20 décembre 2012 4 20 /12 /décembre /2012 10:48

Bloc-notes nouveauté sur Mezetulle
« Refondation de l'école » et « morale » : une fable et un texte d'Alain

En ligne le 20 décembre 2012


Mezetulle a reçu un article intitulé La fable démagogique d'une refondation de l'école républicaine dans lequel Marian Balastre analyse à l'aune de la pensée classique et de la culture humaniste quelques notions invoquées comme des formules magiques dans le projet de loi relatif à la « refondation » de l'école.

 

Si le texte annonce des objectifs tout à fait pertinents comme « une élévation générale du niveau de tous les élèves » , il ne le fait qu'à partir de méthodes et de discours dont on connait l'inefficacité et la vanité sophistique, et ce depuis plusieurs décennies. 

 

Lire l'article de Marian Balastre La fable démagogique d'une refondation de l'école républicaine


 

Dans le même temps, Jean-Michel Muglioni attirait mon attention sur un texte d'Alain (Propos 1152) que nos actuels refondateurs, d'autant plus zélés sur le plan de la morale et des « valeurs » qu'ils sont peu regardants sur celui de la transmission des connaissances - seule dimension indéfectiblement laïque et critique de l'école -, seraient peut-être bien inspirés de relire :

 

 J’ai rencontré un de nos moralistes officiels, qui m’a dit, en caressant sa belle barbe  : « Nous avons présentement un gros souci. Nous cherchons un maître de morale pour les futurs professeurs femmes de Sèvres et de Fontenay (1). Ce n’est pas que nous manquions d’hommes intelligents, de haute culture, de probité éprouvée, et qui aient la pratique de l’enseignement. Mais il nous faut quelque chose de plus ; il nous faut une espèce de chaleur de cœur et une force d’éloquence qui donnent au maître un peu de la puissance d’un apôtre. Ces jeunes filles, auxquelles manque assez souvent le secours d’une foi religieuse, vont se trouver un peu seules dans la vie, en présence de lourds devoirs et peut-être de redoutables tentations. Il leur faut plus que la froide lumière des idées, j’entends la flamme d’un noble enthousiasme, et comme l’empreinte d’une puissante nature. Le plus clair de la morale est sans doute ce qui parle au cœur et va au cœur. Pour les femmes, c’est deux fois vrai. Je leur cherche quelqu’un qui soit plus qu’un maître, et réellement un directeur de conscience. De tels hommes sont rares, et j’en cherche un, comme Diogène avec sa lanterne. »

- Je vois, lui dis-je, ce que c’est. Vous cherchez quelque bon moine prêcheur, qui chante la morale laïque sur l’air d’une Messe Solennelle. Vous n’en trouverez que trop, de ces prêtres sans soutane, dont le regard veut pénétrer au fond des cœurs, et qui portent leur vertu comme une enseigne. Je comprends bien ce que vous voulez dire, que les pauvres femmes sans confesseur, avec le peu de science qui leur danse dans la cervelle, vont faire sottises sur sottises. Qui sait  ? Peut-être iraient-elles jusqu’à juger par elles-mêmes, et régler intrépidement leur conduite sur leurs pauvres idées. Qu’arriverait-il, si elles formaient leurs élèves sur les mêmes principes  ? Voyez-vous toutes les femmes se dirigeant elles-mêmes, et disputant aux hommes le droit de penser et de vouloir  ? Voilà pourquoi vous préférez le maître qui se fait admirer au maître qui se fait comprendre. Voilà pourquoi il vous faut des prêtres, une religion et des dogmes.
 Il faut pourtant choisir. Si vous avez peur de la lumière, il faut revenir au catéchisme. Et si le libre examen doit être contenu dans de justes limites, alors il faut le supprimer ; car l’intelligence ne respecte rien  ; si vous la laissez s’éveiller, si vous la laisser ouvrir seulement un œil, elle jugera de tout  ; elle échappera à ces preneurs d’âmes, à ces regards appuyés, à ces déclamations frémissantes, à ces convictions despotiques qui sculptent les cœurs comme d’autres façonnent la terre glaise. Le règne des mages est fini. Le maître de l’avenir sera lui-même, mais ne voudra point que ses disciples lui ressemblent ; il s’interdira même de le désirer ; il se gardera de plaire ; il se gardera d’émouvoir. Il jettera seulement des idées, dont chacun usera comme d’une nourriture pour se développer selon sa propre loi. Ou bien, alors, on se moquera du maître.

Alain, Propos, 8 mai 1909 (dans Propos, vol. 2, Paris : Gallimard-La Pléiade, 1990, p. 127-129)

.1 - Il s'agit des écoles normales supérieures de jeunes filles fondées dans les années 1880.

NB - Les commentaires de ce billet d'annonce et de citation sont fermés. Merci aux lecteurs de poster leurs éventuels commentaires sur l'article de Marian Balastre.

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