Bloc-notes actualité
Non-fumeur... sans fanatisme
Mezetulle ne va pas laisser passer le 31 mai, dit jour sans tabac, sans marquer la date. Dans un Bloc-notes déjà ancien, après avoir cité un texte de Marie Perret, je conseillais la lecture des Confessions d'un fumeur de tabac français de Roland Dubillard.
Aujourd'hui, j'en ai fait une lecture rituelle, presque pieuse. Et désormais chaque 31 mai, en plus des leçons bienpensantes avec à l'appui force statistiques sur la mortalité due au tabac qu'il me faudra avaler, je me régalerai fidèlement de cet ouvrage poétique de profonde réflexion sur l'urgence morale de l'élégance et de la frivolité et, parallèlement, sur la férocité de l'appel au sérieux.
En voici trois morceaux choisis.
[...] de même que le fumeur n'est pas tout entier à la conversation futile, puisqu'il fume, de même, si enfoncé qu'il soit dans son ouvrage, la cigarette signifie qu'une part de l'ouvrier est absente. Une aile au moins de son âme est repliée. Crainte d'échec, peut-être, on aime fumer en travaillant, parce que cette satisfaction fausse, mais après tout moins fausse que celle du devoir accompli, ôte de l'importance à ce qu'on fait. A preuve : on s'abstient de fumer en faisant l'amour, en mangeant ; actes qu'on souhaite le plus important qu'il se peut, et qui requièrement trop de conviction pour que leur accomplissement s'accompagne du désir de faire de la fumée.
Moi aussi, lorsque je ne fumais plus depuis quelque temps, l'envie me prenait parfois de haïr les fumeurs, à cause de leur ridicule, de leur bêtise, de leur fatuité. Cette haine est aussi peu fondée raisonnablement que les haines raciales, et je la crois capable autant qu'elles de devenir collective.
Si j'étais resté fumeur, il est vraisemblable qu'en cet instant je me trouverais entre deux cigarettes. Ce serait comme maintenant : je ne fumerais pas.
Même raisonnement du veuf aux cabinets : « Si ma femme n'était pas morte, se dit-il, je serais vraisemblablement comme maintenant aux cabinets, c'est-à-dire sans ma femme. Elle ne peut donc me manquer. »
Et pour finir, cette maxime :
Essayer de m'abstenir sans fanatisme.
Roland Dubillard, Confessions d'un fumeur de tabac français, Paris : Gallimard, 1974