Bloc-notes
Inquiétudes pour la liberté de l'esprit
Les deux derniers articles publiés sur Mezetulle, bien que sur des sujets différents, ont quelque chose de profondément commun. Il s'agit de l'état de la liberté de l'esprit, et des menaces qui pèsent sur l'espace critique nécessaire aussi bien à l'exercice de la démocratie qu'au débat intellectuel sans lequel la démocratie aurait vite fait de se transformer en tyrannie des idées reçues.
Dans La laïcité et les « valeurs » (24 mars), Jean-Michel Muglioni rappelle que l'observance de la loi ne relève pas d'une pure adhésion qui supposerait une sorte de direction de conscience. La loi ne requiert ni l'amour ni une approbation enthousiaste - elle ne demande, pour être établie, que l'examen raisonné du législateur mandaté par le peuple souverain, et, pour être observée, qu'une simple obéissance dont on n'a pas à fournir les motifs moraux. On en conclura qu'en régime républicain, c'est précisément parce que l'espace critique est nécessaire à l'établissement de la loi que cette même loi ne doit jamais l'abolir, y compris et surtout en s'érigeant elle-même en objet sacré de croyance. Lire l'article.
Dans Le médiéviste et les nouveaux inquisiteurs (29 mars), André Perrin revient sur les conditions orageuses dans lesquelles a été reçu le livre de Sylvain Gouguenheim Aristote au Mont Saint-Michel, les racines grecques de l'Europe chrétienne (Seuil, 2008). Certains universitaires ont lancé des pétitions, instruit un procès en infamie en parlant notamment de « racisme culturel », quelques-uns allant jusqu'à réclamer une « enquête informatique approfondie », non pour savoir si les thèses développées dans l'ouvrage sont vraies ou fausses (enquête qu'ils n'ont pas à réclamer puisqu'il est dans leurs attributions de la mener sereinement), mais pour savoir si l'auteur est coupable de fréquentations intellectuelles douteuses via internet. On se rappelle qu'un remous analogue, de plus grande ampleur, fut naguère déclenché par le livre d'Olivier Pétré-Grenouilleau Les traites négrières : essai d'histoire globale (Gallimard, 2004).
Il est inquiétant, comme lors de « l’affaire Redeker », d’avoir à rappeler qu’il appartient à la justice de juger des délits par la seule référence aux lois en vigueur, et à l'opinion critique de débattre du vrai et du faux sans appeler à des sanctions étrangères à cette opération critique elle-même. La confusion des deux fonctions est une des bases de la méthode inquisitoriale.
Il est inquiétant de voir quelques universitaires, dont les travaux et la probité méritent estime et respect, instruire un procès en délit d'opinion et ainsi, dans un moment d'aveuglement, s'incliner devant une féroce bienpensance dont ils seraient les premières victimes si elle devait un jour faire régner sa police - laquelle se nourrit volontiers d'anti-intellectualisme. Lire l'article.