12 février 2013 2 12 /02 /février /2013 17:30

Bloc-notes actualité
A Tunis : « la liberté ou la mort »
par Jean-Michel Muglioni

En ligne le 12 février 2013


Fallait-il attendre l’assassinat de Chokri Belaïd pour imaginer qu’Ennahda, le parti au pouvoir en Tunisie, élu aux premières élections libres après la chute de Ben Ali, est un mouvement terroriste, et non pas l’équivalent musulman d’une démocratie chrétienne ? Au mois de mai dernier, on me disait là-bas qu’il a ses hommes de mains, arrivés parfois par bateau à La Goulette, qui ne parlent pas l’arabe tunisien : l’islam qu’ils imposent par la terreur n’est pas celui de l’histoire tunisienne. Les islamistes  qui dénoncent l’ingérence de l’ancienne puissance coloniale sont aujourd’hui les nouveaux colonisateurs. Ennahda n’est pas, contrairement à son nom, la renaissance ou le risorgimento.


La France a de longues années soutenu des régimes qui interdisaient toute forme d’opposition politique, de sorte que malgré ou grâce aux persécutions épouvantables dont les islamistes ont été l’objet, il n’y avait en Tunisie comme ailleurs d’autre organisation politique d’opposition possible que par les mosquées. De là le succès électoral du parti Ennahda, d’autant qu’il a pu dès la chute du dictateur distribuer de l’argent aux plus pauvres – charité systématique partout où l’islamisme prend le pouvoir, grâce à l’argent de pays du Golfe. Nous voilà amis du Qatar qui a construit à Tunis, au bord du lac, tout un quartier avec ensemble hôtelier luxueux où l’alcool est interdit et où les femmes sont voilées. On objectera  que de très nombreux Tunisiens vivant en France ont voté pour Ennahda. Mais beaucoup d’entre eux ne connaissaient pas d’autre opposition au régime renversé et je vois dans le mépris dont ils ont pu être l’objet (j’ai vu la manière dont des amis tunisiens ont été traités) une des raisons de leur choix.

Mais, paradoxe de l’histoire, parce que l’histoire est l’histoire de la liberté, si la dictature de Ben Ali a pu durer grâce aux pays occidentaux, si la dictature qui s’est mise en place avec Ennahda  reçoit l’aide des pays du Golfe, les Tunisiens ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour se donner la liberté : la liberté d’un peuple ne peut venir que de lui-même, de ses combats et par le sang. Ecoutez Besma Khalfaoui, la femme de Chokri Belaïd, et d’autres femmes tunisiennes (1), vous comprendrez que la devise des révolutionnaires : la liberté ou la mort, est vraie.

Souhaitons pourtant que l’événement contraigne nos chancelleries à cesser au moins de faire comme si le gouvernement élu était modéré. Mais il en est de la politique étrangère comme de la politique économique : on nous dit que la politique économique lutte contre le chômage, mais le chômage est voulu parce qu'il permet l'accroissement des profits ; la politique étrangère a fait le jeu des pires régimes, au point qu’on peut se demander si l’intervention française au Mali, que nous sommes portés à applaudir parce qu’elle paraît libérer un pays des terroristes qui l’opprimaient, n’est pas aussi une sorte de leurre et par exemple un moyen de conserver l’accès à certaines matières premières. Qu’on ne m’accuse pas d’être adepte de la théorie du complot. Je dis seulement que la politique, la Realpolitk, est le lieu où les apparences sont le plus trompeuses et où la réalité est le plus souvent ignorée. Les politiques sont sincères lorsqu’ils croient lutter contre le chômage et contre le terrorisme. Ce sont des marionnettes, mais sans manipulateur : il faudrait supposer à ce marionnettiste un génie surhumain.

Catherine Kintzler me rappelle qu’au moment où le gouvernement français voulait céder dans l’affaire du « voile », des Tunisiens nous disaient de « tenir bon ». Il nous faut donc continuer à combattre pour la laïcité. Une certaine gauche a autrefois méprisé le combat pour la laïcité, qui passe aujourd’hui trop souvent et de tous les côtés pour un combat d’arrière garde : il nous faut rappeler sans cesse que, partout où l’État et les Églises ne sont pas séparés, la liberté est impossible, et qu’on ne nous dise pas que l’islam n’est pas une Église.

Mais nous-mêmes ne risquons pas notre vie dans ce combat.

 

1 -  http://www.tuniscope.com/index.php/article/21106/actualites/tunisie/belaid-293602 et
http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20130206.OBS7899/tunisie-belaid-a-toujours-ete-menace-par-l-aile-armee-d-ennhada.html
La rédactrice en chef tunisienne du site d'information indépendant Kapitalis, Zohra Abid, amie proche de Chokri Belaïd repond ceci au journaliste du Nouvel Observateur qui lui demande si elle a personnellement peur : « J'ai été menacée plusieurs fois. On a cassé ma voiture. J'ai été battue à plusieurs reprises. J'ai dépassé la peur. S'ils veulent nous tuer, qu'ils le fassent. Ce n'est pas le premier assassinat, ce ne sera pas le dernier. Mais, on ne doit pas baisser les bras. Tous ensemble, la colère nous tient. La honte aussi. La Tunisie, ce n'est pas la Somalie. La Tunisie n'a rien à voir avec le wahhabisme des salafistes. C'est un pays moderne et intellectuel. Il ne doit pas être gouverné par des criminels. »

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