Bloc-notes
Diversité et politique de diversion
Une traduction française du livre de Walter Benn Michaels (1) The Trouble with Diversity, (New-York: Metropolitan Books Henry Holt, 2006) vient de paraître sous le titre La Diversité contre l'égalité (trad. Frédéric Junqua, éd. Raisons d'agir, 2009).
Dans un entretien à Marianne2.fr, repris par le site de l'Observatoire du communautarisme, l'auteur rappelle quelques évidences politiquement non correctes, en déclarant notamment :
...il est évident que la diversité ne réduit pas les inégalités économiques. Si vous prenez les 10% de gens les plus riches (ceux qui ont en fait tiré le plus de bénéfices de l'explosion néolibérale des inégalités) et que vous vous assurez qu'une proportion correcte d'entre eux sont noirs, musulmans, femmes ou gays, vous n'avez pas généré plus d'égalité sociale. Vous avez juste créé une société dans laquelle ceux qui tirent avantage des inégalités ne sont pas tous de la même couleur ou du même sexe.
Il était temps effectivement de rappeler que l'exploitation n'a ni couleur, ni sexe, qu'elle n'est ni raciste, ni homophobe par nature : tout ce qui l'intéresse, c'est le profit. Il se peut même qu'elle instrumentalise l'antiracisme contemporain et qu'elle fasse des revendications identitaires et de la politique dite "de diversité" des outils pour faire passer les luttes sociales à la trappe. Détourner les luttes vers la diversité permet de faire diversion...
Walter Benn Michaels n'est pas le seul intellectuel prestigieux d'Outre-Atlantique à donner ainsi un sérieux coup de ringardise au communautarisme et à la politique de "diversité" : on peut citer, entre autres, l'essai d'Amartya Sen (prix Nobel) Identity and Violence (Norton, 2006). Mais l'opinion bienpensante française ne s'en est pas encore aperçue...et ce n'est pas la politique néolibérale qui s'en plaindra.
Comme le dit Pierre-André Taguieff (2) dans un commentaire de l'entretien sur Marianne2 (commentaire n° 46):
Il est significatif que cette analyse dirimante soit le fait d'un universitaire américain qu'on classerait à gauche. C'est la preuve qu'à gauche, il est possible de penser par soi-même. C'est ce que l'extraordinaire déclin intellectuel de la gauche française nous avait fait oublier. En France, les voix qui se sont exprimées dans le même sens ont été marginalisées. Elles se sont réfugiées sur certains sites, dont le plus emblématique est "communautarisme.net". On peut espérer enfin une contre-offensive intellectuelle contre les pitoyables recycleurs hexagonaux des mythes identitaires importés de l'Amérique des années 1970 et 1980, à commencer par le "multiculturalisme", qui revient à racialiser tous les rapports sociaux.Voir sur l'Observatoire du communautarisme un dossier avec de nombreux articles sur la critique du modèle mutliculturaliste par des intellectuels anglophones.
Voir sur ce blog l'article sur le livre de Julien Landfried Contre le communautarisme et l'article en anglais Secularism and French Politics.
Voir le commentaire de Jean-Michel Muglioni.
1 - Walter Benn Michaels est professeur à l'Université de l'Illinois à Chicago.
2 - Auteur, entre autres nombreux ouvrages, sur des sujet proches, de La République enlisée. Pluralisme "communautarisme" et citoyenneté (Paris : Ed. Des Syrtes, 2005) et de La Judéophobie des modernes (Paris : O. Jacob, 2008).