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L'école sans couac de Jean-Marc Ayrault
Le fameux entretien du Parisien daté du 30 octobre, où le Premier ministre a gaffé sur les 35 heures, est vraiment intéressant. On est en réalité très injuste avec Jean-Marc Ayrault : interrogé sur l'éducation et sur la violence à l'école, loin de gaffer, il a au contraire réussi un parcours sans faute dans la droite ligne d'une politique scolaire remarquablement stable et claire.
L'exercice était difficile, vu sa brièveté. Page 3, en trois petits paragraphes, trois points culminants du parcours offrant une vue générale sur l'école parfaite sont brillamment honorés.
On commence par le cours préparatoire. « Il faut que dès l'école primaire, en CP, on puisse aller voir les entreprises, recevoir un ouvrier qui a appris un métier formidable et qui a envie de transmettre sa passion. »Il ne s'agit pas, comme dans une scène du beau film de Stéphane Brizé Mademoiselle Chambon, de recevoir un professionnel pour enrichir ce qu'on appelait autrefois une « leçon de choses », mais de préparer les élèves de 6-7 ans au monde de l'entreprise, et cela en faisant appel aux sentiments (1). Il faut bien le reconnaître : c'est tout aussi urgent que la lecture, l'écriture et le calcul, et puis c'est le bon âge, le cerveau est encore malléable (ça c'est moi qui le dis, car j'ai mauvais esprit et d'ailleurs le Premier ministre ne parle jamais de la lecture, de l'écriture, du calcul).
L'entretien se poursuit avec une question sur la « réussite des enfants ». Pour l'améliorer, il faut notamment former les enseignants « de façon professionnelle pour s'adapter aux jeunes dont ils auront la charge » (c'est moi qui souligne).
Ce passage m'inspire encore un commentaire malintentionné. On sait que pour s'adapter aux « jeunes », il est indispensable de faire du relationnel, et d'apprendre par exemple à gérer les conflits (traduction en mauvais esprit : apprendre à se coucher et surtout à ne pas faire de vagues dès qu'un mioche parle un peu fort et roule des mécaniques - en novlangue on parlera plutôt d'écoute et de respect).
Cela me fait penser en outre que cette adaptation du maître à l'élève (pardon, de l'adulte au jeune) devrait normalement s'accompagner d'une adaptation de la grammaire, de la lecture, du calcul, de l'écriture, de l'histoire, de la géographie, etc. - je ne parle pas d'une question d'âge et de niveau, mais d'une adaptation vraiment respectueuse de ce que réclament les élèves, prenant en compte leurs demandes. Non ?
Mais le moment le plus fort, c'est la question sur la violence. Alors là, on sera très vigilant, et même inflexible : il n'est pas exclu de mettre des policiers à l'entrée des écoles, scrogneugneu.
Rassemblons les trois pièces de ce qui n'est même pas un puzzle : les trois paragraphes s'enchaînent tout naturellement.
De ces gentils animateurs bien adaptés aux jeunes d'aujourd'hui (lesquels sont si différents de ceux de naguère), formés à subir le chahut et les insultes sans faire d'histoires - et pour cela méprisés de tous - dans des classes transformées en champs de bataille, on se demande bien comment ils vont pouvoir faire l'éloge du travail en entreprise. C'est ici que la troisième pièce du dispositif révèle son utilité : si ça fait trop de casse, on mettra des flics autour. Circulez ! il n'y a rien - ou si peu - à enseigner, rien - ou si peu - à apprendre, et tout à adapter.
Cela est en parfaite continuité avec les politiques scolaires qui se succèdent depuis 30 ans. S'agissant de l'ouverture de l'école au monde de l'entreprise, M. Ayrault prend soin de préciser que « ce n'est pas un sujet tabou » : là il exagère un peu, on le savait déjà ! On savait déjà aussi que, s'agissant de l'école, l'instruction des élèves, la discipline (au deux sens du terme) et l'autorité des professeurs sont des sujets tabou. D'ailleurs le Premier ministre n'en parle pas : pour aborder en quelques points la question de l'école, il fallait bien se limiter à l'essentiel.
Et on dit que Jean-Marc Ayrault fait des couacs ?
1 - Dans le film (2009), l'institutrice (Sandrine Kiberlain) invite un maçon (Vincent Lindon) dans sa classe et c'est l'occasion d'un véritable enrichissement en pleine liberté sans rapport avec des arrière-pensées utilitaristes : la leçon de choses y devient une sorte de méditation philosophique, elle n'est pas un prêchi-prêcha, les élèves ne sont passionnés, émus, que par l'effet de cet enrichissement (et l'institutrice tombe amoureuse du maçon qui en réalité lui apprend que la pensée est partout !). De cet enrichissement il n'est bien sûr pas exclu que les élèves tirent librement la conclusion qu'il est passionnant d'être maçon, etc. Mais on reste alors dans une école républicaine, laquelle n'a pas à conformer, ni à dicter ce qu'est la vie heureuse, ni à faire des passions un principe moteur, mais à instruire et à élever.
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