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Pédagogie officielle ou liberté pédagogique ?
François Hollande a choisi
En attendant (peut-être) des jours plus sombres, Mezetulle se fait plaisir avec la technique bien connue de la citation choisie et de la lecture au pochoir : je ne veux voir pour le moment que ce qui m'arrange ! Le discours d'hommage rendu par François Hollande à Jules Ferry le 15 mai s'y prête assez bien.
On peut toujours faire la fine bouche ; c'est vrai qu'on aurait préféré un hommage à Condorcet, véritable inventeur de l'instruction publique, mais F. Hollande s'est d'emblée expliqué sur le choix d'un législateur dont l'oeuvre fut votée et réalisée. Et le point épineux de la formation des maîtres permet de craindre le pire (je veux dire le rétablissement pur et simple des IUFM), mais rien que l'emploi du mot maître en meilleure place que dans le titre trompeur de ces instituts et de manière réitérée y apporte un certain correctif. Sans parler de cette superbe déclaration qui, si je comprends bien, en proclamant la liberté pédagogique du maître, devrait faire obstacle à toute pédagogie officielle dans les écoles de la République. On la trouve à 10 minutes 48 dans la vidéo diffusée par le site de l'Elysée (c'est moi qui souligne - lien vers la vidéo à la fin de l'article) :
Certes depuis Jules Ferry, tant de choses ont changé ; la société n'est plus la même, les conditions de l'enseignement non plus, mais les principes, eux, demeurent. Les conditions de travail de l'enseignant, les comportements des élèves, l'irruption de la technologie numérique dans nos vies dans nos classes, tout cela bouleverse ; la pédagogie, les manières d'apprendre, mais une chose est pérenne, une chose est éternelle : si le savoir n'est pas le monopole du maître, celui-ci - le maître, le professeur, l'enseignant - doit garder la responsabilité d'en ordonner le sens.
N'oublions pas, également, qu'il existe un obstacle légal peu connu à l'installation d'une pédagogie officielle : c'est l'obligation d'instruction. En effet, contrairement à ce qu'on entend souvent, il ne s'agit pas de l'obligation d'aller à l'école (1). Les parents qui souhaitent instruire eux-mêmes leurs enfants ou confier cette tâche à un précepteur ont le droit de le faire : ils doivent dans ce cas se soumettre au contrôle public s'agissant de l'instruction, ce qui suppose l'existence et le maintien de programmes nationaux. Paradoxalement, c'est donc aussi la possibilité d'une éducation totalement privée, notamment sous la forme du préceptorat, qui garantit la liberté pédagogique de tous les maîtres et qui maintient l'instruction au coeur de l'éducation nationale.
Allez, on continue à se faire plaisir avec une deuxième citation issue de l'hommage à J. Ferry (10 minutes sur la vidéo) :
Les années qui viennent doivent être celles d'une nouvelle hiérarchie de valeurs au sommet de laquelle se situera la science, l'intelligence, la recherche, la volonté d'apprendre et de transmettre. Voilà les vertus qui seront les mieux reconnues et les plus respectées, bien davantage que l'argent.
1 - La formule habituelle « école primaire gratuite laïque et obligatoire » est en effet trompeuse et a besoin d'une précision sur la nature de cette obligation. Quoique j'aie très clairement traité la question de la liberté de l'enseignement dès 1984 dans le chap. V de mon Condorcet, l'instruction publique et la naissance du citoyen et que j'aborde régulièrement ce sujet dans mes conférences publiques (ainsi que sur Mezetulle : par ex. ici réponse au commentaire n°3), j'ai moi-même laissé échapper une formule analogue page 47 de mon Qu'est-ce que la laïcité ? (Vrin) et Jean Baubérot s'est régalé à me remonter les bretelles p. 69 de son Laïcités sans fontières (Seuil, 2012, en collab. avec M. Milot), qu'il en soit remercié !