31 mai 2009 7 31 /05 /mai /2009 15:07
Bloc-notes
Discrimination post mortem

En ligne le 31 mai 2009

Puis-je refuser que ma dépouille mortelle repose aux côtés de celles de personnes dont je ne partageais pas les convictions de mon vivant ? C'est à cette effarante discrimination post mortem, interdite en France par la loi, que prétend une association confessionnelle. C'est à elle que consentent certains responsables politiques, rompant la paix indistincte et universelle des cimetières pour transformer ces derniers en patchworks identitaires frileux, en reflets morcelés de la haine que se portent certains vivants.

La déclaration a au moins le mérite d'être sans équivoque :
« Beaucoup d'anciens ne veulent pas être enterrés aux côtés des juifs, des chrétiens, et encore moins des athées ».
C'est ainsi que le secrétaire de l'Association des musulmans de Limoges pour la fraternité tente de justifier la demande de cimetières séparés, où on n'admettra pas n'importe qui (1). Serait-ce une application du
« respect des religions » par lequel le président de cette association définit la laïcité, se défendant bien entendu de vouloir provoquer quiconque ? Voir Le Parisien daté du 30 mai 2009, p. 9.

On imagine quels trésors d'esprit sacrificiel quelques-uns déploient, souffrant en silence, pour côtoyer de leur vivant des juifs, des chrétiens et (encore plus) des athées dans les transports publics, les écoles, les crèches, les piscines, les bibliothèques, pour partager le réseau d'eau potable avec eux, pour accepter les remboursements de soins auxquels leurs cotisations contribuent, pour recevoir leurs dons de sang ou d'organes...
Quant à ceux de leurs coreligionaires qui, peu regardants dans leur générosité, n'ont pas hésité à verser leur sang avec des juifs, des chrétiens, et (encore plus) des athées pour défendre la France laïque et républicaine, ceux dont la dépouille est resté piégée dans la boue solidifiée des champs de bataille avec celles de juifs, de chrétiens et (encore plus) d'athées, on se demande de quelles lamentations ces féroces saintes-nitouches séparatrices couvrent leur mémoire.

Ils avaient l'idée d'un père, d'un fils, d'un frère et non pas d'un homme. Leur cabane contenait tous leurs semblables ; un étranger, une bête, un monstre étaient pour eux la même chose : hors eux et leur famille, l'univers entier ne leur était rien. De là les contradictions apparentes qu'on voit entre les pères des nations : tant de naturel et tant d'inhumanité, des mœurs si féroces et des cœurs si tendres, tant d'amour pour leur famille, et d'aversion pour leur espèce.
Rousseau, Essai sur l'origine des langues, chapitre IX.

Mais Rousseau, lui, parlait d'un temps qu'il présente comme mythique... Il connaissait sans doute bien des saintes-nitouches féroces (notamment celles qui firent brûler certains de ses ouvrages et persécutèrent sa personne), mais il ne connaissait pas les tendres responsables politiques qui, aujourd'hui, encouragent les élus municipaux à contourner la loi pour installer la discrimination post mortem :
le gouvernement a publié une circulaire en février 2008 incitant les maires (responsables des cimetières) à procéder à des regroupements confessionnels. Une façon de contourner, sans la violer, la loi de 1887 qui interdit la création au sein de cimetières laïques, d'espaces délimités réservés aux membres d'une religion (Le Parisien, ibid., encadré).
Le sort que l'humanité réserve à ses morts la caractérise, paraît-il, comme humanité et la distingue de l'animalité. C'est aussi pourquoi il peut aussi en caractériser l'inhumanité qui, comme chacun sait, ne s'en prend qu'aux êtres humains - le XXe siècle s'est particulièrement illustré à ce sujet. On peut craindre que cette manière radicale et exclusive de traiter les morts ne reflue bientôt sur les vivants, qu'ils soient musulmans, juifs, chrétiens ou (encore plus ?) athées.

1- On a bien lu : cimetières séparés, car la création de ce qu'on appelle des « carrés » au sein des cimetières (carrés qui, soit dit en passant, sont aussi interdits par la loi - voir ci-dessous le commentaire n° 5) ne suffit pas : c'est encore trop près !

[Voir sur ce blog l'article Le paradoxe du prochain et le paradoxe du citoyen. La diversité : patchwork ou melting pot ?
]


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commentaires

C
Une précision sur la réglementation, certains lecteurs s'étonnant de l'existence de "carrés confessionnels" ou même de cimetières confessionnels. Cela s'explique, soit par l'antériorité de ces éléments à la loi de 1881, soit par les circulaires de 1975 et 1991 qui autorisaient ces "carrés".La circulaire du 19 février 2008 publiée au BO du Ministère de l'intérieur (2008/2) abroge les circulaires de 1975 et 1991. La circulaire de 2008 revient à l'application stricte de la loi du 14 novembre  1881 qu'elle rappelle en ces termes :<br /> <br /> La loi du 14 novembre 1881, dite « sur la liberté des funérailles », a posé le principe de non-discrimination dans les cimetières, et supprimé l’obligation de prévoir une partie du cimetière, ou un lieu d’inhumation spécifique, pour chaque culte. Ce principe de neutralité des cimetières a été confirmé par la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l’Etat.<br /> Les cimetières sont des lieux publics civils, où toute marque de reconnaissance des différentes confessions est prohibée dans les parties communes. Seules les tombes peuvent faire apparaître des signes particuliers propres à la religion du défunt.<br /> <br /> On peut lire cette circulaire sur le site du Ministère de l'intérieur.
A
Exact, Catherine, et merci pour cette mise au point : mea culpa, j'avais lu trop vite sans doute, et compris les choses "à l'envers", pourrait-on dire. En effet, le commentateur comprend bien, en réalité, que l'IDEE de NE PAS vouloir reposer auprès d'un non-coréligionnaire vous inspire du dégoût (ou du moins un total désaccord), et je partage évidemment ce point de vue. Pour moi, ce n'est pas même du dégoût, mais une profonde incompréhension envers ce que je considère comme une aberration - une de plus ...Et effectivement, une chose est "l'envie" de rester, même décédé, à côté des membres de sa "communauté" (ce qui ma paraît stupide, mais peut s'admettre), et une autre est la revendication exigente  de carrés ou de cimetières séparés.Voilà, je tenais à écrire ces quelques lignes pour vous montrer qu'après relecture plus attentive, j'ai bien compris quelle avait été mon erreur d'interprétation (l'amour-propre sans doute : ne pas passer à vos yeux pour une simple d'esprit!!!).Quant à mes "élucubrations" sur les âmes des défunts, et ma façon plaisante d'imaginer leur comportement dans l'au-delà, je persiste et signe! J'aime à supposer que les âmes, bridées et empêchées d'agir tant qu'elles sont enfermées dans les corps terrestres, se "lâchent" et expriment enfin leurs vraies pensées sur leurs ex-geôliers ...
A
Je suis dans une profonde perplexité vis-à-vis du 2eme commentaire ...Son auteur semblerait vous attribuer à VOUS, Catherine, l'envie de ne pas être enterrée auprès d'un juif! - je suppose que c'est sa formulation qui est trompeuse, car alors tout votre article, qui prouve au contraire comment vous considérez l'inanité de telles revendications, n'aurait plus aucun sens ... Et toujours selon lui, ce souhait serait parfaitement légitime ... HELAS!Pourtant, lui-même emploie un moment le terme "viande"! Ce qui suppose qu'il n'est probablement pas le dernier des idiots, et qu'il n'envisage certainement pas qu'un catholique MORT (ou autre, au choix), enterré près d'un autre catholique MORT (au choix derechef), passerait son éternité à discuter le bout de gras avec son voisin ...Vous écrivez : "No comment", et comme je vous comprends! Eh! bien moi, je vais en faire, un commentaire!J'aimerais dire à tous ces gens qui veulent rester "entre eux" même sous forme de cadavres, que outre tout ce que vous exprimez de façon si caustique (à savoir que dans la vie, ces humains de toutes croyances ou sans croyances, se côtoient journellement en tous lieux publics, sans y penser, sans que l'idée leur en vienne à l'esprit, et c'est heureux!), outre cela, s'ils sont si croyants, ils devraient donc se dire qu'après leur mort, leurs âmes, ELLES, que font-elles? Se dirigent-elles vers des "carrés" célestes délimités et séparés ??? Cherchent-elles à se retrouver "entre elles", comme leurs propriétaires défunts ??? Refusent-elles chacune de "parler" à une âme ayant appartenu à quelqu'un d'une autre religion, ou d'un mécréant ? Ou bien, comme je le supposerais plutôt, (si je croyais vraiment à la réalité des "âmes" telles que les religions nous les présentent), j'aurais tendance à penser que les âmes, ELLES, se rejoindraient et se donneraient la main, en une gigantesque ronde amicale qui ferait le tour de l'Univers céleste (à définir !!!),  en se gaussant de l'insondable  sottise et de l'abyssale étroitesse d'esprit de leurs ex-enveloppes terrestres ...!
C
<br /> Annette, je crois que vous avez été trompée par la négation dont a usé Arbiter Elegantiarum (com n° 2) et par le recours au mot "dégoût" pour caractériser ma position (alors que le "dégoût" nous<br /> semble plutôt caractériser la position de ceux "qui ne veulent pas se mélanger avec les autres"). Mais reprenons la phrase : "l'envie de ne pas reposer auprès d'un juif", dit le commentateur n°2,<br /> m'"inspire du dégoût".<br /> Ainsi ce commentateur dit à sa manière que je suis opposée à la demande de ghettoïsation des cimetières, ce qui est vrai.<br /> Mais la manière dont il le dit ne correspond pas tout à fait ma position. Car ce n'est pas une "envie" que je critique, mais une demande clairement formulée, et je n'ai pas parlé de "dégoût" de ma<br /> part (ni d'un autre sentiment) envers cette demande de ghettoïsation. J'ai essayé de la critiquer comme contraire aux principes républicains et dont j'ai essayé de montrer l'incohérence.<br /> S'il fallait parler de sentiments de ma part, ce serait plutôt de l'effroi et de la crainte. Effroi devant le tranquille aplomb avec lequel une revendication de ségrégation est avancée. Crainte que<br /> cette demande de ségrégation, relevant d'une "envie" (une "envie", c'est bien compréhensible n'est-ce pas ? "pas envie de me mélanger avec des mécréants, des juifs, etc"  quoi de plus spontané<br /> ?) ne reflue sur les vivants. On sait à quoi peuvent mener de telles "envies".<br /> <br /> <br />
A
Vous mêlez avec une habileté que je ne feindrai pas de croire innocente, votre point de vue sur deux points séparés :- Le dégoût que vous inspire l'envie de ne pas reposer près d'un juif (que je juge pleinement légitime pour ma part), et la formulation grossière de ce désir par le secrétaire imbécile de l'asso.- La loi et ses fondements républicains concernant les cimetières publics.Je pense pour ma part que si le cimetière municipal (financé par les contribuables et régi par l'administration d'un état républicain laïc) a l'obligation bien compréhensible de respecter les principes essentiels de notre nation en "panachant la viande", on devrait réhabilter certains cimetières particuliers. En effet, chacun devrait, par ailleurs, avoir le droit de rester près de ceux qu'il considère comme les siens (famille, coréligionaires ou que sais-je) pour peu que le terrain soit à lui. Si la chose devait présenter des difficultés insurmontables d'un point de vue sanitire (ce dont je doute fortement), du moins devrions-nous laisser aux Eglises la possibilité d'enterrer leurs fidèles et de gérer leurs propres charniers. Il s'agit là d'une réalité tolérée mais non réglementée, et la procédure permettant l'inhumation chez soi (requête à la préfecture, études hydrogéologiques, ...) est impossible à réaliser dans le délai des 6 jours prévus par la loi.Ne pas tolérer l'intolérance dans les cimetières mnicipaux n'empêche pas de faciliter le regroupement de fidèles en cédant certains terrains aux Eglises, pour peu qu'elles respectent les normes en vigueur à ce sujet, et éviterait certainement de nombreux abus comme celui des "carrés" dont vous m'apprenez l'existence infâme.
M
<br /> No comment.<br /> <br /> <br />
A
Bien...encore vous faudra-t-il pousser plus loin l'analyse pour vous demander ce qui conduit ce "musulman modéré" (n'est-il pas pour "la fraternité"?) à formuler une telle demande, "petit pas" supplémentaire dans l'imposition de la loi musulmane face à la loi générale démocratiquement élaborée...Il faudra bien , un jour, que les défenseurs de la laïcité ouvrent les yeux sur le réel et qu'ils sortent vraiment de leurs "cabinets" pour se frotter à la vraie vie de maints quartiers de nos villes (et de nos campagnes) . A propos, la décision du maire de Sarcelles (allié au président du conseil général du Val d'Oise) de subventionner les lieux de culte musulman, juif, assyro-chrétien , évangéliste...ne vous i"nterpelle pas quelque part"?
M
<br /> Merci pour la bonne note ! Je suis très sensible à votre appréciation.<br /> Ce blog n'a pas la prétention de passer en revue toutes les atteintes à la laïcité ; il n'est d'ailleurs pas spécialisé sur cette question comme l'est votre site, auquel les lecteurs peuvent se<br /> reporter.<br /> <br /> <br />

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