8 mars 1970 7 08 /03 /mars /1970 00:00
Poséidon en marche

par Catherine Kintzler (en ligne 22 nov. 2005)

Le Poséidon du musée archéologique d’Athènes,
dit « Poséidon d’Artémision » (environ 460 avant J.C.)

 

Il émane de ce bronze une majesté sensuelle, c’est bien le corps d’un dieu1. Il est d’une jeunesse sans âge, il est rayonnant. Le rapport entre le poids (imaginé, mais de toute façon très lourd) et le volume est parfait. Mais pourtant il n’est pas immobile, comme on va le voir.

 Les groupes de visiteurs arrivent « dessus » et c’est comme si la statue leur tombait dessus : ils sont foudroyés sans être écrasés - ravis. On est saisi à la fois de vénération et d’allégresse : en le révérant, on se sent plus beau, plus fort. Tout le monde regarde sa noble tête, ses épaules parfaitement alignées dans (faut-il dire l’effort ? non..) l’élan facile qu’il prend pour envoyer son invisible trident, la main droite tout juste refermée sur le manche, ferme mais pas crispée, la main gauche indicatrice, sûre, souveraine. Et bien sûr les écoliers, pointant son zizi, étouffent quelques rires…
 
Mais ce sont ses pieds qui me frappent. Je tourne autour de la statue, j’essaie de mettre les miens dans la même posture, je n’y parviens qu’une fraction de seconde et je perds aussitôt l’équilibre (de retour dans ma chambre d’hôtel, j’essaie encore, cette fois pieds nus, mais c’est pareil). L’étudiant chargé de veiller sur cette admirable et toujours vibrante présence me remarque, il s’approche de moi, se saisit de la mince plaquette que j’ai à la main, et la glisse sous le pied gauche, mettant ainsi en évidence la faible surface qui adhère au sol. Sur cette photo, on voit assez bien le vide sous l’avant du pied gauche en appui sur le talon et très légèrement sur la face externe, alors que le pied droit s’appuie sur le gros orteil.

Il est bel et bien en déséquilibre :  il bouge !!

J'avais d'abord écrit "il marche", mais non ce n'est pas de la marche, ce n'est plus de la marche. Non, car l'appui semble refluer de la jambe gauche vers la jambe droite : je crois que le sculpteur l'a saisi au moment décisif où, arrêtant sa marche d'élan (il n'a certainement pas couru comme font les humains lanceurs de javelots), il commence à se pencher légèrement en arrière avant de lancer le trident.  Il commence à se pencher, mais on ne sait pas s'il va vraiment fléchir son corps en arrière : plus penché ce ne serait pas digne d'un dieu.  Le dieu n'a pas besoin pour être fort de puiser de l'énergie à une source extérieure, il lui suffit d'un mouvement inchoatif, d'un mouvement mesuré et retenu.


1- Voir le recueil Corps des dieux, sous la direction de C. Malamoud et J.-P. Vernant, Paris : Gallimard, 1986.

© Catherine Kintzler

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C
Poséidon ou Zeus ? Ce bronze est en effet appelé aussi "Zeus", et peut-être avec plus de vraisemblance - il semblerait en effet que le nom de "Poséidon" soit dû davantage au caractère maritime de sa découverte qu'à une analyse de type iconographique. Mais alors ce que j'écris demande une révision. Si c'est un Zeus, il ne peut certainement pas s'apprêter à lancer un trident, mais il brandit plutôt son foudre. En fait, cela expliquerait mieux la légèreté de l'élan pris (je suppose qu'un faisceau fulgurant est moins lourd qu'un trident !) et surtout la position de la main droite et en particulier des doigts. Mais cela ne change rien à la position du pied et au léger déséquilibre qu'on doit en conclure...

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