15 janvier 2013 2 15 /01 /janvier /2013 10:51

Bloc-notes actualité
L'école et le marché

Sur le livre d'Aurélie Ledoux L'ascenseur social est en panne

par Jean-Michel Muglioni
En ligne le 15 janvier 2013


Je ne saurais trop conseiller la lecture du petit livre d’Aurélie Ledoux, L'ascenseur social est en panne, aux éditions Flammarion.
Aurélie Ledoux soutient que le marché du travail a besoin d'une école qui n'a plus pour objet la transmission des connaissances. Ce faisant, elle éclaire le sens de quelques images et slogans apparemment sensés ou anodins: la « mobilité sociale », illustrée par l'image de « l'ascenseur social » n'est autre que le voile de la précarité, et « l’égalité des chances » l’idéologie qui la justifie.


L’ouvrage montre comment l’école et la République ont été détruites au profit du marché et quels discours ont fait admettre cette destruction à ceux-là même qui auraient dû s’y opposer, quand ils ne les ont pas eux-mêmes produits, « naïvement », comme Bourdieu. Et du coup, j’imagine que ces thèses en irriteront plus d’un ou seront incomprises ! Que l’école comme institution n’ait d’autre finalité que l’instruction, c’est-à-dire l’instruction élémentaire qui permet au citoyen de contribuer à l’élaboration des lois et de ne pas se laisser voler ses droits, et qu’elle n’ait surtout pas pour finalité de préparer chacun à un emploi, qui le comprendra ? Ni les tenants de l’entreprise, ni les socialistes, puisque leur commune illusion est de faire prévaloir la société sur la loi, le social sur le politique. Et du coup la chanson de l’égalité des chances continuera de plaire et de faire passer pour un idéal de justice ce qu’Aurélie Ledoux diagnostique lucidement  : l’idéal du parvenu. Elle rappelle opportunément cette vérité trop évidente qui prouve que l’école n’est  pas responsable du chômage : s’il n’y a pas d’emploi, elle n’en créera pas, quand même elle permettrait aux plus démunis d’obtenir les plus brillants diplômes.

Il est très difficile de faire comprendre à la plupart de nos contemporains que la vraie justice n’est pas de faire que les plus humbles des travailleurs puissent devenir cadres supérieurs, mais qu’ils puissent être assez instruits pour faire valoir leurs droits fondamentaux, comme le voulait Condorcet, car l’égalité républicaine ne consiste pas à leur promettre qu’un jour eux-mêmes ou leurs enfants seront riches. Il est très difficile de faire comprendre que parler de compétence et non de connaissance change la nature de l’enseignement. Il est quasiment impossible aussi de faire comprendre que la politique de Sciences-po est un leurre. Les analyses d’Aurélie Ledoux devraient tout de même éclairer les lecteurs de bonne volonté.

Une remarque, qui n’est pas un reproche, car cet ouvrage est heureusement bref et ne pouvait pas tout dire : ce qu’il dit de l’usage absurde de l’image de l’ascenseur social n’empêche pas que l’école ait permis une certaine ascension sociale, indépendamment même des trente glorieuses ou de l’enrichissement général dû à l’essor industriel. Les Écoles Normales d’Instituteurs ont permis à de nombreux enfants de paysans de ne pas être broyés par l’exode rural et d’atteindre un statut social honorable – et non pas financier (une vieille institutrice me disait naguère qu’avant 1914 elle avait en fin de mois juste assez d’argent pour s’acheter un livre de la collection Nelson, ces jolis petits livres beige clair) : les instituteurs étaient respectés pour leur savoir et leur fonction républicaine. J’ajoute que leur « réussite » a permis à leurs enfants d’entrer à l’École Normale Supérieure ou de devenir « cadres »… Autrement dit la fonction sociale de l’école est comme le plaisir chez Aristote : la « réussite », terme en effet ignoble quand il a ce sens, comme le montre le livre d’Aurélie Ledoux, couronne les études, mais elle n’est pas la fin recherchée, qui est l’instruction publique et la liberté du citoyen.
Mais en fin de compte mon exemple montre qu’Aurélie Ledoux a raison : je viens de décrire un escalier social assez connu, qui révèle que pour monter aux étages supérieurs il vaut mieux partir du premier étage que du rez-de-chaussée, et que donc l’égalité des chances est un mensonge. Et il est vrai aussi, ce qu’elle montre, que les discriminations inventées pour pallier l’inégalité de départ ne sont que des faux semblants.

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