20 août 1970 4 20 /08 /août /1970 18:26
L'éducation par l'instruction
par Jean-Michel Muglioni

En ligne le 25 juin 2009

Instruire exige d’abord une discipline, sans laquelle l’esprit accaparé par les passions n’est pas libre d’apprendre. Remplacer la discipline par la pédagogie, c’est organiser le désordre puisque c’est tenir la classe par le jeu des passions et des intérêts de l’élève. Un maître rigoureux pourrait-il échapper aux tribunaux dans une société qui refuse la discipline pour ses enfants ? Resterait pour retrouver un semblant d’ordre à inventer une éducation civique pour l’école maternelle : une société qui a renoncé à l’instruction ne peut en effet se maintenir que par la prédication. Le rapport d’Alain-Gérard Slama montre que nous en sommes arrivés là.

Sommaire de l'article
1 - La direction de l'esprit
2 - La discipline, contrainte libératrice
3 - Ecouter est difficile : l’entraînement
4 - Automatisme
5 - Suivre et non croire
6 - L’illusion pédagogique
7 - L’organisation du désordre
8 - La république des esprits


1 - La direction de l’esprit
Il n’y a pas d’instruction sans discipline, parce qu’il n’y a pas d’attention sans discipline, et que sans l’attention l’esprit ne peut même pas voir ce qu’il a devant lui. Apprendre est premièrement une affaire de direction de l’esprit. La difficulté d’apprendre pour l’enfant ne tient ni à la nature du savoir, ni à l’insuffisance de ses facultés intellectuelles, mais à l’orientation de son esprit. Deux hommes ayant les mêmes capacités visuelles ne voient pas les mêmes choses s’ils ne regardent pas dans la même direction et ce qui pour l’un est évident demeure invisible à l’autre.

2 - La discipline, contrainte libératrice
L’attention est d’abord négative : elle consiste à s’abstraire de tout ce qui détourne de voir l’objet à connaître. Il est dur de se délivrer de tous les intérêts qui distraient l’esprit. Il importe donc d’entrer en classe en ordre et dans le plus grand silence. Mais la contrainte de la discipline peut nouer l’attention au lieu de la libérer. La première difficulté consiste donc à distraire l’élève de tout autre intérêt que la leçon en cours sans le terroriser en aucune manière. La seconde à indiquer par des mots ce qu’il y a à voir sans jamais pouvoir prendre entre ses mains la tête de celui qui regarde du mauvais côté. C’est la limite de la métaphore de la vision.
La discipline consiste à imposer ou à s’imposer de suivre une règle pour ne pas se laisser aller au gré de ses appétits. L’image de la règle signifie qu’au lieu de suivre les fluctuations de l’âme, on se donne une direction et qu’on s’y tient. Cette contrainte est libératrice, car les pensées abandonnées à elles-mêmes sans règle ne sont pas libres. Les passions qui les déterminent sont produites par le développement du corps et par le monde alentour, et leur pression est d’autant plus irrésistible qu’elle est nécessairement vécue comme un élan spontané. C’est pourquoi contraindre par la discipline n’est pas faire violence, mais libérer des sollicitations qui nous gouvernent à notre insu. Cette contrainte est donc d’abord éprouvée comme un carcan, alors qu’elle n’enserre pas l’esprit mais le délivre du carcan des intérêts qui l’accaparent à son insu avant qu’il ait pu en juger le bien fondé. Le moment libérateur ne peut être vécu sans douleur, alors qu’il est doux de demeurer esclave. Il est vrai que quelques enfants sont capables sans qu’on les y contraigne de regarder immédiatement du bon côté, mais la plupart ont besoin qu’on les y force.
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3 - Ecouter est difficile : l’entraînement
La difficulté de l’attention ne tient pas à la difficulté du contenu de vérité que la parole du maître propose au jugement de l’enfant, s’il commence par l’élémentaire, mais à la nécessité pour « voir » ce contenu de ne regarder que lui : la vérité est difficile parce que nous regardons toujours à côté d’elle et sans ordre. Elle est difficile pour nous, mais non en elle-même, c’est-à-dire pour un esprit pur et attentif. Et comme nous sommes séduits par des images brillantes mais illusoires, nous commençons par ne pas voir l’évidence. Par exemple, lorsque le maître fait une leçon d’arithmétique, l’élève n’a qu’à considérer l’idée vraie qu’il lui indique pour la comprendre, mais cela suppose qu’il n’écoute pas son désir d’agiter ses jambes car il est dur de rester immobile, son désir de jouer au ballon avec ses camarades, les premiers tiraillements de la faim ou de la soif, et la nécessité aussi de vaincre la fatigue.
L’attention exige un long entraînement, plus encore que la course de fond, et prétendre comme certains psychologues officiels que le temps d’attention de l’enfant est très limité est aussi absurde qu’ignorer que l’entraînement permet à tout homme de courir de très longues distances. Or comprendre demande plus d’entraînement que courir. Entré en sixième en 1957, j’avais été habitué à l’école primaire à rester assis pour écouter, mais déjà l’entraînement n’était guère sérieux, et il me fallut quelques jours pour écrire sans douleur à la main. Douze ans plus tard j’ai dû imposer cette discipline à des élèves de 18 ans, qui s’y plièrent assez vite, au désespoir de certains de mes collègues. Il n’y a donc pas d’instruction intellectuelle proprement dite sans une part d’exercice et d’entraînement de même nature que l’entraînement qui donne de la résistance et finit par nous apprendre à nous plaire à la course.
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4 - Automatisme
A cela s’ajoute la nécessité de monter des mécanismes, par répétition. Dans l’étude de l’arithmétique, c’est-à-dire de ce qui est le plus évident, l’intelligence a besoin d’être soutenue par des mécanismes que seul un très long entraînement permet de mettre en place, et qu’il faut entretenir toujours par l’exercice. Apprendre ses tables est une discipline nécessaire et comme telle sans intelligence, puisque le jugement n’y intervient pas, tandis que comprendre que douze, c’est dix plus deux et pour cette raison s’écrit 12 requiert l’intelligence et l’enfant qui le comprend la première fois accède au savoir le plus pur, au savoir le plus réellement savoir. Mais tant qu’on ne sait pas ses tables on ne peut compter, et ceux des élèves qui ne parviennent pas à la maîtrise de l’arithmétique élémentaire seront perdus dès qu’on passera aux mathématiques : alors en effet cette maîtrise est présupposée acquise et le temps perdu à débrouiller des opérations qui devraient être faites automatiquement interdit de commencer à comprendre les nouvelles notions mises en œuvre. Un beau jour, donc, il y a une vingtaine d’années, ma femme de ménage portugaise me dit que son fils ne parvenait pas à faire des soustractions. On lui avait fait consulter le psychologue scolaire, qui avait diagnostiqué que l’enfant ne pouvait pas faire des soustractions parce qu’il avait été soustrait à son milieu d’origine. Lacan fait des ravages. Et l’idée qu’une incompréhension relève d’une psychologie interdit toute instruction même élémentaire. Conseillé par un professeur de mathématiques j’ai vérifié que cet enfant avait appris ses tables. Il était incapable de répondre aux questions les plus simples : 7 + 5 = ? Il a donc dû les apprendre et il venait les réciter chez moi régulièrement. En moins d’un mois son problème de soustraction était résolu. Dois-je craindre qu’il ait été ajouté à la liste des martyrs de l’école ? Si cette histoire était récente, j’aurais sans doute hésité à la publier, par crainte des tribunaux.
Même refus de la discipline en histoire : on n’apprend pas par cœur les dates. Les meilleurs étudiants de France étaient donc après les années 2000 incapables de dire quelle est la succession des régimes politiques en France du Moyen Age à nos jours. Là encore le refus de la discipline se cache derrière des considérations subtiles : la mort de Louis XIV n’est pas essentielle à la compréhension du devenir historique, selon, dit-on, les grands historiens, et les psychologues nous disent que l’enfant n’ayant pas encore conscience du temps, il faut attendre qu’il ait compris l’âge de son grand-père.
L’orthographe est une question de discipline – et non de savoir ou de poésie. Or il demeure en France une sorte d’art sacré donnant lieu même à des jeux télévisuels internationaux, quand la discipline élémentaire est bannie à l’école, et que justement l’orthographe n’est pas l’essentiel de l’apprentissage de la langue – le bon maître sait quels enfants il doit éviter de persécuter avec les questions d’orthographe, lesquels au contraire sont seulement inattentifs, etc.
J’ai vu des enfants découvrir la rigueur de l’apprentissage en apprenant à jouer d’un instrument de musique qui nécessite en effet un entraînement régulier, tandis qu’à l’école toute discipline était bannie. Car la discipline de l’entrainement, c’est d’abord la répétition. Dans les conservatoires, il semble qu’on trouve difficilement des enfants capables de travailler réellement, c’est-à-dire régulièrement, un instrument, et là encore il faut mentir : on revoit la finalité des conservatoires, qui doit devenir « culturelle ». Le discours sur l’art remplacera la pratique de l’instrument et l’on gardera des clients. On vente un pseudo progrès pour camoufler une renonciation à l’essentiel. Le culturel ne manquera pas d’être idéologique. Imposer des exercices, une tenue du corps, une méthode de respiration n’intéresse pas les idéologues.

5 - Suivre et non croire
C’est qu’en effet la contrainte dont je parle ne signifie nullement qu’on doive croire la parole d’un maître. Elle apprend à écouter, elle n’impose aucune vérité ; elle force à regarder, elle ne dit pas ce qu’il y a à voir ; elle permet à l’esprit de s’orienter vers telle direction, afin il puisse juger librement ce qu’elle donne à voir. Elle impose l’attitude et la maîtrise des passions qui libèrent l’esprit et le mettent en mesure de comprendre. Car nul ne peut comprendre à la place de l’élève. Voilà pourquoi suivre une leçon magistrale est un exercice difficile qui exclut la passivité, comme suivre un guide en haute montagne. Suivre un chemin balisé paraît d’abord plus dur que gambader au hasard. Au contraire celui qui marche à l’aventure n’éprouve pas de fatigue et croit avancer quand il ne fait que tomber dans des précipices. Mais la chute ne fait pas aussi mal qu’en montagne et il ne s’en aperçoit même pas. L’enfant entraîné à rester assis, immobile et silencieux, apprenant à suivre et par là apprend à penser. Il pourra un jour ouvrir sa propre voie.
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6 - L’illusion pédagogique
L’école a renoncé à la discipline et pris le parti de la rhétorique des passions : il faudrait « motiver » l’élève et pour cela partir de l’intérêt immédiat. Autrement dit, caresser dans le sens du poil. Il y a là deux illusions. La première porte sur le sens même de l’instruction : instruire vraiment, c’est faire naître d’autres intérêts que ceux qui submergent d’abord l’esprit des élèves abandonnés à eux-mêmes dans la jungle sociale et familiale, envahis d’images délibérément faites pour capter leur attention et exacerber les appétits. Toute la difficulté est de couper l’école du brouhaha et du kaléidoscope de la société et de la famille. La seconde illusion est plus grave encore. La pédagogie qui cherche à plaire s’appuie sur les préjugés de l’élève, elle le tient par tout ce qu’a inscrit en lui la société environnante : trop souvent l’avis d’un enfant ou d’un adolescent commence par répercuter ce que le monde alentour lui impose de croire. Et si l’on parvient parfois à calmer une classe par le jeu des passions et des préjugés, à coup sûr on enferme les élèves dans leurs illusions au lieu de les libérer, et on leur laisse croire qu’ils sont libres alors qu’ils sont manipulés. Un certain spontanéisme est le gardien des valeurs en cours. Au contraire la contrainte de la discipline ne ment pas. L’enfant la sait imposée, il sait qu’il suit un ordre qu’il n’a pas d’abord choisi. Il ne s’imagine pas poursuivre ses rêveries personnelles et prend conscience que ce qu’il apprend lui est d’abord étranger, mais étranger à la part de lui-même qu’il n’a justement pas choisie. Il pourra même un jour se révolter. Répétons-nous : faire appel à la spontanéité de jeunes esprits encore ignorants, c’est laisser le champ libre aux préjugés et à la passivité intellectuelle, car leurs premières pensées, celles auxquelles ils tiennent le plus d’abord, ne sont pas les leurs. Ce ne sont même pas des pensées puisqu’ils ne les ont pas eux-mêmes formées et jugées. La suppression ou seulement la mise au second rang du cours magistral signifie qu’on renonce à la liberté de penser.
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7 - L’organisation du désordre
Quand il n’y a pas discipline mais pédagogie, quand il faut plaire au lieu de contraindre, la relation de l’adulte à l’enfant est une relation de séduction et l’enfant est esclave. Mais par bonheur le jeu du chantage affectif tourne souvent au profit de l’enfant qui devient despote et habile en l’art de gouverner par les passions, et la classe alors devient impossible. On en conclura à grand renfort de sociologie et de psychologie que les élèves ne sont pas comme auparavant et qu’ils sont devenus intenables. Mieux, on obtiendra d’une commission ad hoc qu’elle prône une éducation civique, c’est-à-dire une prédication morale, et cela dès la maternelle où en effet le refus de la discipline imposé aux maîtres par l’institution et la Justice a déjà porté ses fruits. Croit-on qu’un discours moralisateur peut pallier l’absence de discipline – et surtout le refus implicite et parfois explicite de la discipline dans l’institution ? Il est vrai qu’il faut pour rétablir la situation que le maître retrouve son autorité, c’est-à-dire qu’il ne soit pas à la merci des parents d’élèves – ou plutôt des parents qui ne veulent à aucun prix que leurs enfants soient des élèves. Car il ne suffit pas d’avoir des enfants pour que ce soient des élèves et généralement les parents - les parents les mieux intentionnés - sont les moins bien placés pour faire de leurs enfants des élèves. Quelques uns des philosophes des siècles passés, au moins jusqu’au XIX°, furent brièvement précepteurs (il leur fallait en effet se nourrir) : ils firent l’expérience de l’impossibilité d’instruire un enfant quand les parents sont derrière le maître, et c’est une des raisons qui leur fit accorder la préférence à un enseignement public : l’enfant, dans une classe coupée de la famille et de la société, peut devenir élève.
La démagogie pédagogique l’a emporté. Il convient d’enfermer les jeunes esprits dans les habitudes de consommateurs que la télévision et les publicités ne cessent de leur inculquer. Le niveau des campagnes électorales et le succès de certaines images correspond assez bien à la disparition de la discipline et donc de l’instruction à l’école. En 1932, le ministère de l’instruction publique n’est pas devenu par hasard ministère de l’éducation nationale. La primauté de l’éducation sur l’instruction signifie qu’il importe d’abord d’inculquer des valeurs et non d’apprendre. En juillet 1930, au lycée de Charleville, devant tous les notables de la région, Georges Canguilhem, à l’âge de 25 ans, dut prononcer le discours de distribution des prix, qu’il intitula, en élève d’Alain « Le quart d’heure de Socrate » : « Socrate… » dit-il « dut répondre devant l’association athénienne des parents d’élèves, d’un crime qu’il eut l’étonnant et naïf courage de ne pas reconnaître, et fut condamné à mourir pour avoir détourné les jeunes esprits, qui s’étaient faits ses disciples, des voies droites et saines dont toujours et partout la société s’est estimée gardienne infaillible et nécessaire. ». Socrate n’était pas pédagogue. Il irritait, il ne prêchait pas.

8 - La république des esprits
L’école n’est pas plus laïque lorsqu’elle est soumise aux parents et à la société civile que lorsqu’y règnent les prêtres. Lorsque au contraire la discipline maintient un ordre extérieur, et cela avant tout discours, alors l’égalité est maintenue entre le maître en tant qu’il sait et l’enfant en tant qu’il apprend parce que seul le contenu du savoir détermine le jugement. Alors le maître et l’élève peuvent se reconnaître en tant qu’esprits – ce qui est vrai dès que le petit enfant comprend que 2+2 font 4. Alors s’institue une république des esprits et non pas un lieu de vie ou une arène politicienne. L’instruction institue d’un même mouvement l’homme en l’enfant et la société vraie entre l’enfant et le maître.

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© Jean-Michel Muglioni et Mezetulle, 2009.

[Lire les autres articles de J.-M. Muglioni sur ce blog]

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commentaires

M
<br /> Note de l'éditeur.<br /> <br /> <br /> L'article de Jean-Michel Muglioni sur la discipline est en ligne :<br /> <br /> <br /> http://www.mezetulle.net/article-quelques-remarques-sur-la-discipline-par-j-m-muglioni-92180113.html<br />
L
<br /> Merci à Rama Yade dont l'emprunt m'a permis de découvrir ce blog et ce texte.<br /> <br /> En regardant mes enfants se débattre dans leur vie collégienne (collège où pourtant tout est calme), j'adhère à cette idée de discipline préalable à l'acte d'apprendre.<br /> <br /> Peut-être le chapitre sur L'illusion pédagogique est-il un peu excessif dans son accusation : en motivant, la pédagogie peut inciter chaque élève à trouver la discipline intérieure qui<br /> lui est propre pour apprendre, sans pour autant parler de chantage affectif. Est-il besoin de couler l'ensemble de la classe dans un mode disciplinaire unique ? Peut-être, je ne suis pas prof et<br /> n'ai pas à "gérer" une classe entière, mais les pédagogues semblent s’être posé la question,<br /> <br /> Un détail, fin du § 4 :  "On vente un pseudo progrès..." on vante ?<br />
J
<br /> <br /> Réponse de Jean-Michel Muglioni reçue par Mezetulle<br /> <br /> <br /> ******************<br /> <br /> <br /> Oui, le buzz concernant la reprise de mes articles dans un livre médiatique peut les faire connaître. Et nous corrigeons la faute d’orthographe (note).<br /> <br /> <br /> Je vous remercie d’avoir conscience qu’il faut avoir fait la classe pour bien comprendre  ces questions : ce n’est pas le cas en effet de la plupart de nos spécialistes des prétendues «<br /> sciences de l’éducation ». <br /> <br /> <br /> Vous pensez que mon refus de la psychologisation de l’école conduit à « couler la classe dans un mode disciplinaire unique ». Mais mon propos n’interdit nullement une certaine souplesse qui n’a<br /> rien à voir avec le laxisme. Par exemple, lorsque la confiance est établie dans une classe avec tous les élèves, on peut ne pas sanctionner un retard accidentel. Comme il y a prescription, je<br /> vous dirai même qu’il m’est arrivé de cacher à des parents une absence de leur enfant (majeur il est vrai). Et de la même façon il conviendrait, si du moins le nombre d’élèves n’est pas trop<br /> important, que l’on ne donne pas toujours les mêmes exercices à tous.<br /> <br /> <br /> Si vous voulez dire qu’il ne faut pas couler tout le monde dans le même moule, je vous l’accorde, et cela est compris dans l’idée même d’instruction.<br /> <br /> <br /> Pour la question de la psychologisation universelle, je me permets de vous renvoyer à mon article La psychologie ou la loi, http://www.mezetulle.net/article-24113764.html<br /> <br /> <br /> Mezetulle mettra bientôt en ligne un article sur la discipline.<br /> <br /> <br /> *****<br /> <br /> <br /> Note de l'éditeur. Non, pour une fois, Mezetulle ne corrigera pas la faute de frappe ! car cela modifierait la date d'enregistrement de l'article (qui a été publié en juin 2009) et il<br /> est préférable de laisser le texte dans l'état où il a été lu et "repris" par Mme Rama Yade, y compris avec ses défauts ! Merci à notre commentateur d'avoir signalé la faute, les lecteurs la<br /> corrigeront aisément en lisant ce commentaire.<br /> Mezetulle CK.<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> <br /> Cet article me laisse un mauvais goût dans la bouche. L'impression qui reste est l'absence de discipline à l'école, responsable de tous les maux ! C'est un peu court ! La caricature éloigne du<br /> raisonnement, dommage. Beaucoup de professeurs exigent de la discipline, des efforts, de la rigueur et demandent d'apprendre. Personnellement je préfére l'analyse d'Hannah Arendt dans "La Crise<br /> de la culture".<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> Mezetulle a reçu la réponse suivante de Jean-Michel Muglioni: ------------- J’ai voulu dire que l’instruction proprement dite, si elle est effective, suppose toujours la discipline, comme la<br /> pratique de la course à pieds l’entraînement. Alors la discipline n’est pas une contrainte extérieure exercée sur un homme comme dans un bataillon disciplinaire. On peut ainsi s’imposer d’écrire<br /> comme disait Stendhal une page par jour, avec ou sans inspiration, pour finir par savoir écrire, ou faire ses gammes pour apprendre à jouer d’un instrument de musique. Ainsi lire est une discipline<br /> de pensée dans la mesure où ce n’est pas gambader selon l’humeur mais suivre le propos d’un autre. La discipline est imposée aux plus jeunes apprentis par leurs maîtres parce qu’ils ne sont pas<br /> encore en âge de décider de leur entraînement. Arriver à l’heure ou à garder le silence en classe, est une discipline de même nature que celle qui oblige à se taire dans une salle de spectacle. Ce<br /> n’est pas encore ce qui instruit, mais c’en est la condition nécessaire. Ce qui veut dire que sans cette discipline apprendre est impossible d’une part et qu’apprendre contient en soi-même d’autre<br /> part une discipline comme l’entraînement.<br /> <br /> <br />
V
A ces propos nous répondons ainsi :<br /> -        Qu’il faut un substrat initial de morale républicaine (donc de valeurs) de base pour que l’école républicaine fonctionne, pour qu’elle perdure, et pour qu’elle se légitime, se justifie. En outre, pour rivaliser avec d’autres régimes ou d’autres systèmes éducatifs (privé, payant, religieux), il faut nécessairement une auto-glorification qui implique une dimension morale : nous valons[1] plus qu’eux, c’est pourquoi nous existons, nous imposons (en nous institutionnalisant de manière généralisée, nationale, précisément) et nous pérennisons.<br /> -        Qu’une valeur est la forme organique vivante d’un principe abstrait. Sans valeur, un principe reste lettre morte, squelette parfait mais sans chair. On pourrait même dire qu’un principe, c’est une valeur morte (comme lorsqu’on dit : « en principe, l’école républicaine devrait instruire de manière satisfaisante nos enfants » - ce en principe est bien évidemment la mise en avant plus ou moins ironique du caractère caduc de l’énoncé). Ou qu’une valeur, c’est un principe respecté, dont on voit la concrétisation sociale. Qui n’est pas que mot.<br /> -        Qu’on ne peut pas cautionner l’idée que l’école permette ou envisage que le professeur laisse entendre (ou penser) à ses élèves, en abandonnant toute idée de valeur : « Meure la République, meure la France ». Ni même « Qu’importe la République, qu’importe la France ». Il faut nécessairement qu’il en ressorte une valeur positive affirmée : « Vive la République, vive la France ». Ce n’est pas être partisan. Ce n’est pas être un croyant, un fanatique, un fondamentaliste républicain. C’est chercher une cohérence. Les professeurs ne doivent pas être des curés Meslier de la République. Ils doivent « y croire », s’identifier personnellement avec la notion de République, qui est une notion nationale, issue d’un patrimoine national intellectuel particulier. Cette nation qui nous a nourris continue de nous nourrir.<br /> -        Que faire des principes des valeurs est nécessaire lorsque l’on invoque la notion de devoir, consubstantielle à celle d’élève et de maître de l’école républicaine. Un principe s’examine, se considère, une valeur s’observe, se pratique.<br /> -         Que si la notion de valeur est employée de manière creuse, cela ne veut pas dire qu’elle soit en elle-même invalide, fausse. Peut-être ne faut-il pas jeter le bébé avec l’eau du bain.<br /> -        Que la valeur n’est pas question de croyance mais de choix : on (le peuple) choisit ses valeurs, tandis que la foi est conçue au pire comme héritage traditionnel, au mieux comme don individuel, gracieux et irrésistible d’une divinité. La valeur est de l’ordre de l’éthique de la responsabilité, ce qui est un fondement de la morale républicaine.<br /> -        Que la valeur a effectivement un aspect identitaire mais que sa portée morale en fait précisément quelque chose de généralisable voire d’universel. C’est même la définition d’une valeur républicaine, expression pratique d’un principe théorique.<br /> <br /> <br /> [1] Val-eur/val-oir  dans le sens de val-idité, fermeté, durabilité, légitimité continue.
M
Entièrement d'accord! Toute notion d'effort et de contrainte ayant disparu (chez les élèves car chez les parents !), on nous pousse de la pédagogie à la démagogie. Ce n'est plus l'élève qui doit apprendre, mais le maître qui doit plaire!
C
Cher Jean-Michel,Je trouve ton texte excellent et comme tu t'en doutes, je souscris à tout, tout... Sauf à un détail, qui, je le souligne, n'affecte nullement les thèses et arguments de ton texte. D'ailleurs tu sais d'avance sur quoi va porter ce commentaire : c'est une divergence que nous entretenons depuis longtemps. C'est un plaisir, parfois, de ne pas être d'accord !Je cite : "ma femme de ménage portugaise me dit que son fils ne parvenait pas à faire des soustractions. On lui avait fait consulter le psychologue scolaire, qui avait diagnostiqué que l’enfant ne pouvait pas faire des soustractions parce qu’il avait été soustrait à son milieu d’origine. Lacan fait des ravages" C'est moi qui souligne. Tu me vois venir : pourquoi Lacan ?1 -  Le jeu de mots sur le signifiant "soustraction / être soustrait à son milieu d'origine" n'est pas spécifiquement lacanien: il pourrait aussi bien se trouver dans Freud Psychopathologie de la vie quotidienne.2 -  Mais on ne pourrait pas dire davantage "Freud fait des ravages" sur cet exemple. Pourquoi ?<br /> <br /> 2.1- Parce que ce jeu de mots, pour être valide ici (c'est-à-dire pris dans cette "explication" du trouble de l'enfant comme psychique) supposerait que l'enfant en question ait eu connaissance de l'emploi du mot "soustraire" ailleurs qu'en arithmétique, qu'il ait su qu'on peut dire "se soustraire à" ou "être soustrait à" en parlant d'une personne, ce qui est peu probable vu son âge présumé.<br /> 2.2 - A supposer que 2.1 soit néanmoins avéré, il aurait encore fallu que le psychiatre établisse la concaténation singulière, dans l'expérience analytique et pour cet enfant en particulier, de cette intersection de signifiants "faire une soustraction / être soustrait à son milieu d'origine". Il est fort peu probable qu'un psychologue scolaire ait eu la compétence et le temps de faire apparaître un tel enchaînement car à ma connaissance les psychologues scolaires ne sont pas des analystes. Il est en revanche hautement probable que la concaténation "faire une soustraction / être soustrait à son milieu d'origine" a été effectuée ici comme une généralité bienpensante qui n'est autre qu'une projection de l'idéologie du psychologue sur la situation. Or il n'y a rien de plus opposé à une démarche freudienne que ces généralités (type "clés des songes" ici "clés de la bienpensance paresseuse"), les relations de signifiants établies par la cure psychanalytique étant toujours singulières : elles ne valent que pour un sujet particulier - ce qui les distingue des jeux de mots et autres mots d'esprit qui utilisent des mécanismes analogues, mais qui ne sont pas des troubles car parfaitement conscients et intelligibles de manière générale pour toute une aire linguistique. Ce psychologue n'a probablement pas médité la différence entre Le Mot d'esprit et ses relations avec l'inconscient et Psychopathologie de la vie quotidienne, il mélange tout.<br /> <br /> Donc dans ton texte, j'aurais plutôt attendu "La lecture hâtive de Freud et de Lacan et la psychanalyse sauvabe font des ravages"...Cette attaque gratuite de Lacan consiste à lui reprocher un contresens commis par certains de ses lecteurs : c'est procéder de la même manière que ceux qui attribuent à Descartes les ravages environnementaux engendrés par les déchets industriels parce que certains ont compris et appliqué de travers "nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature".
C
   Merci pour cet article qui porte à l'attention publique le tout premier combat d'un professeur quand il doit enseigner à sa classe : apprendre aux élèves à se contrôler . On ne peut en effet faire un cours si une vingtaine d'élèves bavarde sans vergogne , gesticule sans retenue , s'interpelle d'un bout à l'autre de la salle à qui mieux mieux . C'est malheureusement un cas de figure banal , peut-être même devenu LA norme , auprès de la hiérarchie du Ministère qui n'hésite pas à rejeter sur l' " insuffisance professionnelle de l'enseignant " l'indiscipline des élèves , fruit d'annéeS d'absence d'éducation à la maîtrise de soi .  Il convient aussi de mentionner que l'indiscipline est , trop souvent , entretenue par des chefs d'établissement qui vous réprimandent si vous excluez du cours un élève particulièrement agitateur . Cela m'est arrivé en début d'année , le proviseur m' avait reproché d'avoir éjecté un élève qui avait l'habitude d'agresser verbalement ET "enquiquinait" physiquement tous ses camarades de classe en plein cours ( jets de projectiles , vols de trousse ... ) . " Ici , c'est une ZEP , il faut faire avec " m'avait -elle rétorqué . Quand j'ai quitté cet établissement , le garçon en question en était venu aux mains avec un camarade de classe doux comme un agneau et il était question qu'un parent d'élève porte plainte contre l'agitateur pour dégradation et tentative de vol ( le garçon , ayant été invité par un autre camarade chez lui , il a profité de l'occasion pour commencer à démanteler la voiture familiale de tout ce qui pouvait être revendu , jusqu'au retour inopiné du père qui l'a surpris en pleine action) ! Heureusement , j'ai terminé l'année dans un autre établissement ... Je me rappelle qu'il y a de cela une quinzaine d'années , des collègues exerçant dans le XIIIème arrondissement de Paris avaient confié dans une interview qu'ils ne souhaitaient pas être mutés ailleurs parce que dans ce quartier , les élèves , en majorité sino-laotiens , sinon-cambodgiens ... , quand ils venaient pour la première fois en classe , y venaient DEJA éduqués , tradition confucéenne oblige ( mais j'ai eu vent depuis d'une dégradation ... à mettre sur le compte de l'assimilation ... avec les moeurs " à la française " ? ) . Aujourd'hui , je constate que les élèves les plus accomplis , les plus proches de leur "vertu" d'élève , sont ceux originaires du subcontinent indien . En effet , la tradition de respect du maître et de la connaissance n'y a pas été moins vive qu'en Chine puisque la civilisation indienne est bien plus ancienne que la civilisation chinoise et que celle-ci , en matière d'éducation et d'instruction , puise ses racines dans celle-là . Hélas , il semblerait qu'en Inde aussi les élèves ne baisent plus les pieds du professeur en signe de respect et ne s'intéresse qu'aux études ... offrant les promesses les plus lucratives . Je pense pouvoir prédire une future baisse du niveau en mathématiques pour les élèves indiens , ce qui mettra probablement un frein aux délocalisations des emplois dans l'informatique vers ce pays . N'en déplaise à M. Sarkozy et à ses ministres , l'éducation et l'instruction ont un fort impact sur ce qu'ils pensent être la partie la plus sensible d'un homme et donc d'un pays : leur portefeuille , alors même que l'argent et le pouvoir ne sont pas les buts naturels de l'instruction ...

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  • Livre Condorcet, l'instruction publique et la naissance du citoyen (Paris : Minerve, 2015)

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