa couleur brune, mais complice du fascisme vert.


3 - L'antithétique des morts et des vivants et l'espace critique

Avec la question du fascisme vert soutenu par l'islamogauchisme on retrouve l'aspect philosophique soulevé tout à l’heure : analyser le cercle « faire taire la critique pour que l'espace critique existe » mais aussi le cercle symétrique « maintenir l'espace critique au risque de s'associer à un geste meurtrier » à la lumière de la question « mort ou vivant ? » Comme je l’ai souligné, le maintien de l'espace critique pour viser le contenu du texte de Robert Redeker, tant qu'il est en état de nature, consiste à le traiter comme un mort, alors qu'il est vivant. Mais la réciproque mérite d'être examinée : car ceux qui menacent les vivants de mort pour délit d'opinion symétriquement traitent les morts qui les dérangent comme des vivants en les tuant une seconde fois, en les censurant, en brûlant leurs livres, en retirant leurs pièces de l'affiche des théâtres... Que ferions-nous si un décret extrémiste interdisait ici la diffusion des textes de Voltaire, de Bayle, de Spinoza, de Nietzsche, etc. ? Nous aurions le devoir de traiter ces auteurs morts comme s'ils étaient vivants et de soutenir tout ce qu'ils ont écrit et fait « sans réserve », davantage : nous devrions soutenir tout ce qui peut s'écrire, y compris les âneries. Nous devrions empêcher les autodafés quand bien même ils ne s’en prendraient qu’aux magazines people.

Alors ne laissons pas les fascistes verts et les islamogauchistes nous embarquer dans le brouillage de l'espace critique, et ne nous laissons pas aller à traiter avec eux les vivants comme s'ils étaient morts. Car nous serions bientôt obligés, contre eux mais comme eux, de traiter les morts comme s'ils étaient vivants: dans les deux cas ce serait leur victoire, le moment de la pensée critique serait aboli.

« Ecrasons l’infâme ! »


© Catherine Kintzler 2006

1 - Note du 23 octobre. J'ai remplacé ce terme, que je trouve trop restreint, par islamo-"progressistes" : voir le deuxième article d'analyse La double fatwa. De l'islamo-"progressisme" comme dispositif de pensée.

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commentaires

V
Pour en savoir plus vous pouvez vous procurer le livre Combattre l’obscurantisme - Avec Robert Redeker disponible en librairie depuis le 26 mars. Après s’être mobilisée dès le début de l’affaire pour soutenir le professeur de philosophie menacé de mort, la LICRA (Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme) a décidé de publier cet ouvrage, sous la direction de Patrick Gaubert, président de l’association depuis 1999.<br /> C’est un ouvrage militant, qui revient sur l’ Affaire Redeker et qui cherche a attirer l’attention sur la nécessité de défendre la liberté d’expression et rappelle l’impérieuse exigence de défendre<br /> la laïcité.<br /> La situation de Robert Redeker, et le peu de soutient qu’il a reçu du gouvernement a suscité l’indignation d’un grand nombre de philosophes, d’intellectuels, d’hommes politiques et de journalistes. Cet ouvrage réunit les interventions de nombreux d’entre<br /> eux : Laure Adler, Anny Dayan Rosenman, Alain Finkielkraut, Elisabeth de Fontenay, Liliane Kandel, Patrick Kessel, Claude Lanzmann, Abdennour Bidar, Dominique Soppo,<br /> Philippe Val, Elisabeth Badinter, François Bayrou, Jean-marie Colombani...<br /> <br /> Combattre l'obsurantisme. Avec Robert Redeker, Éditions Jacob-Duvernet, Mars 2007
C
Merci Valentin. J'ai également cité cet ouvrage (auquel j'ai participé) dans mon article sur les Soutiens à Robert Redeker, que j'actualise régulièrement.
P
Je n'adhère aucunement à ces pratiques, je vous rejoins dans le sens que nous vivons sous l'égide de la V République, dans un état laïque, et que les autorités religieuses quelque fut leur obédience, n'ont pas à régler les affaires de l'Etat. La liberté d'expression est un droit acquis depuis 1789, cependant mettre de l'huile sur le feu pour mettre de l'huile sur le feu me semble fortement déplacé en ces temps où règne la méconnaissance de l'Autre. Je suis pour la liberté d'expression mais quand celle-ci s'exprime dans le plus profond respect, une critique surtout venant d'un grand penseur ne doit pas se résumer à une attaque profonde blessante et mal placée.<br /> J'espère m' être un peu mieux fais comprendre.
C
Merci pour cette précision. Le problème est en fait de savoir si la liberté d'expression se limite à dire ce que l'autre trouve admissible... dans ce cas je ne vois pas bien en quoi elle est encore une liberté, s'il faut qu'elle demeure dans le consensuel. Dans un Etat de droit, je dois pouvoir lire, voir et entendre des choses qui me déplaisent ou que je trouve blessantes : car je peux aussi répondre en usant de la même liberté. Or ici nous avons exactement le contraire : Redeker n'a commis aucun délit, il n'a enfreint aucune loi, il n'a en rien abusé de la liberté (car la liberté d'expression est clairement encadrée par la loi et à ma connaissance aucune plainte n'a été déposée contre son texte) et la "réponse" qu'il obtient n'est autre qu'une condamnation à mort... Où est le "respect" ici ?Les seules limites de la liberté d'expression sont celles qui sont expressément définies par la loi : la liberté et les droits en général ne s'apprécient pas sur les cas ordinaires (sur lesquels tout le monde est d'accord) mais précisément sur les cas extrêmes et  que certains peuvent trouver déplaisants.
P
Je ne suis pas d'accord avec le terme de "fatwa", il ne faut pas à mon sens galvauder des mots si importants et plein de sens. A mon bon souvenir la dernière fatwa a été émise par l'ayatollah Khomeiny il y à de celà plus de vingt ans, fatwa que tous musulmans sunnites ou chiites doit respecter. <br /> Devant la méconnaissance du monde arabe et du monde islamique dans nos si beaux pays démocratiques et laïques, il me semble indispensable de ne pas mélanger les termes, l'arabe islamiste et  terroriste ne se trouve pas à chaque coin de rue le couteau entre les dents.... n'en déplaira à certains.<br />  
C
1° Sur l'usage du terme "fatwa", je m'en explique dans le second article (en particulier la note 2) que vous n'avez peut-être pas lu. Le mot est passé dans la langue française et dans cet usage courant désigne une décision exorbitante au droit commun, à motif religieux ou à origne religieuse. A ma connaissance, les religieux n'ont pas le monopole du "bon usage".2° Vous écrivez tranquillement que "tous les musulmans sunnites ou chiites" devaient respecter une fatwa (cette fois prise au sens technique que vous privilégiez) émise par Khomeiny. On peut comprendre par là qu'un décret religieux (y compris s'il s'agit d'un appel au meurtre) est au-dessus des lois de la République française : or c'est exactement ce que je dénonce dans mes articles.Certes, votre commentaire ne justifie pas explicitement et directement l'appel au meurtre... mais...  Mais rien dans votre propos n'indique clairement au lecteur que vous vous bornez à décrire quelque chose sans y adhérer.
L
Bonjour,<br /> Si je puis me permettre un autre point de vue :<br /> http://bboeton.wordpress.com/2006/11/02/pour-robert-redeker-et-contre-sa-vision/<br />  <br /> Bien cordialement<br /> L'Abrincate
C
Plus que d'esprit critique, ne s'agit-il pas d'esprit d'examen, de valorisation de la connaissance, et de rejet de la censure et de l'auto-censure ?
C
La source de la phrase souvent citée de Voltaire se trouve dans l'article "Homme" des Questions sur l'Encyclopédie, et non dans l'article "Esprit".<br /> Avec mes excuses pour cette erreur.
L
alors déplaçons le débat, qui doit avoir lieu .... Dégageons nous du cas particulier qui doit être traité comme il se doit dans une société de droit ...je trouve la même dose de haine chez certains "laïcistes" ( le "iste" étant tout à fait volontaire ... ) que chez tous les intégristes cathos, protestants, juifs ou musulmans ... et la haine pour ce qui n'est pas de la "secte" me semble l'un des points communs de tous les intégrismes ...Combattre la notion de religion est essentiel, combattre les "croyants" sur le mode de la haine est une erreur criminelle ... puisque celà améne à les conforter dans l'enfermement dans leur ghetto intérieur ... et empêche tout cheminement d'évolution/ émancipation ...Je me refuse à transiger avec les religieux, mais débattre avec des croyants oui ... encore faut il ne pas rendre tout débat impossible de part et d'autre ... et la pratique de l'amalgame me rappelle des choses bien sordides et nauséeuses ...Attendez vous à des déchainements de mails pour cette expression de fachisme vert ... ( j'ai donné en son temps à propos du réseau voltaire ... ) mais oui, la république islamique d'Iran présente toutes les carctéristiques d'un régime Fachiste ...9a ne veut pas dire pour autant que je partage l'envie de bon nombre de rééditer l'erreur irakienne ... les peuples sont assez grands pour s'émanciper eux mêmes ... et jouer avec la notion de guerre pour la démocratie est totalement contre productif, puisque celà améne certains à des choix impossibles ... et l'immense majorité à des réflexes nationalistes ...Alors poursuivons cette critique salutaire des religions, et interrogeons nous sur notre pratique de l'athéisme et de la laïcité  ... Par exemple au regard de l'amérique latine , ou parfois deux églises s'opposent ... parceque les années 60-70 ont permis l'apparition d'une église progressiste ... qui est encore vecteur d'émancipation ... interrogeons nous ....Il parait que je défends la religion ... pas les intégrismes , même libre penseurs ... je le confesse :o))
C
Mezetulle est laïque et non pas "laïciste"  (cf article Laïcité et philosophie en téléchargement sur ce blog).Du reste, la notion d'"intégrisme laïque" est en elle-même contradictoire : un "intégrisme laïque" consiste à prétendre que ce qui est requis dans l'espace producteur du droit  - lequel comprend l'école publique  - (absolue réserve en matière de position de croyance ou d'incroyance) doit aussi s'appliquer à l'ensemble de l'espace civil : ça voudrait dire par ex.  qu'on doit s'abstenir de toute manifestation relative à la croyance dans la rue. Ce qui est liberticide et contradictoire puisque la laïcité consiste, en suspendant la croyance et l'incroyance dans l'espace producteur du droit, à assurer celles-ci et à les protéger dans l'espace civil. Mais certains ne reculent pas devant la contradiction : c'est, comme vous le faites justement remarquer, une attitude de clerc, tout simplement... J'ai en ce moment un livre sous presse (Vrin éditeur) sur la laïcité où cette question est, entre autres, expressément abordée. Mezetulle ne manquera pas de faire de la pub au moment de sa parution! ;-)
C
<br /> Constitution de 1958 :<br />  <br /> Article 1 [1]. -<br />  <br /> <br /> "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée."<br /> Le "respect" figure bien dans la Constitution.<br /> Le texte entier de la Constitution est accessible sur le site du Conseil Constitutionnel : http://www.conseil-constitutionnel.fr   <br /> <br /> <br />  <br /> <br />
C
Merci pour la référence. Raison de plus pour ne pas "toiletter" les articles 1 et 2 de la loi de 1905 qui mettent les pendules à l'heure exacte en précisant le sens de ce "respect" !:-)
A
Bonjour,Si je convaincu par les conclusion de votre article, je souhaiterais toutefois faire une remarque sur un point particulier : vous appelez - et à bon droit - à une "intervention" des musulmans modérés (ou "laïques") dans ce débat public pour dénoncer cette situation ; ceci dit, si l'on s'en tient à la lettre de la tribune de Mr Redecker, une telle intervention est par définition impossible, puisqu'on ne peut, d'après lui, être à la fois musulman et non-violent.Il a même récemment déclaré à la "Dépêche du midi" que ces évènements confirmait ses idées - et s'il a pu le déclarer dans un journal, cela ne voudrait-il pas dire qu'il n'est pas absolument (je veux dire complètement) exclu du débat public ? (Ce n'est pas de ma part une question rhétorique, mais une véritable interrogation).Cordialement,AM
C
Déjà de nombreux musulmans laïques et de nombreuses personnes de culture musulmane attachées à la laïcité ont pris position pour soutenir RR. Comme je le dis dans mon article, le soutien "sans réserve" suppose que je défende le droit de dire aussi des choses qui me déplaisent, suppose que la critique et l'opinion puissent précisément aller au-delà de ce sur quoi on est d'accord d'avance.. Je ne vois pas en quoi les musulmans seraient plus bêtes que d'autres et seraient incapables d'affronter par voie argumentée ce qui leur déplaît, ce qu'ils trouvent déplacé, faux, abusif ou inepte et incapables de défendre la liberté de le dire... Daniel Barenboïm a écrit un superbe article fondé sur cette thèse (entre autres) dans Le Monde daté du 5 octobre, "Insulte à l'intelligence des musulmans", page 19, (c'est au sujet de l'autocensure récente de l'Opéra de Berlin qui a retiré de l'affiche une mise en scène de l'Idoménée de Mozart). J'en cite trois passages :"En nous censurant nous-mêmes sur le plan artistique par peur de choquer un groupe particulier d'individus, nous ne nous contentons pas de restreindre la pensée humaine en général, nous insultons de fait l'intelligence d'un grand nombre de musulmans en les privant de la possibilité de démontrer leur maturité intellectuelle." [...]"Céder à la peur n'apaisera pas les fondamentalistes, qui de toute façon n'ont aucune intention de s'apaiser, et n'aidera en rien les musulmans éclairés qui ont pour objectif le progrès et le dialogue. " [...]"Peut-être que le monde musulman aurait besoin de l'équivalent moderne d'un Spinoza, capable d'exprimer la nature profonde de l'islam de la même façon que Spinoza a exprimé l'essence de la pensée judéo-chrétienne, c'est-à-dire en restant extérieur à elle, voire en la niant.":-)
C
La solution me semble être la position de Voltaire face à Helvétius (Questions sur l'encyclopédie, art. Esprit), trop souvent déformée en "Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire".<br /> La liberté d'expression doit valoir pour tous, et pour tous les sujets, sinon ce n'est plus une liberté, mais un simple privilège.<br /> La difficulté vient de ce qu'on considère comme normal de s'abstenir de critiquer fondamenalement le Coran, et plus généralement les textes "sacrés" ; en accordant le droit à la croyance en Dieu de ne pas être contredite dans l'espace public, on sort de la rationalité.<br /> Cet armistice est évidemment au profit des croyances ; les athées sont les grands absents du débat ; en assimilant la contradiction portée à la foi à une discrimination ou une diffamation envers les croyants, la loi protège désormais les faibles d'esprit contre les esprits forts. La Constitution impose un "respect" des croyances qui va au delà de la neutralité laïque.<br /> Nous payons les conséquences de l'oukaz de Sartre "le racisme n'est pas une opinon, c'est un délit" ; l'historien Jules Isaac, au moins aussi compétent que Poulou, tenait pour l'opinion. La loi Gayssot (adoptée sous la pression de Carpentras), puis la loi anti-homophobie (décidée à cause de l'affaire Nouchet), ont renforcé la dérive et mené à une situation où il serait hélas "logique" de réprimer l'islamophobie.
C
Je ne suis pas certaine que la Constitution parle de "respect" des religions en tant que telles. En tout cas, la loi de 1905 de Séparation des églises et de l'Etat parle de "liberté de conscience" et non de "liberté religieuse" : ce choix judicieux de vocabulaire inclut bien entendu l'incroyance et l'athéisme. Sur la question de l'incroyance comme pierre de touche de cette liberté, je suis tout à fait d'accord avec vous.Maintenant, il faut avoir une idée nette de la distinction entre offense, diffamation, injure, discrimination d'une part et opinion de l'autre. Le racisme est un délit, non pas parce qu'il serait une simple opinion, mais parce qu'il segmente l'humanité a priori et s'en prend à une partie des hommes en raison de ce qu'ils sont (et qu'ils n'ont pas choisi d'être), de même pour le sexisme. C'est un acte, de même qu'un appel au meurtre est un acte. Je laisse aux spécialistes du langage le soin de disserter sur le performatif, mais il y a des moments où "dire c'est faire"... et c'est à ce titre que la loi détermine les "abus de la liberté d'expression", quand la personne d'autrui est directement lésée.Et comme toute loi, elle est bien entendu exploitée et surexploitée comme on le voit aujourd'hui où tout propos finit par être suspecté de racisme, d'homophobie, de harcèlement sexuel, etc. Les procès d'intention ont toujours existé, ils prennent aujourd'hui la forme du politiquement correct. Il appartient à la loi et à la jurisprudence d'être explicite et de restreindre son application à la lettre, à une stricte matérialité, à un "corps du délit" constitué et caractérisé.Enfin une autre question est de savoir si, au nom de la répression de ces abus, la loi a le droit de dire ce qui est vrai et ce qui est faux, de dicter aux historiens et aux philosophes la bien-pensance.

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